Lire un extrait du livre Ange et Loki - Page 1 - Lire un extrait du livre L'Agent Des Ombres T8 - Ange et Loki, de Michel Robert Fleuve Noir MICHEL ROBERT ANGE ET LOKI Récits d’une fin de monde annoncée L’Agent des Ombres, tome 8 Ange Loki.indd 5 12/09/13 11:13 Ouvrage publié sous la direction de Bénédicte Lombardo Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2e et 3e a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple ou d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. © 2013, Fleuve Noir, département d’Univers Poche. ISBN 978-2-265-09762-9 Fleuve Noir, une marque d’Univers Poche, est un éditeur qui s’engage pour la préservation de son environnement et qui utilise du papier fabriqué à partir de bois provenant de forêts gérées de manière responsable. Ange Loki.indd 6 12/09/13 11:13 13 PROLOGUE Une cellule de pierre rugueuse, éclairée de torches plantées haut dans les parois. De l’autre côté de la porte de bois, le bruit de lourdes bottes se rapprochant. Un ahanement. Un choc sourd, violent. Un grondement de loup blessé. Une clé engagée dans la serrure grossière. Un autre choc, similaire au premier, celui de la chair battue. La porte ouverte. Trois silhouettes sur le seuil. Vêtu d’un pantalon de cuir, d’une tunique lacérée, le prisonnier est projeté dans la cellule. S’écrase au sol. Crache du sang. Gronde, une fois encore, tel un fauve acculé. Les deux guerriers sur lui. Coups de bottes redoublés. Dans son dos, ses reins, ses cuisses. Le prisonnier roule sur lui-même. Incapable de répliquer. Affaibli, les mains enchaînées d’un double maillage d’acier dense. Un ricanement méprisant résonne contre les murs, clôturant le passage à tabac. Le captif gronde encore. Faiblement, désormais. Un dernier coup de botte. Presque distrait. Un crachat en direction du corps étalé, qui manque son but. — Tu vas parler, sale chien ! Que tu le veuilles ou non, tu vas cracher ce qu’on veut savoir ! Les geôliers partent, satisfaits, promettant bien pire encore à leur souffre-douleur. Resté seul, le prisonnier se tortille tant bien que mal, rampe jusqu’à l’une des parois. Serrant les dents pour contenir la douleur qui brûle ses membres, il parvient à s’adosser à la pierre. Il lève la tête et fixe les torches. Hors d’atteinte. Ange Loki.indd 13 12/09/13 11:13 14 Dans ses yeux sombres, ni peur, ni doute, ni pensée construite. Juste un éclat, l’éclat d’une promesse rageuse, incandescente. C’est le regard d’un homme. D’un homme, pas d’un humain. D’un Loki. Ange Loki.indd 14 12/09/13 11:13 15 CHAPITRE PREMIER Cellendhyll arpentait les couloirs de Tygarde, sourcils froncés. Il ne répondit à aucun salut, ne croisa aucun regard. Il avançait, droit devant lui, de ce grand pas souple et menaçant qui le caractérisait. L’Ange venait de rentrer du domaine des Cortavar, l’esprit enflammé par cette découverte : le tombeau de sa mère, vide. Les ossements de son père, le crâne enfoncé. Abattu. Ce qui changeait tout. Une fois sorti du caveau, Cellendhyll avait galopé jusqu’au domaine. Il n’y avait trouvé qu’une section de gardes impériaux, chargés de veiller sur les bâtiments. Ceux-ci étaient vides, d’ailleurs. Aucun serviteur. Aucun cheval non plus. Les écuries, les pâtures étaient désertes. Une équipe de jardiniers, une autre de ménagères, étaient les seuls employés à entretenir les lieux. Ils étaient tous nommés par les services de l’Empereur de Lumière, leurs effectifs renouvelés tous les trois ans. Ceux qu’il interrogea ne savaient rien du passé et ne purent répondre à aucune des questions que posa l’Adhan. De retour à Tygarde, Cellendhyll voulait des réponses. Et sans tarder. Il avait toujours cru ses parents terrassés par le chagrin et la maladie. Désormais, un mystère planait sur leur disparition. L’Adhan s’était promis des vacances, sitôt la mission des Chiens de Guerre réglée. Il les avait bien méritées. Il n’en était plus question. Du moins, pas maintenant. Comme à chaque fois qu’il était secoué par le tumulte de sa vie aventureuse, l’Ange avait grand besoin de s’épancher dans l’action. Il se l’était juré, si quelqu’un avait attenté à la vie de ses Ange Loki.indd 15 12/09/13 11:13 16 parents de quelque façon que ce soit, il serait sans pitié et il appliquerait la sentence adéquate. Cellendhyll arrêta un page et lui demanda où il pouvait trouver le Patriarche. — Dans la salle du Conseil, répliqua le serviteur. Postés devant la porte de la salle du Conseil de Lumière, deux soldats arborant le surcot de l’Empire gardaient l’entrée. À force de fréquenter Priam, Cellendhyll avait fini par se faire connaître de la majeure partie des gardes du palais et ces deux-là le saluèrent avec un respect non feint. Le troisième homme qui se tenait sur le palier lui était inconnu. De larges épaules, le torse et les bras épais, les mains couturées, le nez tordu, c’était sans conteste un guerrier. Il portait une tenue en cuir taillée pour le combat, dans les tons brun roux, sans aucun signe distinctif. — Messire de Cortavar peut entrer, déclara l’un des soldats. — Messire, rien du tout, le coupa le guerrier d’un ton agressif, les sourcils froncés. Mon maître a dit qu’il ne voulait pas être dérangé. — Narok, tenta le garde impérial, laisse-moi te présenter… — Je le répète, je me fous de qui il est, cracha le garde du corps. Et j’ai dit qu’il ne passerait pas, point barre ! Cellendhyll haussa un sourcil et se tourna vers Silgar, le soldat qui avait parlé. — C’est qui, ce guignol ? dit-il en désignant le guerrier du menton. En s’entendant ainsi qualifié, le visage de l’homme devint cramoisi. — C’est Narok, le garde du corps personnel du baron Ingvat, rétorqua le soldat, avec grand sourire moqueur. Cellendhyll n’ignorait pas que le baron Ingvat dirigeait les terres situées à l’est du Plan Primaire pour le compte de l’Empire. C’était un homme influent, le père de Valien, et par ailleurs tout aussi condescendant que son héritier. Pour l’Adhan, son rang éminent n’avait aucune importance. Cellendhyll toisa le garde du corps : — Narok, c’est très simple, même pour un crétin dans ton genre. Je ne le dirai qu’une fois : tu me laisses passer, ou je vais te faire mal. Narok proféra une injure entre ses dents et se jeta sur lui. Mais avant qu’il n’ait pu faire deux pas, Cellendhyll avança à sa rencontre, Ange Loki.indd 16 12/09/13 11:13 17 détourna le crochet qui lui était destiné de l’avant-bras gauche et frappa aussitôt. D’un coup de botte, il percuta la rotule de Narok, brisant son élan, et de son coude droit, qu’il remonta de biais, il le cogna sèchement en travers de la pomme d’Adam. Pas assez fort pour lui broyer la trachée et provoquer sa mort, mais bien suffisamment pour lui couper la respiration. Les traits congestionnés, Narok porta les mains à son cou meurtri. L’Ange en profita aussitôt pour l’agripper par le cou et lui flanquer son genou dans le bas-ventre. Narok devint violacé. Cellendhyll termina son assaut en lui balançant son coude gauche dans l’oreille, l’étalant pour le compte. Puis, il entra dans la salle du Conseil. Sans cacher sa jubilation, Silgar se pencha sur l’homme affalé au sol, qui peinait à retrouver ses sens. — Narok, je te présente Cellendhyll de Cortavar, Lige de Priam. Plutôt impressionnant, non ? La salle du Conseil de Lumière était taillée dans un marbre pâle. L’éclairage doux était prodigué par de grands vitraux colorés qui représentaient les Saints Défendeurs de la Lumière. Elle se composait d’une série de gradins en demi-lune. Dans la fosse, un pupitre destiné à ceux que l’Empereur convoquait. En face des gradins, une estrade, sur laquelle siégeait Priam et sur son invite, de temps à autre, les barons du Plan Primaire. Toujours aussi charismatique, l’Empereur était assis à sa place, tourné vers Ingvat, installé à sa gauche. Tous deux devisaient à voix basse. Se moquant bien de leur discussion, Cellendhyll s’approcha face aux deux hommes. Les bras croisés, il se contenta de les fixer, son visage marqué de son habituelle rudesse. Priam leva les yeux sur l’Adhan et dit : — Sortez, baron, nous terminerons cette affaire plus tard. Je vais m’entretenir avec mon Lige, je ne veux être dérangé sous aucun prétexte. Le Patriarche s’était exprimé d’une voix douce mais qui ne souffrait aucune contestation. Le noble seigneur obtempéra, se levant de son siège, sans pour autant cacher son mécontentement vis-à-vis de l’Ange. Il quitta les lieux, après avoir foudroyé Cellendhyll du regard. Ce dernier l’ignora tout autant qu’il aurait ignoré un tas de crottin sur le sol d’une écurie. Ange Loki.indd 17 12/09/13 11:13 18 — Que veux-tu, Cellendhyll ? demanda alors l’Empereur de Lumière. Pourquoi cette mine agressive ? L’Ange tenta de se détendre, apaisé, en partie, par le ton amical du souverain. Sans attendre de réponse, Priam se leva de son fauteuil à haut dossier et, après avoir indiqué à l’Adhan de le suivre, il se rapprocha d’un guéridon posé en retrait. Il s’empara d’une carafe à la robe rubis et d’une coupe. — De quoi sont morts mes parents, au juste ? dit enfin l’Ange. Cellendhyll aurait sans doute dû faire preuve de plus de finesse dans son approche, il s’en sentait néanmoins incapable. Priam sursauta tout en se servant, projetant deux gouttes de vin qui maculèrent le tapis. D’une main plus ferme, l’Empereur tendit la coupe à l’Adhan. Ce dernier refusa d’un signe de tête. Priam but une gorgée et finit par répondre : — Pourquoi poser cette question maintenant ? Contrairement à ce qu’il avait décidé durant son retour au palais impérial, il n’était plus question pour Cellendhyll d’évoquer son voyage dans les Terres du Nord et la découverte qu’il avait faite dans le caveau de sa famille. Soudain réveillé, son instinct intimait la prudence, en conséquence, il jugeait préférable de ne rien révéler. Il en connaissait encore bien trop peu sur Priam, sur les rouages du pouvoir qui régentaient Tygarde. Sur qui pouvait-il compter, à présent que Constance l’avait délaissé ? Sur Priam, justement ? Comment en avoir la certitude ? Il avait beau apprécier le souverain, il n’avait pas oublié que ce dernier l’avait manipulé. Même s’il avait su, depuis, s’excuser auprès de lui, Priam avait dévoilé une part de lui-même dont l’Adhan ne pouvait que se méfier. — Eh bien jusqu’ici, j’étais plutôt occupé, il me semble, rétorqua Cellendhyll. Ne serait-ce qu’avec les Chiens de Guerre. Alors à présent que j’en ai l’occasion, je pose la question… Et je compte bien obtenir la réponse. Après une nouvelle gorgée, le Patriarche reprit : — Écoute, Cellendhyll, tu me prends un peu au dépourvu, là… car en vérité, je n’en sais trop rien. Tout cela date de plus de dix ans, qui plus est. L’Ange haussa un sourcil pour marquer son étonnement. Sous le poids de son regard, Priam ajouta : — Dis-toi qu’à l’époque, j’avais les pieds dans la boue, une Ange Loki.indd 18 12/09/13 11:13 19 hache à la main, occupé sur le front de Narayim, face aux hordes ténébreuses. Je n’ai appris la nouvelle de la disparition de tes parents que plus tard, lors de mon retour à Tygarde. La seule chose que je puisse te dire, c’est que ça s’est passé dans les Terres du Nord… Oh, je sais bien, ça peut sembler curieux que je n’en sache pas plus. Mais tu ne l’ignores pas, ton père était l’un de mes rares amis et j’avais beaucoup de respect pour ta mère, aussi je t’avoue que leur disparition m’a dévasté et j’ai d’ailleurs pris la cuite de ma vie. Pour le reste, j’ai volontairement évité de demander des détails, et dès le lendemain, je suis reparti sur le front. Oui, j’ai fui, d’une certaine manière, et je suis loin d’en être fier. J’ai fui pour me protéger de cette immense tristesse qui m’accablait. Toutefois, je comprends très bien que tu veuilles en savoir plus, alors je vais me renseigner, d’accord ? Et je te contacte dès que possible, promis. L’Ange revint sur le palier. Il trouvait la réaction de l’Empereur bizarre. Il n’y avait plus aucune trace du baron Ingvat, ni de Narok. — Messire de Cortavar, je préfère vous prévenir… vous vous êtes fait un ennemi, souffla Nilgar. Deux, peut-être… L’homme aux cheveux d’argent arbora son grand sourire glacé, ce sourire de prédateur absolu, qui ne promettait que violence et souffrance : — Tant mieux. Une fois Cellendhyll sorti de la salle des débats, Priam se rassit à sa place et se massa le front durant une longue minute. Il finit par se redresser et appuya sur un bouton précis en haut d’une des colonnes de la pièce. Un passage se forma dans le marbre, dévoilant le même type de téléporteur que celui caché dans la bibliothèque de sa rotonde. Le souverain entra dans le passage et se laissa happer par la magie. Il disparut de la salle pour réapparaître dans l’habituelle grande pièce baignée de pénombre, éclairée chichement par les rais de lumière qui passaient à travers les persiennes. Celui qu’il voulait voir, ce mystérieux complice qu’il méprisait et dont il ne pouvait pourtant se défaire, était déjà là, silhouette floue assise dans un lourd fauteuil à roulette. — Que veux-tu, cette fois, Priam ? Ange Loki.indd 19 12/09/13 11:13 20 — Je viens de voir Cellendhyll, lâcha l’Empereur d’un ton troublé. Il veut savoir comment Alhana et Fiannan sont morts. — Tiens donc… répondit l’autre, en se gardant bien de révéler à Priam qu’il savait tout de la visite de l’Ange au caveau. Quelle a été ta réponse ? — Il m’a pris par surprise, j’ai gagné du temps. Mais je lui ai promis de creuser la question. Son interlocuteur prit le temps de réfléchir avant de répondre : — Tu as bien fait, j’avais prévu une telle éventualité, figure-toi. Je vais régler le problème. — Et tu comptes lui dire quoi ? questionna Priam, sourcils froncés. — Que ses parents ont été abattus par les Pictes, la version la plus simple, rien d’autre. Ce qui d’ailleurs n’est pas loin de la vérité. Pas question de parler de Vargh Loken, ainsi que nous en avons décidé. Le visage du Patriarche s’étira dans une grimace dubitative : — Je ne sais pas si c’est une bonne idée, il ne sait rien de toi, tu l’oublies ? — Voyons, Priam, je ne vais pas me présenter sous ma véritable identité… tu préfères t’en occuper ? Tel que je te vois, tu risques de t’embrouiller, voire d’être pris en flagrant délit de mensonge. Es-tu prêt à l’assumer ? — Que proposes-tu ? rétorqua le souverain. — Cellendhyll t’a demandé quoi exactement, comment Fiannan et Alhana sont morts ? Rien d’autre ? — Non, rien d’autre, pourquoi ? — Il vaut mieux être précis, non ? L’affaire reste délicate, d’autant plus qu’elle arrive juste après le cas de Vargh Loken. — Ce traître ne menacera plus personne ! scanda Priam, les dents serrées. — Justement, nous venons d’en finir avec lui, ce serait dommage de créer un nouveau problème avec ton protégé. Dois-je te rappeler que Cellendhyll ne sait rien du passé ? Et je ne pense pas que tu tiennes à ce que cela change. — Tu as raison, soupira alors le Patriarche. — Laisse-moi faire, je m’occupe de tout, reprit alors l’HommeGris, d’une voix lente, métallique, tout à la fois douce et autoritaire, qui résonnait directement dans le cerveau du souverain, sans pour autant que ce dernier ne s’en rende compte, et douchait sa volonté. Ange Loki.indd 20 12/09/13 11:13
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