Lire un extrait du livre Adieu ou presque de Laurie Frankel - Page 1 - Lire un extrait du livre Adieu ou presque de Laurie Frankel LAURIE FRANKEL ADIEU ! OU PRESQUE… Fleuve Noir Traduit de l’anglais (États-Unis) par Betty Peltier-Weber Adieu presque.indd 5 19/03/13 12:18 Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2e et 3e a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple ou d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. © 2012, by Laurie Frankel. All rights reserved. © 2013, Fleuve Noir, département d’Univers Poche, pour la traduction française. ISBN 978-2-265-09674-5 Titre original : Goodbye for Now Fleuve Noir, une marque d’Univers Poche, est un éditeur qui s’engage pour la préservation de son environnement et qui utilise du papier fabriqué à partir de bois provenant de forêts gérées de manière responsable. Adieu presque.indd 6 19/03/13 12:18 9 PREMIÈRE PARTIE Ce qui survivra de nous, c’est l’amour. — Philip Larkin, An Arundel Tomb Adieu presque.indd 9 19/03/13 12:18 11 UNE APPLI D’ENFER Sam Elling complétait son profil du site de rencontres en ligne tout en se demandant s’il fallait en rire ou en pleurer. D’un côté, il venait de se décrire comme « Prompt à rire » et s’était octroyé un huit sur dix à la question : « Quelle note attribueriez-vous à votre côté macho ? » Mais d’un autre côté, tout cela était quand même assez frustrant, et personne dans son entourage n’admettrait moins qu’un huit sur l’échelle de la virilité. Sam s’évertuait à trouver cinq choses dont il ne pourrait se passer. Il savait ce que de nombreux candidats aux rencontres écrivaient avec impudence : l’air, la nourriture, l’eau, un abri, et puis un autre truc censé être marrant. (Il pensait que ce serait drôle d’ajouter le gruyère à cette liste, ou éventuellement la vitamine D, même si, depuis son installation à Seattle, il semblait très bien s’en passer.) Il pourrait se la jouer technologie : portable, deuxième portable, tablette, connexion WiFi, iPhone, mais on le prendrait pour un geek, un accro de l’informatique. Peu importe qu’il en soit un ; il ne voulait pas qu’on le découvre d’emblée. Il pourrait se la jouer sentimental : la photo de mariage des parents, la pièce de monnaie porte-bonheur du grand-père, le programme du spectacle Grease au collège où il avait tenu le rôle principal, sa lettre d’admission au MIT, l’unique cassette de musique que lui avait enregistrée une amie, mais cela risquait d’être en contradiction avec la note macho de son auto-évaluation. Il pourrait se la jouer laitage : le gruyère encore (d’où lui venait cette fringale de gruyère ?) Adieu presque.indd 11 19/03/13 12:18 12 et la glace au chocolat, le fromage à tartiner, la pizza de chez Pagliacci et le double café crème. Cependant, ce n’était pas tout à fait exact. Il pouvait très bien s’en passer ; c’est juste que ce serait nettement moins sympa. À vrai dire, cet exercice était en cinq points : barbant, indiscret, écœurant, embarrassant et parfaitement inintéressant. Il n’avait aucun hobby parce qu’il travaillait tout le temps, ce qui expliquait également pourquoi il ne trouvait pas de petite amie. S’il ne travaillait pas autant (et n’était pas un ingénieur en informatique évoluant dans un milieu masculin), il pourrait se consacrer à des passions et en établir une liste, mais dans ce cas la question ne se poserait pas, vu qu’il n’aurait pas besoin de draguer sur Internet pour rencontrer des nanas. Oui, il était bien un mordu d’informatique, mais aussi, estimait-il, un garçon intelligent, drôle et raisonnablement séduisant. Il se trouvait simplement qu’il n’avait pas cinq passe-temps ou cinq trucs originaux dont il ne pouvait se passer, ou cinq objets intéressants sur sa table de chevet (une réponse franche aurait été : un verre d’eau à moitié vide, un verre d’eau au quart vide, un verre vide, un Kleenex usagé, re-un Kleenex usagé) ou encore cinq vœux pour l’avenir (ne plus jamais avoir à subir ce genre de test, recopié cinq fois de suite). Il se fichait tout autant des passetemps listés par les autres, des cinq objets indispensables à leur survie, de leur table de chevet ou de leur avenir. Il lui était déjà arrivé de répondre à toute une série de questions de ce genre sur un autre site, de sortir avec les clientes de ce site et il avait vu où menaient toutes ces âneries. À des âneries. Si vous choisissiez des réponses terre à terre (livres, de quoi écrire, lampe de lecture, radio-réveil, téléphone portable), vous récoltiez quelqu’un de barbant. En optant pour du plus excentrique (chapeau de pluie jaune, appareil Polaroïd, soda au citron vert, photo de Gertrude Stein, figurine en plastique du président Mao), vous vous retrouviez avec quelqu’un de bizarre et arrogant. Et en adoptant la réponse qui semblait coller à merveille (« un ordi portable et-honnêtement-rien-d’autre-parce-que-c’est-tout-ce-dontj’ai-besoin »), vous tombiez sur une geek qui ressemblait tellement à votre coloc que vous vous demandiez s’il n’avait Adieu presque.indd 12 19/03/13 12:18 13 pas subi une opération de changement de sexe sans vous en avoir parlé. Ainsi, on avait le choix entre quelqu’un de barbant, de bizarre ou Trevor Anderson. Cinq choses dont Sam ne pouvait se passer : le sarcasme, la moquerie, le dédain, la dérision, le cynisme. Ce n’était pas tout, bien sûr. Sinon il ne chercherait pas de petite amie sur Internet. Il serait enterré dans un appartement en sous-sol, solitaire grognon et heureux (Xbox, Wii, PlayStation, écran plasma 52 pouces, nachos passés au micro-ondes). Au lieu de cela, il se remettait sur le marché. N’était-ce pas un signe d’optimisme ? (espoir, bonne humeur, chaleur, générosité, la promesse de quelqu’un à embrasser avant de se coucher). Peut-être, mais c’était trop mièvre pour être écrit sur ce questionnaire stupide. Le problème avec ce questionnaire stupide n’est pas tant que les gens ne disent pas la vérité – même s’ils ne la disent pas. Le problème, c’est qu’il est impossible d’être honnête, même si on le veut. Les trucs sur la table de nuit ne révèlent pas votre âme. Les aspirations pour l’avenir ne peuvent être condensées pour des questionnaires ou des inconnus. Les questions avec des blancs à remplir sont amusantes mais ne sont pas vraiment révélatrices de l’avenir d’une relation à long terme. (D’ailleurs, elles ne sont pas si amusantes que cela.) Même le truc avec des réponses directes ne parvient pas à révéler l’essentiel. Par exemple, Sam voulait sortir avec une femme qui cuisine et y prenne plaisir, mais il ne fallait pas que ce soit une espèce de fée du logis qui exige une maison impeccable tout le temps (Sam était plutôt désordonné). Ni qu’elle estime que la place d’une femme soit au foyer et qu’elle doive s’occuper de son homme (Sam était féministe). Ni qu’elle ne mange que de la nourriture issue de l’agriculture biologique, durable, locale, sans produits chimiques, écologiquement responsable, nature, crue et végétalienne (se rappeler l’inclination de Sam pour les produits laitiers). C’était juste que Sam ne cuisinait pas et qu’elle si, et que tous deux avaient besoin de se nourrir, et qu’en échange il s’occuperait d’autres tâches ménagères comme laver la vaisselle ou plier le linge ou récurer la salle de bains. Il n’y avait pas de place pour expliquer tout cela Adieu presque.indd 13 19/03/13 12:18 14 sur le questionnaire, pas même un endroit pour indiquer qu’il était le genre d’homme à donner de l’importance à ces menus détails bizarres. Et pourtant, un homme a des besoins. Et pas ceux auxquels vous pensez. Enfin, ceux-là aussi, mais ils n’étaient pas au premier plan dans l’esprit de Sam. Ce qui était important à ses yeux, c’est qu’il serait agréable d’avoir quelqu’un avec qui sortir dîner le vendredi soir et se réveiller le samedi matin, quelqu’un qui l’accompagnerait au musée, au cinéma, au théâtre, aux fêtes, au restaurant, aux matchs et en week-ends prolongés, en randonnée, et autres sorties de ski, visites chez les parents, cours d’œnologie et soirées professionnelles. C’était surtout ce dernier élément qui tracassait Sam car il travaillait pour l’entreprise à l’origine de ce site de rencontres dont le questionnaire lui causait tant de soucis. Elle employait beaucoup de frimeurs dynamiques – des hommes pour la plupart – qui amenaient de nombreux autres frimeurs dynamiques – des femmes pour la plupart – à leurs non moins nombreuses soirées pour frimeurs dynamiques en nœud pap’. Avant d’entrer dans cette entreprise, Sam ne portait jamais de cravate, n’était lui-même ni frimeur ni dynamique, et estimait sérieusement qu’un job d’ingénieur informaticien travaillant en box, entouré d’autres geeks avec leurs tee-shirts imprimés de logarithmes obscurs, leurs figurines de Star Trek et leur Rubik’s Cube, l’exempterait de ce genre de pressions professionnelles. Mais les avocats, vice-présidents, chefs comptables, investisseurs et autres invités de marque sabotaient le dress code. De plus, comme il s’agissait d’une société de rencontres en ligne, apparaître en solo à ces festivités était mauvais pour le développement de carrière. Sam passait ces soirées vêtu de son smoking trop raide, à échanger des blagues bizarroïdes pour initiés avec ses non moins bizarroïdes collègues ingénieurs informaticiens, en sirotant des vodkas tonic gratuites, tout en s’inquiétant de ne jamais tomber amoureux. Au lycée de Baltimore, quand Holly Palentine avait vu battre son joli cœur derrière son allure de geek et avait commencé par danser avec lui à la soirée en l’honneur de leur équipe de foot, avant d’accepter son invitation à dîner, Adieu presque.indd 14 19/03/13 12:18 15 puis de traîner avec lui dans sa cave les après-midi, après les cours, Sam en avait déduit qu’il épouserait son amoureuse du lycée. Il se souvenait avoir dansé tout contre elle lors du bal du printemps et imaginé le couple qu’ils formeraient à leur mariage. Puis elle lui avait envoyé une lettre du camp de scouts qu’elle animait pour lui demander s’ils pouvaient rester amis. Rester amis ? Sam ne s’était pas rendu compte qu’il était question de cela. À l’université du MIT, il avait essayé les nuits blanches dans les résidences universitaires et les filles qui flirtaient avec lui dans les soirées. Il était même tombé fou amoureux de la serveuse du bar « En Plein Cœur » (même s’il n’avait pas eu le courage de l’aborder). Il avait eu une vraie relation adulte avec Della Bassette, qui avait ensuite obtenu son diplôme avant de partir trois ans comme bénévole pour une ONG au Zimbabwe. Puis vécu une année et demie d’amour doublé d’un projet de fiançailles avec Jenny O’Dowd, qui l’aimait réellement et voulait être avec lui pour toujours, sauf qu’accidentellement, elle était également sortie avec son coloc juste avant la remise des diplômes. Deux fois. Puis Sam avait tenté de rester seul, ainsi il risquait nettement moins de se faire broyer l’âme et pulvériser le cœur. Il avait essayé de ne pas faire attention aux femmes, de ne pas prendre de risque, de passer du temps avec des copains, de partir en vacances en célibataire, de s’adonner au développement personnel et d’annuler son abonnement au câble. Rien de cela ne lui avait réussi. Ne pas être amoureux signifiait souffrir moins. Mais, franchement, il n’en voyait pas l’intérêt. Il n’en voyait pas l’intérêt, non parce qu’il faisait partie de ces gens qui devaient toujours être en couple. Ou parce qu’il se sentait incomplet sans une partenaire. Ni parce qu’il était trop difficile d’avoir des relations sexuelles autrement. Mais parce que en ne passant pas suffisamment de temps avec des gens qu’il aimait, Sam avait l’impression de passer trop de temps avec des gens qu’il n’aimait pas. Ses collègues de bureau étaient bien dans le travail, mais ils n’avaient pas grand-chose à se dire quand ils sortaient après le boulot. Prendre un pot avec des amis qu’il avait perdus de vue depuis la fac lui rappelait pourquoi il les avait perdus de vue. Adieu presque.indd 15 19/03/13 12:18 16 Échanger des banalités pendant des soirées organisées par des amis d’amis l’obligeait à trouver intéressantes des tas de choses qu’il ne trouvait pas intéressantes. Quand il avait quitté la côte Est pour Seattle, Sam avait essayé les sites de rencontres et n’en revenait pas d’avoir vécu trente-deux ans et demi sans jamais y avoir pensé. Sam croyait à l’informatique et à la programmation, à l’information codifiable, aux algorithmes, aux nombres et à la logique. Son père était également un ingénieur en informatique, professeur à l’université John Hopkins, et Sam fut donc élevé dans la foi. Sa religion, c’étaient les ordinateurs. Tous les autres considéraient les rencontres par Internet comme la seule solution quand on n’avait pas réussi à faire la connaissance de quelqu’un dans le vaste vivier de l’université. Mais Sam aimait les sites de rencontres parce que ceux-ci limitaient les risques. Dans la vie, vous croisiez une fille, vous l’appréciiez et elle vous appréciait et vous vous lanciez, sortiez ensemble et tout se passait plutôt bien et vous vous sentiez de plus en plus proches, partagiez de plus en plus de choses, tombiez profondément amoureux et pourtant elle couchait avec votre coloc quand vous rentriez chez vous pour le week-end. Les ordinateurs ne se permettraient jamais de tels écarts. Pour Sam, les rencontres en ligne devaient encore faire leurs preuves, mais cela en valait la peine. Au final, on trouvait la perle rare. Un matin de juin, un-de-ces-jours-où-ilfait-trop-beau-pour-aller-travailler, toute l’équipe de Sam reçut un message penaud de leur chef. — Soyez prévenus, écrivait Jamie. Le thème de BB pour le SNP d’aujourd’hui : Quantifier le cœur humain. Jamie faisait référence au P.‑D.G. extrêmement important de la boîte, le chef de son chef. Le Big Boss. Sam l’appréciait pour cela. BB avait récemment décrété que les équipes commenceraient le matin par une réunion debout, partant du principe que l’entreprise gâchait le temps de ses brillants programmeurs avec une vraie réunion alors qu’une brève rencontre dans le couloir suffisait. Généralement, cela signifiait qu’elle durerait le temps d’une vraie réunion mais sans le confort des chaises et d’un croissant. C’est pour cela Adieu presque.indd 16 19/03/13 12:18 17 que Jamie l’appelait une SNP, théoriquement pour Sur Nos Pieds, même si, à la fin de la réunion, ils étaient pratiquement SLR, Sur Les Rotules. Sam appréciait Jamie pour cela aussi. Et également parce qu’il n’était pas à cheval sur la ponctualité, ce qui donnait à Sam le temps de retourner à son appartement pour enfiler des chaussures plus confortables. — Donc voilà l’affaire, commença Jamie quand Sam arriva. BB pense qu’il nous faut un produit plus vendeur. Certains sites de rencontres promettent des rendez-vous super éclatants. D’autres se targuent d’avoir les plus hauts pourcentages de mariages. BB veut augmenter la mise. Trop de rencontres finissent en déconfiture. Trop de mariages se terminent en divorces. Qu’y a-t‑il de mieux qu’un rendezvous amoureux ou que le mariage ? — Des amis avec des dividendes, proposa Nigel d’Australie. — Une âme sœur, corrigea Jamie. BB veut un algorithme pour trouver l’âme sœur. Et pour ça, je m’adresse à vous. L’amour est une chose complexe. Avec beaucoup de variables humaines. L’âme n’est pas logique. Cœur veut ce que cœur veut. Difficile à cerner. Difficile à quantifier et à programmer. Mais nous sommes des programmeurs et c’est notre boulot. Il faut donc s’y mettre. À vous de me dire comment. — En augmentant les probabilités de coucher, proposa Nigel. Les rendez-vous des losers mènent à des rapprochements plus nombreux et plus précoces. Plus loin vous allez lors d’un premier rendez-vous, plus vous en saurez sur la compatibilité sexuelle. — Ça ne marche pas, objecta Rajiv de New Delhi. Les rendez-vous, ça craint. Sur ce point, tous les informaticiens, mis à part Nigel, étaient d’accord. — C’est pas marrant, objecta Gaurav de Mumbai. — C’est très bizarre, intervint Arnab d’Assam. — Et en plus, ce ne sont que des mensonges, ajouta Jayaraj de Chennai. Cinq États en Inde dont Sam était devenu un expert depuis qu’il avait commencé à travailler en tant Adieu presque.indd 17 19/03/13 12:18
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