BSC NEWS MARS 2011 - Page 72 - BSC NEWS MAGAZINE de MARS 2011 - AVEC Barbara Canepa, Pierre Jourde, Irène Frain, Catherine Major, Leila Ataya, Bertrand de Saint Vincent, Nicole Gdalia, Louis Ville, Vanessa Philippe. Les critiques de livres : Maylis de Kerangal, Philippe Lemaitre, Xenia 72 - BSC NEWS MAGAZINE - N°34 - MARS 2011 Comment va la poésie en France ? Nicole Gdalia : La poésie en France est sinistrée. D’un côté, je reçois beaucoup de manuscrits, de l’autre, les livres ne se vendent pas et les instances culturelles ont leur part de responsabilité. Notamment, quand ils décident de n’inviter aucun grand poète nordique au Salon du Livre de Paris, sur les quarante écrivains programmés. Le minimum aurait été que chacun des cinq pays fasse venir un de ses poètes. En trente ans de présence sur le Salon, j’ai toujours eu au moins deux auteurs invités chaque année voire trois, quand je choisissais de publier un roman. Cette année, j’avais décidé de ne pas publier de roman, car je savais qu’il aurait été écrasé par les écrivains à gros tirages. Je me suis donc abstenue, en me disant, la poésie est le créneau étroit de l’édition et j’aurai au moins un ou deux poètes invités. Résultat, mes publications ont manqué de ENTREVUE Nicole Gdalia Propos recueillis par Maïa Brami Quand la poésie ne fait plus partie de la littérature Pour la première fois en trente ans, aucun poète parmi les quarante auteurs invités au Salon du Livre de Paris, que son commissaire général, Bertrand Morisset, présente pourtant comme un «festival de toutes les littératures». Pour la première fois en trente ans, Nicole Gdalia, éditrice des Editions de poésie Caractères a donc choisi de ne pas y tenir stand, alors qu’elle publie ce mois-ci deux ouvrages exceptionnels de poésie nordique. J’ai décidé d’aller la rencontrer à Paris, rue de l’Arbalète, dans sa librairie- galerie mythique, véritable oasis artistique au cœur du quartier Mouffetard, où depuis soixante ans, poètes, peintres, musiciens, plasticiens du monde entier se retrouvent autour d’un verre pour échanger, créer et où, contrairement aux maisons d’édition classiques, le passant est toujours bienvenu. Dans le supplément du Magazine Littéraire distribué à l’entrée du Salon du livre, l’éditorial du président du CNL, Jean-François Colosimo, se veut rassurant : « Quatre jours en compagnie des littératures nordiques, c’est peu. Mais, puisque le CNL promeut depuis sa création une politique internationale de découverte, je vous donne rendez- vous avec les poètes nordiques, place Saint-Sulpice, à Paris, du 16 au 19 juin prochains, lors de l’édition 2011 du Marché de la poésie. » Signe des temps ? Nous apprenons tout juste que le Marché de la Poésie se tiendra finalement du 27 au 30 mai, après avoir été menacé de disparaître la semaine dernière. Quant à la 33e Foire culturelle de Saint-Germain, qui se tient Place Saint Sulpice, entre mai et juin, elle pourrait bien ne pas avoir cette chance. 73 - BSC NEWS MAGAZINE - N°34 - MARS 2011 médiatisation alors que ce sont des merveilles ! Que vous ont dit les organisateurs du Salon du Livre ? Que c’était lié au choix des pays du Nord. Pourtant, depuis un an, en vue de préparer le Salon, je suis en contact étroit avec la coordinatrice de toute la manifestation en Suède. Mais ils n’ont pas trouvé de place pour un seul poète ! Donc, ils ont décidé d’une seule voix avec le Centre National du Livre que les poètes seraient invités au Marché de la Poésie. Et voilà qu’il est lui- même en difficulté et qu’on ne sait pas s’il va avoir lieu et quand. (Depuis, une date a été trouvée, le 29e Marché de la Poésie se tiendra du 27 au 30 mai Place Saint Sulpice, à Paris) Les livres se trouvent néanmoins et comme à l’accoutumée sur le stand du pavillon d’honneur du Salon du livre tenu par la librairie Joseph Gibert. Parlez-nous de ces ouvrages… Une anthologie de poésie contemporaine tout d’abord, 13 poètes du Nord de Jacques Outin, grand spécialiste de la littérature scandinave. Poèmes de romanciers et proses de poètes : on y retrouve les incontournables To m a s Tr a n s t r ö m e r, L a r s Gustafsson et Gunnar Harding, en passant par Magnus Hedlund, oulipiste de Göteborg, Ulf E r i k s s o n , c h e f d e fi l e d u postmodernisme élégant ou la jeune Catharina Gripenberg, proche du slam. Les textes sont accompagnés d’encres de l’artiste norvégienne Turi Arnsten, que j’ai exposée deux fois à Caractères. L’autre livre est un classique très engagé, Deux voix : celles de la finlandaise Edith Södergran et de la suédoise Karin Boye, toutes deux à la charnière du XXe siècle. Elles écrivaient en suédois et ont ouvert la voie à la fois à la poésie des femmes et à une poésie d’avant-garde. Les grandes traductrices Elena Balzamo et Caroline Chevallier ont fait un travail remarquable pour cet ouvrage bilingue. 74 - BSC NEWS MAGAZINE - N°34 - MARS 2011 Les éditions Caractères ont soufflé leur 60 ans au Salon du Livre 2010. Comment a commencé l’aventure ? Caractères a été fondé par un poète polonais, Bronislaw kaminski, surnommé le Rimbaud de la poésie polonaise, devenu Bruno Durocher et français après son séjour dans les camps nazis. Il a écrit en français dès 1949, publié chez Seghers, et a tout de suite été reconnu par les grands poètes de l’époque : Eluard, Char, Reverdy, Cendrars, Supervielle etc. Dans l’effervescence du Paris de cette époque, la revue Caractères est née d’une première collaboration entre Jean Tardien, Jean Follain, André Frénaud et Bruno Durocher, et une maison d’édition éponyme a vu le jour dans la foulée. Peu à peu, Bruno Durocher a tout dirigé. Quand avez-vous croisé la route de Bruno Durocher ? Cela s’est fait en deux temps. En 1967, lors d’un séjour en Pologne, je tombe en arrêt devant une sculpture au Musée National de Varsovie appelée « Portrait du jeune poète ». De retour à Paris, je suis sollicitée par un jeune Belge pour créer une revue de poésie. Bernard Noël nous conseille alors d’aller voir Bruno Durocher, parce qu’il aide les jeunes poètes. Débordée par mes révisions d’agrégation, je laisse mon acolyte y aller. Quelques mois passent et nos chemins se croisent lors d’un salon littéraire chez Marguerite Grépon — amie de Malraux publiée chez Caractères et qui avait un petit journal où je faisais des chroniques d’expositions. Alors que je m’apprête à repartir, Marguerite me retient : « Nicole, ne partez pas, j’ai demandé à Bruno Durocher de venir, attendez ! ». Quand il entre dans la pièce, je suis frappée par son visage à l’expression si profonde qu’elle semblait refléter plusieurs siècles d’existence. Au même moment, je m’aperçois que j’ai perdu une boucle d’oreille. J’enlève la seconde et je la mets dans mon sac. Puis Bruno s’asseoit à côté de moi et nous bavardons. Deux jours plus tard, il insiste pour que j’aille le voir. Sur place, je vois au frontispice d’un de ses livres la photo d’une sculpture, un beau bronze que je reconnais.: je connais cette sculpture, n’est-elle pas au musée de Varsovie ? Il me répond : « Oui, c’est moi ! » Première coïncidence. Puis, deuxième surprise : il ouvre une petite boîte en bois, dans laquelle se trouvent un petit rouleau manuscrit précieux et une boucle d’oreille, et vous le croirez ou pas (rires), c’était la mienne, celle 75 - BSC NEWS MAGAZINE - N°34 - MARS 2011 que j’avais perdue ! Il ajoute : « Depuis que je l’ai trouvée dans la rue, je suis en veine, j’ai donc décidé de la garder » Je sors alors la seconde boucle restée dans mon sac… Les Surréalistes appellent cela « le hasard objectif » ! (rires) Savez-vous pourquoi la maison s’appelle Caractères ? Il y avait à la fois les Caractères de La Bruyère, les caractères de plomb de l’imprimerie et surtout ce mot veut dire « tempérament », « qui a du caractère » en polonais. Mais il faut croire que ce nom plait beaucoup, car je n’arrête pas de voir des Caractère sans « s » un peu partout… Comment résumer l’esprit de Caractères ? Bruno Durocher a toujours été exigeant sur les textes à publier, sensible à l’esthétique de ses livres. Ils étaient souvent le fruit d’un binôme poète/peintre. La maison était aussi un lieu d’exposition et nous continuons. Elle a toujours été internationale avec de très belles découvertes, notamment des inédits de Lorca dans les années cinquante, ou Pessoa, que nous avons introduit en France dans la traduction inégalée d’Armand Guibert. Vous qui êtes chercheur et poète, cela a-t-il été une évidence de reprendre Caractères à la suite de votre mari ? Pas du tout ! Bruno était très malade, mais je n’ai jamais imaginé qu’il allait disparaître, je le pensais éternel… Tout m’est tombé dessus brutalement, remettant en question mon travail universitaire d’enseignement et de chercheur sous la pression des amis qui insistaient : « on ne peut pas abandonner Caractères, il faut que tu t’investisses ». Après trois années de flottement, en 2000, nous avons été nombreux à souffler les cinquante ans de Caractères au Salon du Livre et je me suis dit alors : « Prends cette maison à bras le corps et puis c’est tout ! » La suite est connue… Est-ce la première année que Caractères n’est pas présente au Salon du livre ? Oui, après trente ans de présence régulière. C’est douloureux, je dois dire, car le Salon est une belle fête du livre et de l’Edition. Mais en même temps, comment accepter cette absence de poésie ? J’ai sollicité le CNL, les instances nordiques afin d’organiser une petite manifestation poétique, mais rien n’a été possible. Je pense que c’est très grave, qu’il s’agit d’un bradage au profit d’une littérature un peu mercantile. Les gros éditeurs s’investissent de moins en moins dans la poésie et dans 76 - BSC NEWS MAGAZINE - N°34 - MARS 2011 la littérature d’avant-garde, faute de rentabilité. Comment Caractères se situe-t-il face aux mutations de l’édition ? Internet, est-il une voie ? Je pense, oui, et c’est pour cette raison que j’aimerais avoir des jeunes compétents qui puissent s’en occuper. Par sa tradition, la maison accueille de jeunes valeurs, leur sert souvent de tremplin… Caractères est à l’honneur cette année… La Maison des Ecrivains et de la Littérature et le comité culturel de la LICRA préparent chacun un événement. Permettez-moi de souligner ici le travail international des publications de Caractères et son inscription dans le dialogue interculturel. Par ailleurs, je travaille à la publication de l’œuvre complète de Bruno Durocher qui aura quatre tomes, c’est un travail énorme ! J’espère les sortir chacun à six mois d’intervalle. Le premier — plus de mille pages — sera consacré à la poésie et devrait paraître avant la fin 2011, viendront ensuite un tome de Prose, puis le Théâtre et les Essais, et enfin un dernier volume d’album et documents. La Maison ne publie pas seulement des Nordiques ces temps-ci… Ce mois-ci, grâce à Claude Couffon et Jean Portante, la collection « Cahiers latins » s’enrichit de deux titres. Nous allons publier Lent animal amer en bilingue du grand poète mexicain Jaime Sabines et Lettre ouverte suivie de Sous la pluie étrangère de l’immense Juan Gelman, poète argentin réfugié au Mexique, lauréat de nombreux Prix, dont le Prix Cervantès. Opposant au régime en Argentine, il a vu son fils et sa belle-fille enceinte arrêtés par les Colonels. Son fils a tout de suite été fusillé. Ils ont attendu que sa belle-fille accouche pour alimenter leur trafic d’enfants et l’ont tuée ensuite. Gelman a passé plusieurs années de sa vie à chercher sa petite fille, qu’il a fini par retrouver en Uruguay. La revue Caractères l’avait déjà publié, il y a vingt ans. Le 13 avril prochain, nous organisons une soirée autour du poète Jaime Sabines à la Maison de l’Amérique Latine. Quant à Gelman, il sera l’un des poètes invités le 8 mai au festival Paris en Toutes Lettres et on pourra le retrouver ensuite pour une deuxième soirée le 9 juin à la Maison de l’Amérique Latine. Et vous-même, vous préparez un titre dans la nouvelle collection « Arts en résonance »… Il s’agit d’un poème en treize séquences que j’ai intitulé Treize battements du respir incertain, où le livre devient métaphore de ma vie, de mon souffle. Il sera accompagné d’encres de l’artiste russe Masha Schmidt et d’une composition originale pour piano seul du grand musicien géorgien Irakly Avaliani. Soirées de lancement à suivre ; elles seront annoncées sur notre site et sur notre page Facebook. À quel âge avez-vous commencé à écrire ? À 17 ans, en Tunisie, je gribouillais. Un quotidien de presse a publié un de mes articles sur le film de Truffaut « les tricheurs » et j’ai toujours rempli des petits carnets. Mon travail universitaire a b e a u c o u p r a l e n t i m a p ro d u c t i o n personnelle, mais je poursuis ce travail identitaire qu’est la poésie. Quel a été votre parcours universitaire ? 77 - BSC NEWS MAGAZINE - N°34 - MARS 2011 Après avoir fait des Lettres françaises et comparées, de l’Histoire de l’Art, de la Philo et de l’Esthétique, j’ai fait un Doctorat suscité par Jean Grenier, maître de Camus sur l’interdit de représentation dans les religions qui exclut toutes les représentativités. Ce fut un travail de plusieurs années, mais tout à fait passionnant. Ça se ressent dans votre poésie, on y retrouve la Bible, la symbolique des chiffres et des lettres… Dans le judaïsme, je me suis beaucoup intéressée aux lettres, à leur valeur numérique, à leur symbolique dans la forme. Avec Bruno, nous avions rencontré Carlos Suarès, disciple de Krishnamurti. Dans le labo du professeur Tomatis, qui avait un laboratoire de recherche phonologique, Carlos Suarès s’est mis à dire l’alphabet hébraïque et un papier photo s’est impressionné. Il nous a montré ensuite le dessin de la lettre Aleph, Beth, Gimel et jamais je n’oublierai celui correspondant à la lettre Beth. Il nous a dit : « Regardez le papier attentivement, on voit mon profil, mon nez se dessiner sur le photogramme. C’est-à-dire qu’en prononçant Beth, j’ai bien exprimé ma demeure, mon corps » Ça m’a fascinée. Avec ce procédé, il voulait retrouver la juste et vraie prononciation de chaque lettre. La forme des lettres, leurs sens, leur valeur numérique, le fait qu’en hébreu, les lettres additionnées d’un mot donnent une valeur numérique, laquelle renvoie à quelque chose d’autre, c’est passionnant ! Je n’ai pas étudié ça de façon savante, mais j’ai gardé ce goût de la symbolique des chiffres et des lettres et je m’en suis amusée. Mon prochain livre s’intitule Treize battements de l’inspir incertain, parce que 13, c’est la moitié de la valeur numérique des quatre consonnes du tétragramme. Quand on a prononcé deux consonnes, on est à la moitié du chemin et il faut continuer pour arriver aux quatre c o n s o n n e s — c e q u i e s t q u a s i imprononçable —, on aboutit alors au chiffre 26, soit le nombre de poèmes contenus dans mon recueil Alphabet de l’éclat. « (…) Les poèmes ne rapportent pas dʼargent. Ils sont de lʼargent. Pas une carte de crédit dans une pile de draps. Ils sont cette monnaie qui tinte dans la poche quand, dans la cabine, les vandales sont passés (…) » Extrait de Les Poèmes de Staffan Söderblom in 13 poètes du Nord, éditions Caractères Suivez lʼactualité des éditions Caractères : http://www.editions-caracteres.fr À ne pas manquer : 13 avril : soirée autour du poète mexicain Jaime Sabines à la Maison de l'Amérique Latine. 8 mai : lecture du poète argentin Juan Gelman à lʼHôtel de Ville de Paris dans le cadre de la manifestation « Paris, Mexico, villes dʼexil » 9 mai : rencontre avec Juan Gelman à la Maison de lʼAmérique Latine. 78 - BSC NEWS MAGAZINE - N°34 - MARS 2011 Denis Cosnard est raide dingue de Patrick Modiano. Pourquoi pas ? C’est plus excitant que de r é p e r t o r i e r l e s chapeaux d’Amélie Nothomb. Mais c’est aussi plus égarant. Un graal au lieu d’un p e n s u m . E n mesurait-il l’ampleur, le jour où il a créé Le réseau Modiano, site internet et véritable entreprise prométhéenne qui exige une mise à jour permanente ? Paraphrasant Brel, il pourrait dire « Patrick, c’est mon Amérique à moi ». C’est aussi un mystère remontant à 1968, année où Modiano s’est inventé une date de naissance. Cosnard a démarré au quart de tour comme un lévrier de cynodrome pour aboutir à un essai au titre évocateur : « Dans la peau de Patrick Modiano ». Tout est dit ; tout reste à dire. Et Cosnard s’en acquitte avec une méticulosité qui laisse pantois. En même temps qu’il relève le défi de l’élucidation, il rappelle ou révèle des faits peu connus des inconditionnels de Modiano. Tel ce commentaire des débuts de Patrick M. au théâtre : « Ce Rastignac n’a qu’un pet de loup dans le ventre ». A notre époque de critique anesthésiée et de presse cornaquée, on imagine mal pareille virulence. Cosnard analyse le sens du cinéma dans le parcours de ce fils de comédienne qui, jouissant de la liberté de choisir entre l’écrit et l’écran, a privilégié la littérature parce qu’elle promettait le filon inépuisable de la rêverie solitaire. Modiano truqueur ? Pas vraiment. Disons plutôt arrangeur. Mais il a de qui tenir avec des parents doués pour embrumer la réalité. Lui se borne à la vaporiser. Et des questions se posent. Pourquoi Modiano a-t-il envoyé des lettres à Françoise Hardy ? Quelles ont été ses relations avec Myriam Anissimov, biographe de Romain Gary et donc attirée par les hommes énigmatiques ? Le ténébreux Patrick en homme couvert de femmes ? A n’en pas douter, ce livre passionnera les inconditionnels de Modiano et attirera les sceptiques demeurés en périphérie de l’œuvre. « La mélancolie du premier Modiano, comme son insolence et sa violence feutrée, sont effectivement, assez dans l’allure de Nimier ou du Laurent du Petit Canard ». C’est le commentaire d’Alain Cresciucci dans son évocation des Hussards, un autre mythe littéraire du XXe siècle français. N’hésitez pas à lire de quel bois il se chauffe dans son évocation de Nimier, Laurent, Blondin, Déon. En 1968, Antoine Blondin remit à Modiano le prix Roger Nimier pour La place de l’Etoile. Modiano en enchanteur désenchanté : qu’en pense Denis Cosnard ? « Dans la peau de Modiano », Denis Cosnard, Fayard, 283 pages, 19 euros « Les Désenchantés », Alain Cresciucci, Fayard, 299 pages, 20,90 euros « Ce livre passionnera les inconditionnels de Modiano et attirera les sceptiques demeurés en périphérie de l’œuvre» Modiano, une fascination française Par Marc Emile Baronheid LIVRE 79 - BSC NEWS MAGAZINE - N°34 - MARS 2011 La philosophie est une activité de réflexions sur les problèmes du monde. En ce mois de Mars 2011, le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle ne sait plus où elle doit jeter son regard. J'avais pensé parler d'un sujet, puis d'un autre et encore d'un tout autre. En ce début de page blanche, le choix fut difficile. Il faut en faire un et se contenter de regretter la mise à l'écart forcée d'une Idée, d'un thème. J'ai donc décidé de ne pas choisir, mais de vagabonder au gré de ces sujets qui s'exposèrent à moi durant ce printemps de tous les dangers. Chercher la Femme Lorsque l'attention se porte sur moi lors de la journée de la femme, je ne sais pas quoi penser. Certainement parce que je ne « pense » pas le genre humain comme s'il était scindé, morcelé en plusieurs différences, au point qu'il faille les distinguer, les fêter. Cela résonne – ou raisonne – comme s'il était possible qu'il y ait une fête des personnes « brunes », ou la fête des « personnes d'1m70 ». Que nous soyons encore à fêter un « genre » particulier montre à quel point le genre humain dans son ensemble stagne. D'un autre côté cela permet de rappeler que toutes époques confondues, toutes civilisations confondues, toutes religions confondues, toutes cultures confondues la Femme est toujours en première ligne des discriminations quoi que certains disent, pensent, écrivent ou clament ici ou là. Cela me mène à me poser une question purement « existentielle », celle de savoir s'il existe une différence littéraire ou philosophique entre les hommes et les femmes ? Peut-être une différence d'approche ? Je vais tenter de répondre à ces questions au travers de plusieurs lectures qui m'ont été données. Le premier ouvrage s'intitule Roomie de Candice Nicolas (Éditions BSC Publishing, 2010). Pérégrinations d'une jeune colocataire qui expose, sous forme d'un journal intime, les « merveilleuses » aventures que l'on peut connaître lorsqu'on vit en groupe. A la fin de cette lecture deux impressions sont possibles : soit vous pensiez vous mettre en « coloc' » et cela peut vous en dissuader, soit vous le vivez et cela peut En Philosophie, Mars attaque Par Sophie Sendra PHILOPSOPHIE 80 - BSC NEWS MAGAZINE - N°34 - MARS 2011 vous rappeler des épisodes croustillants et drôles d'un vécu qui fait écho. La façon dont cela est narré aurait-il été le même si cela avait été écrit par un jeune homme ? Sans doute pas. Pour la simple et bonne raison que les détails énumérés, les descriptions des personnages, les petits travers et les petites vengeances sont purement féminins (notamment la toute fin de ce récit épique). A la suite de cette lecture, j'ai découvert un tout autre ouvrage, celui d'une jeune allemande dont L'Express parle en la qualifiant de « Sagan berlinoise ». Axolotl Roadkill de Helene Hegemann (Éditions Le Serpent à Plumes, 2011) n'est pas à mettre entre toutes les mains. Hasard ou coïncidence, ce dernier est également une sorte de « journal intime » (qui ne prend pas la même forme, mais qui présente également les « pérégrinations » d'une jeune femme). Certes, le talent existe bel et bien. Certes, à 16 ans cette jeune femme expose ici une belle maturité d'écriture, d'analyse de situations parfois pénibles, parfois même difficiles à imaginer pour le lecteur. Certes, certaines descriptions scéniques ont un côté cinématographique par les détails. Mon regard est sans doute biaisé par mes lectures antérieures, mais j'ai eu parfois l'impression d'avoir un « déjà vu » (plutôt qu'un « déjà lu » qui serait plus problématique). En effet, il existe dans l'ouvrage de Helene Hegemann un côté « masculin » qui me rappelle Les Nuits Fauves de Cyril Collard (Éditions J'ai lu, 1991) ou encore Junky de William Burroughs (Éditions 10/18, 1998). Certaines situations sont similaires, certaines descriptions ne semblent pouvoir être vécues que par un homme (drogue, sexe brutal etc.). On a du mal à imaginer une jeune fille. Sans doute est-ce parce qu'il y a une accusation de plagiat et que l'auteur-blogeur serait en réalité un certain Airen. Tant est si bien que ma question de départ ne peut être que troublée par ces lectures. Une genre « féminin » en littérature ? Sans doute. Mais peut- être faut-il encore lire pour en avoir un exemple probant. Trouver la Femme En philosophie, la femme est peu présente. J'ai attendu le début des années 90 pour découvrir la première femme-professeur à l'Université. Étrangeté qui me rappelait qu'effectivement il n'y avait pas de femme en face de moi depuis le début de mon cursus. C'est à ce moment là que j'ai réalisé que c'était un milieu d'hommes. Difficile prise de conscience de découvrir que la philosophie est considérée comme une matière masculine. Heureusement, cela a changé depuis et on découvre ou redécouvre des Hannah Arendt, des Simone 81 - BSC NEWS MAGAZINE - N°34 - MARS 2011 Weil, des Sylviane Agacinski, des Élisabeth Badinter. En ces temps troublés, il faut sans doute regarder le monde différemment. Du point de vue de la femme peut-être, cela changerait un peu. Sujet masculin, auteure féminine, philosophie transversale : un seul nom Avital Ronell. Philosophe américaine, professeur à l'Université de New York, représentante de la « French Theory », de la déconstruction et de la rhétorique dans sa signification la plus profonde. Une réelle bouffée d'air dans un monde philosophique trop académique par ses sujets, ses thèmes. Lignes de front (Éditions Stock, 2010) est l'analyse de la mécanique de la guerre (du Golfe), de ses origines possibles, lecture au combien d'actualité étant donné les événements qui se déroulent au Moyen Orient. Stupidity (Éditions Points, 2008) est également pleinement du temps présent puisqu'il expose les différentes définitions de la bêtise au travers de la question Politique. Il faudrait sans doute commander à l'auteure un ouvrage intitulé pour la circonstance « Suppléments », puisqu'on constate qu'économiquement ça n'est pas la sécurité des populations qui prévaut, mais l'implantation de « machines » infernales dont on a oublié un seul élément : un bouton marche-arrêt. Pathétique de bêtise. En quelques mots, Avital Ronell : une Philosophie Majuscule qui rafraichit l'idée que l'on s'en fait habituellement. S'il fallait conclure Je n'ai toujours pas pu répondre à mes interrogations. Existe-t-il une littérature féminine ? Une philosophie féminine ? Il existe très certainement une façon particulière d'envisager l'écriture, les thèmes, le traitement des sujets, mais il ne faudrait pas que les femmes se mettent à copier des écritures masculines qui ne sont pas les leurs afin de vouloir défendre une certaine idée de l'égalité. C'est dans les grandes différences entre les individus que l'on reconnaît sa propre humanité. On confond souvent l'égalité en Droits et la différence. Les femmes doivent avoir les mêmes droits que les hommes et les hommes doivent accepter d'être en fait tous les mêmes ! Non, je plaisante, ils sont justes un peu différents.... Helene Hegemann / photo Céline Nieszawer
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