Lire un extrait de Gataca de Franck Thilliez - Page 1 - Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2e et 3e a, d’une part, que les «þcopies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collectiveþ» et, d’autre part, que les analyses et les courtes cita- tions dans un but d’exemple ou d’illustration, «þtoute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illiciteþ» (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellec- tuelle. ©þ2011, Fleuve Noir, département d’Univers Poche. ISBNþ:þ978-2-265-08743-9 162098JSS_GATACA_fm7.fm Page 6 Jeudi, 17. mars 2011 8:48 08 À Esteban et Tristan, qui, comme sept milliards d’autres petites fourmis, participent modestement à ce grand chantier qu’est l’Évolution. 162098JSS_GATACA_fm7.fm Page 7 Jeudi, 17. mars 2011 8:48 08 Les organismes vivants ont existé sur Terre, sans jamais savoir pourquoi, depuis plus de trois milliards d’années, avant que la vérité ne saute finalement à l’esprit de l’un d’eux. Richard DAWKINS La science ne consiste pas seulement à savoir ce qu’on doit ou peut faire, mais aussi à savoir ce qu’on pourrait faire quand bien même on ne doit pas le faire. Le Nom de la rose, Umberto ECO 162098JSS_GATACA_fm7.fm Page 9 Jeudi, 17. mars 2011 8:48 08 11 NOTE AU LECTEUR On me demande souvent d’où viennent les idées. Surgis- sent-elles au détour d’un fait diversþ? À la vue d’un paysageþ? Au coin d’une rue ou d’une page de magazineþ? À vrai dire, je ne le sais pas précisément. Il n’y a ni secret ni méthode. Je crois plus à la notion de déclic et de hasard, comme si l’on voyait mille feuilles d’arbre prises dans une tempête et que l’on suivît soudain des yeux celle qui viendra se plaquer sur notre joue. Voilà plus de deux ans, à la recherche de l’idée du second volet du diptyque consacré à la violence, j’écoutais, disons par des circonstances provoquées, la conférence d’un scien- tifique sur l’Évolution. Au beau milieu du discours, ce pro- fesseur a expliqué la chose suivanteþ: Charles Darwin avait, un jour, reçu d’un correspondant une orchidée originaire de Madagascar, Angraecum sesquipedale, communément appelée l’Étoile de Madagascar. Cette fleur comporte un éperon de vingt-cinq à trente centimètres de long, dont la base est gorgée de nectar. Aucun des papillons que Darwin connais- sait n’était en mesure d’atteindre une telle profondeur. Com- ment pouvait donc se réaliser la pollinisation des fleurs, sans laquelle cette orchidée aurait disparuþ? Il estima qu’il devait exister à Madagascar un papillon doté d’une trompe suffisam- ment longue pour aspirer le nectar au fond de l’éperon. 162098JSS_GATACA_fm7.fm Page 11 Jeudi, 17. mars 2011 8:48 08 On découvrit ce papillon quarante et un ans plus tard, on lui donna pour nom symbolique Xanthopan morgani prae- dicta, en hommage à la prédiction de Darwin. Sa trompe mesurait entre vingt-cinq et trente centimètres de long… Je trouvais cette découverte tellement extraordinaire que je me suis dit qu’il y avait sans aucun doute matière à une his- toire. Je me suis alors intéressé à la biologie, l’Évolution, l’ADN, et à réfléchir à la trame que vous allez découvrir. L’alchimie des mots a fait le reste. Ce roman met de nouveau en scène Lucie Henebelle et Franck Sharko. À la fin du Syndrome E, leur aventure n’était pas terminée, puisqu’il se passait un événement inattendu dans les toutes dernières pages. Si les personnages sont évi- demment dans une continuité psychologique par rapport au livre précédent, je tiens à préciser que ce récit est complète- ment indépendant, et peut donc être appréhendé comme tel par les nouveaux lecteurs. Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une excellente lecture. AATTCTTTGATTGATAATTTTTTCTTCTCAGTCTTTTATCTTGTCTCTT 162098JSS_GATACA_fm7.fm Page 12 Jeudi, 17. mars 2011 8:48 08 13 PROLOGUE Aoûtþ2009 l n’aurait pas dû faire beau, ce jour-là. Nulle part, sur cette terre, des gens n’auraient dû avoir le droit de rire, de courir sur la plage ou de s’échanger des cadeaux. Quelque chose ou quelqu’un aurait dû les en empêcher. Non, ils n’avaient pas le droit au bonheur, ni à l’insouciance. Parce qu’ailleurs, dans une pièce réfrigérée, au bout d’infâmes couloirs éclairés par des néons, une petite fille avait froid. Un froid qui ne la quitterait plus. Jamais. D’après les autorités, le corps méconnaissable d’une fillette – âge estimé entre sept et dix ans – avait été recueilli à proxi- mité d’une route départementale, entre Niort et Poitiers. Lucie Henebelle ignorait encore précisément les circonstances de la découverte, mais dès que la nouvelle était remontée à la bri- gade criminelle lilloise, elle avait foncé. Plus de cinq cents kilomètres avalés à l’adrénaline, malgré la fatigue, la souf- france intérieure, la peur du pire qui chaque seconde l’habitait, avec, toujours, cette seule phrase au bout des lèvresþ: «þFaites que ce ne soit pas l’une de mes filles, pitié, faites que ce ne soit pas l’une de mes filles.þ» Elle qui ne priait jamais, qui avait oublié l’odeur d’un cierge, suppliait. Elle osait croire qu’il pouvait s’agir d’un autre enfant, une fillette disparue sans que [I] 162098JSS_GATACA_fm7.fm Page 13 Jeudi, 17. mars 2011 8:48 08 14 les fichiers de la police aient donné l’alerte. Peut-être une gamine enlevée la veille, ou dans la journée. D’autres parents seraient alors malheureux, mais pas elle. Oh non, pas elle. Lucie s’en convainquit encore une foisþ: il s’agissait d’une autre enfant. La distance relativement modérée entre le lieu de l’enlèvement de Clara et Juliette Henebelle – Les Sables- d’Olonne – et celui où les promeneurs avaient retrouvé le corps ne pouvait être que le fruit du hasard. De même que la courte période, cinq jours, entre sa disparition et l’instant précis où Lucie posait le pied sur le parking de l’institut médico- légal de Poitiers. Une autre enfant… Alors, pourquoi Lucie était-elle là, seule, si loin de chez elleþ? Pourquoi un violent acide coulait- il au fond de sa gorge et lui collait-il l’envie de vomirþ? Même en cette fin de journée, le bitume du parking demeu- rait brûlant. Entre les quelques voitures de police et du per- sonnel, des odeurs âcres de goudron fondu et de pneumatique empestaient l’air. Cette période estivale de l’année 2009 avait été un enfer, à tous points de vue. Personnel, privé. Dire que le pire restait à venir, avec ce mot abominable qui battait dans sa têteþ: méconnaissable. La gamine étalée là-dedans n’est pas l’une de mes filles. Lucie regarda son téléphone portable, encore, appela la messagerie alors que l’écran à cristaux liquides n’indiquait aucune petite enveloppe. Peut-être y avait-il eu un pro- blème de réseau en route, peut-être lui avait-on laissé un message urgentþ: on avait retrouvé Clara et Juliette, elles allaient bien et seraient bientôt à la maison, au milieu de leurs jouets. Un claquement de portière derrière une camionnette la ramena à la réalité. Pas de message. Elle rangea son cellu- laire et pénétra dans le bâtiment. Lucie connaissait par cœur les IML. Toujours la même structure. L’accueil droit devant soi, les laboratoires d’analyse à l’étage et au rez-de- chaussée, la morgue et les salles d’autopsie, symbolique- CCTTGAACACATTATTTCTGGTGTTGAACATTCCAGACCACTTCTCCAAT 162098JSS_GATACA_fm7.fm Page 14 Jeudi, 17. mars 2011 8:48 08 15 ment, sous le niveau du sol. Les morts n’avaient plus droit à la lumière. Les traits creusés, les yeux en berne, le lieutenant de police collecta des renseignements auprès de la secrétaire. Sa voix était hésitante, mal assurée. Des cordes vocales éraillées par trop de pleurs, de cris, de nuits sans sommeil. D’après le registre, le sujet – un autre mot atroce qui lui comprima la poi- trine – était arrivé à 18þhþ32. Sans doute le médecin légiste en finissait-il avec les examens de surface. Sûrement s’apprêtait- il, en ce moment même, à lire l’histoire des dernières minutes du sujet au cœur même de sa chair. Une autre fillette. Pas Clara ni Juliette. Lucie avait du mal à tenir debout, ses jambes flageolaient et lui ordonnaient de faire demi-tour. Elle remonta les couloirs une main sur le mur, marchant au ralenti, couverte d’obscu- rité tandis que dehors, quelque part, en beau milieu de l’été, des gens chantaient et dansaient. C’était ce contraste le plus difficile à encaisserþ; partout la vie continuait alors qu’ici… Trente secondes plus tard, elle se tenait devant une porte battante à vitre ovale. Cet endroit puait la mort, sans artifices pour l’adoucir. Lucie avait déjà emmené des parents, des frères, des sœurs dans ces tunnels d’encre, pour «þconstaterþ». La plupart d’entre eux s’effondraient avant même de voir le corps. Mettre les pieds dans cet endroit avait quelque chose de terriblement inhumain. De contre nature. Dans son champ de vision, de l’autre côté de la vitre, un visage masqué, un regard concentré, dirigé vers une table en acier inoxydable que Lucie ne voyait pas. Elle avait vécu cette scène tant et tant de foisþ; et tant de fois, elle n’y avait vu que la matérialisation d’une nouvelle affaire, un dossier qu’elle espérait excitant, hors norme même. Elle avait été comme ce maudit légiste, qui traitait un cas parmi beaucoup d’autres et qui, en rentrant chez lui ce soir, allumerait sa télé en buvant un coup. Mais aujourd’hui, tout était tellement différent. Elle était le flic et la victime. Le chasseur et la proie. Et juste une mère, face au corps d’un enfant mort. TTTCTTATACTTTTTTCTCCTATTTTTCACCTTTTAGATCTCTTTTTGT 162098JSS_GATACA_fm7.fm Page 15 Jeudi, 17. mars 2011 8:48 08 16 Pas l’une de mes filles. Une gamine anonyme. D’autres parents souffriront bientôt à ma place. Puisant dans ces mots un regain de courage, Lucie plaqua ses deux mains sur la porte, inspira aussi fort qu’elle le put et poussa. L’homme d’une cinquantaine d’années s’était garé au fond du parking de l’institut médico-légal, derrière une camionnette livrant du matériel médical. Un endroit stratégique qui lui permettait d’observer les allées et venues dans le bâtiment, sans attirer l’attention. Les yeux cachés derrière des lunettes de soleil rafisto- lées, la barbe épaisse de plusieurs jours, il donnait l’air d’un type qui s’apprête à faire un mauvais coup. Son front perlait. Cette chaleur, cette putain de chaleur écrasante, grasse… Il souleva ses lunettes et épongea ses paupières avec un mouchoir en tissu, tout en analysant la situation. Fallait-il entrer et prendre davantage de ren- seignements sur le corpsþde l’enfantþ? Ou alors, devait-il attendre la sortie des officiers de police judiciaire chargés d’assister à l’autopsie, et les questionner à ce moment-làþ? Calé au fond de son siège, Franck Sharko se massa longuement les tempes. Depuis combien d’heures n’avait-il pas dormiþ? Depuis combien de temps se tournait-il, se retournait-il dans son lit, en pleine nuit, recroquevillé comme un gosse fautifþ? La musique que diluait en sourdine l’autoradio, le mince filet d’air étouffant qui circulait entre ses deux vitres ouvertes lui firent baisser les paupières. Sa tête bascula alors sur le côté et cette chute incontrôlée provoqua chez lui un sursaut. Sa carcasse voulait dormir, son esprit le lui inter- disait. Le commissaire de police à l’OCRVP1 versa de l’eau minérale tiédasse dans le creux de sa main, se la passa sur le visage et sortit se dégourdir les jambes. L’air du dehors se colla à ses vêtements déjà trempés. À ce moment, il se trouva stupide. Il aurait pu entrer dans le bâtiment, montrer sa carte tricolore et assister à l’examen. Récolter les renseignements, de manière mécanique et professionnelle. En plus de vingt-cinq ans de carrière, dont vingt à 1. Office central pour la répression des violences aux personnes. TGTTGATTTACTTTCTGTGAGGTTTACCAACTTTATCTAGTACAAGTTT 162098JSS_GATACA_fm7.fm Page 16 Jeudi, 17. mars 2011 8:48 08 17 la Criminelle, combien de dépouilles avait-il déjà vu se faire char- cuter par les instruments tranchants d’un légisteþ? Deux centsþ? Trois fois plusþ? Mais les enfants, il ne pouvait plus depuis longtemps. Le scalpel miroitait bien trop devant les petites poitrines imberbes, si blanches. C’était comme un baiser du Mal. Il avait croisé, aimé le regard des petites Henebelle sur la plage. Ils avaient joué au ballon, couru dans les flaques, ensemble, sous le tendre regard de leur mère. C’étaient les vacances, l’insouciance, le bonheur simple d’un par- tage. Et, Seigneur, les jumelles aux beaux yeux bleus avaient dis- paru à cause de lui. C’était à peine une semaine plus tôt. L’une des plus longues, des plus douloureuses, depuis l’anéan- tissement de sa propre famille. Qu’allaient révéler l’autopsie, les examensþbiologiques, toxicolo- giquesþ? Quel enfer cracherait le papier blanc des imprimantesþdes laboratoiresþ? Il connaissait par cœur le circuit de la mort, cette implacable logique dans l’illogique. Il savait parfaitement que même après le trépas, un être humain entre les mains de la police et du corps médical ne trouvait jamais définitivement la paix tant que l’enquête n’avait pas abouti. Ce dénigrement complet d’un corps qui avait abrité la lumière le dégoûtait. Quant aux tueurs d’enfants… Le commissaire rétracta ses doigts jusqu’à faire blanchir ses phalanges. Au bruit d’un moteur, Sharko devina qu’un véhicule se garait. À l’abri de la camionnette, il s’étira encore deux secondes sur cet asphalte brûlant. Ses articulations craquaient comme du bois sec. Finalement, il rentra dans sa vieille bagnole malade pas loin de l’agonie mais qui résistait, résistait… Ce fut à ce moment précis qu’il la vit, et que tout l’intérieur de son être se fragmenta plus encore. Jean, tee-shirt gris en dehors du pantalon, cheveux maladroitement noués en queue de cheval. Ses yeux d’un bleu de ciel ne parvenaient même plus à éclairer son visage. Elle ressemblait à une toile de maître passée, abîmée, comme lui sans doute. À l’observer ainsi, chavirant sur le flanc comme un malheureux gréement, il eut mal jusqu’au fond de ses entrailles. TATGGAATTTAAAAATTGTTTCAGAGTTTAAGTTCCCAGATCCTCTTTT 162098JSS_GATACA_fm7.fm Page 17 Jeudi, 17. mars 2011 8:48 08
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