Feuilleter un extrait de Mr Peanut d'Adam Ross - Page 1 - Le premier chapitre de Mr Peanut d'Adam Ross aux Editions 10/18 Sur l’auteur Adam Ross est né et a grandi à New York. Comme tout enfant acteur, il a fait des apparitions dans des films, des publicités et des émissions de télévison. Il a obtenu un M.A. en creative writing de l’université Hollins et un M.F.A. en creative writing de l’université de Washington, où il a étudié avec Richard Dillard, Stanley Elkin et William Gass. Son premier roman, Mr. Peanut, a été acclamé par la critique et s’est vendu dans treize pays. Son nouveau livre, Ladies and Gentlemen, vient de paraître aux éditions Knopf, aux États- Unis. Adam Ross vit à Nashville, dans le Tennessee, avec sa femme et ses deux filles. Site officielÞ: adam-ross.com 001_516_168554THA_PEANUT_fm7_xml.fm Page 4 Mercredi, 29. juin 2011 5:08 17 10 18 ADAM ROSS MR.þPEANUT Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Baptiste DUPIN 001_516_168554THA_PEANUT_fm7_xml.fm Page 5 Mercredi, 29. juin 2011 5:08 17 Ce livre est une œuvre de fiction. Tous les noms, personnages, lieux et événements dépeints dans ce roman sont le fruit de l’imagi- nation de l’auteur ou sont utilisés fictivement. Toutes ressemblances avec des personnes, vivantes ou mortes, des événements ou des lieux seraient pures coïncidences. Titre originalþ: Mr.þPeanut © Adam Ross, 2010. Tous droits réservés. © Éditions 10/18, Département d’Univers Poche, 2011, pour la traduction française. ISBN-978-2-264-05214-8 001_516_168554THA_PEANUT_fm7_xml.fm Page 6 Mercredi, 29. juin 2011 5:08 17 Pour Beth 001_516_168554THA_PEANUT_fm7_xml.fm Page 7 Mercredi, 29. juin 2011 5:08 17 Où suis-je dans cet écheveau de jalousies qui tremble à chaque mouvement humainþ? Quels limiers nous faut-il être. Harold Brodkey Je suis remonté à l’étage, j’ai regardé ma femme, j’ai pris son pouls sur le cou, et j’ai su, ou cru, qu’elle était morte. J’ai perdu ou cru perdre tout repère, comme pris de vertige, en proie à un rêve étrange. Déposition du Dr Sam Sheppard enregistrée au bureau du shérif du comté de Cuyahoga, Cleveland, Ohio, le 10þjuillet 1954, après consultation avec ses avocats. 001_516_168554THA_PEANUT_fm7_xml.fm Page 9 Mercredi, 29. juin 2011 5:08 17 11 La première fois que David Pepin rêva de tuer sa femme, ce n’était pas lui qui la tuait. Il imagina une intervention divine providentielle. Ils pique-niquaient sur la plage lorsqu’un orage approcha. Tandis qu’ils rangeaient pliants, couvertures et alcool, un éclair jaillit. David vit Alice prendre feu et se transformer, comme dans les dessins animés, en un squelette avant de s’écrouler, réduite à un tas de cendres fumant. Il la regarda trottiner sur le sable, seul point culminant dans l’horizon vide. Elle s’arrêta même pour contempler les nua- ges qui s’amoncelaient dans le ciel. «þUne belle tempêteþ», fit- elle. Alors, mû par un orgueil démesuré, il tenta le sortþ: «þMoi, David Pepin, qui suis plus sage et plus savant que Dieu, j’affirme et déclare qu’en cet instant et sur cette plage, Jones Beach, Dieu ne foudroiera pas ma femme.þ» Dieu s’abstint. Évidemment. Une fois dans leur van, alors que la pluie tombait si fort qu’ils se seraient crus dans une station de lavage, il se glorifia de sa déité auprès d’Alice en lui deman- dant, pour la forme, si cet énorme pénis, ce pénis si raide (et si exhibé) pouvait être d’une nature autre que divine. Et là, sur la banquette avant, à l’abri des éléments déchaînés, il fit l’amour à sa femme avec colère et passion. Il rêvait ainsi de plus en plus souvent, sans le vouloir, par intermittence. Les images surgissaient en lui, voilà tout. L’appelait-elle du travail qu’il s’inquiétait aussitôtþ: «þIl ne t’est rien arrivéþ?þ» Et si elle rentrait plus tard que de cou- tume, il imaginait tout de suite le pire. Il se mit à rêver en 001_516_168554THA_PEANUT_fm7_xml.fm Page 11 Mercredi, 29. juin 2011 5:08 17 12 suivant son emploi du temps. «þTu prends le train aujourd’huiþ?þ» lui demanda-t-il un matin. «þComme d’habi- tudeþ», répondit Alice. Ils vivaient à un bloc de Lexington Avenue d’où elle empruntait le métro jusqu’à la 42e þRue. Une fois à Grand Central, elle attrapait un train pour Hawthorne, à trente minutes de là, où elle faisait la classe à des enfants émotionnellement perturbés, et occasionnelle- ment dangereux. Entre ces deux points, tout pouvait arri- ver. Il vit deux gamins chahuter sur le quai alors que la rame entrait en gare. Une bousculade involontaire. Alice pivotait sur elle-même pour tomber à la renverse sur la voie, dans une sorte de dos crawlé. Et c’était fini. David fit la grimace. Vraiment, les choses qui lui passaient par la têteþ! Posté devant la fenêtre, il regarda Alice s’éloigner. Un hélicoptère survolait la ville. On hissait une poutre métalli- que au-dessus de l’immeuble en construction sur Lexing- ton. Et David imagina que c’était la dernière fois qu’il verrait jamais sa femme – que c’était la dernière image qu’il garderait d’elle. Un sentiment de tristesse l’envahit peu à peu, un tout petit avant-goût de perte, comme quand, enfant, on souhaite la mort de ses parents. Il ne pouvait y avoir de violence. Ses fantasmes respec- taient cette morale étrange. Il voyait la grue vaciller, l’héli- coptère tomber en vrille, mais éliminait toute terreur, toute douleur. On retrouvait Alice sous les décombres, tuée sur le coup, ou parfois David apparaissait à ses côtés, incrusté juste avant le moment fatidique. Il lui tenait la main, ils échangeaient leurs dernières paroles, et il l’accom- pagnait délicatement vers la mort. —þJe t’aime, David, disait Alice. —þMoi aussi, je t’aime, Alice, répondait David. Les yeux d’Alice se figeaient. Il ne pouvait y avoir de vio- lence. Pourtant, il arrivait à David de se transformer en un véritable Walter Mitty1 du meurtre. Il n’y avait plus d’inter- 1. La Vie secrète de Walter Mitty, nouvelle de James Thurber parue en 1939, dans laquelle le personnage principal, comptable dominé par 001_516_168554THA_PEANUT_fm7_xml.fm Page 12 Mercredi, 29. juin 2011 5:08 17 13 médiaire. Il le faisait, lui. Il tuait Alice d’une balle de revol- verþ; il la battait à mortþ; il l’étouffait sous un oreiller. Mais ces fantasmes étaient tronquésþ: ils surgissaient dans son esprit, puis il les interrompait avant le moment final parce qu’il n’arrivait jamais à la surprendre. Elle le reconnaissait lorsqu’il sortait de l’ombre armé d’un couteau, d’une batte de base-ball ou d’un pistolet, il sentait sa main agripper le bras qui maintenait le coussin contre son visage – et c’était beaucoup trop horrible pour l’envisager. —þGrosse baleineþ! lui cria-t-il parce qu’elle était énorme. Espèce de baleine bleueþ! (Elle avait combattu la dépression avec énergie mais reprenait des médocs main- tenant.) Quand ils se disputaient, ils se montraient féroces. Après treize ans de mariage, ils en étaient encore à se donner des coups bas. —þGénieþ! lui rétorqua-t-elle. Ça, ça le rendait dingue. Il était président et concepteur en chef de Spellbound, une petite boîte de jeux vidéo extrê- mement prospère. Dans son milieu, on disait couramment de lui qu’il était génial, mais, dans ses moments de doute, David confessait que les jeux qu’il produisait étaient au mieux débiles et au pire décérébrants, autant pour lui que pour les gamins qui y jouaient. —þJ’aimerais te voir morteþ! cria David. —þMoi aussiþ! Mais c’était un soulagement. Le désir était réciproque. Il n’était pas seul. Plus tard, après une accalmie, il s’excusa. —þJe suis désolé, je ne devrais pas te dire des choses pareilles. —þExcuse-moi, répondit Alice. Je déteste quand on se dispute. sa femme, se rêve en héros d’aventures extravagantes. L’expression désigne une personne qui rêve d’une vie plus excitante et éclatante que la sienne. (Toutes les notes sont du traducteur.) 001_516_168554THA_PEANUT_fm7_xml.fm Page 13 Mercredi, 29. juin 2011 5:08 17 14 Ils s’étreignirent au milieu du salon. C’était le soir, et l’appartement était plongé dans l’obscurité. Ils étaient res- tés assis des heures, chacun de leur côté, dans le noir. Son amour pour sa femme s’en trouvait régénéré. Comment avait-il pu penser ce qu’il avait penséþ? Ils prirent une dou- che ensemble, une de leurs activités préférées. Il appuya ses bras contre le mur et elle couvrit son dos de mousse, net- toya ses fesses et le frotta derrière les oreilles. Tout en le rasant, elle imita ses grimaces sans le vouloir. Ensuite, elle se fit couler un bain. —þTu sais à qui j’ai pensé aujourd’huiþ? demanda David. Les choses entre eux étaient encore fragiles et meurtries, il voulait bavarder. —þÀ quiþ? —þAu Dr Otto. Elle leva les yeux vers lui. Et lui sourit tristement. David ne savait pas trop si c’était à cause des pensées associées à ce nom ou du temps qui s’était écoulé depuis qu’ils s’étaient rencontrés à son cours. Assis sur le bord de la bai- gnoire, la cheville d’Alice dans la main, il rasait avec soin le mollet qu’il venait de savonner. Les poils poussaient de façon anarchique, un peu partout. —þTu l’as revuþ? —þPas depuis des années. J’ai lu dans le bulletin que sa femme était morte. —þComme c’est tristeÞ! —þJe suis sûr que ça lui a fait un choc. —þC’en serait un pour n’importe qui. Elle avait rempli la baignoire à ras bord. Ses bras dépas- saient de chaque côté comme les nageoires d’un dauphin. Ses seins flottaient pareils à des îles jumelles. Elle avait un visage magnifique, des cheveux châtains merveilleusement longs et fins, de fabuleux yeux noisette. Mais elle était deve- nue énorme et David ne la plaignait pas, bien qu’il sût que son poids lui rendait tout déplacement pénible. Cette année elle était montée jusqu’à cent trenteþkilos six comme l’indiquait la balance digitale aux éclatants chiffres rouges 001_516_168554THA_PEANUT_fm7_xml.fm Page 14 Mercredi, 29. juin 2011 5:08 17 15 (achetée sur recommandation du médecin). Elle se pesait le matin au réveil, ses cheveux couvrant son visage tandis qu’elle regardait entre ses pieds. —þJe souhaiterais être morte, disait-elle. Et il lui souhaitait de mincir pour son bonheur à elle, même si, quant à lui, il souhaitait qu’elle restât grosse. Il aimait son gigantisme, il aimait se cramponner aux plis de son énorme cul. Quand il la prenait par-derrière, il s’imaginait comme une sorte de Gulliver classé X chez les Brobdingnags. C’était la disproportion entre eux qui l’excitait. Les yeux fermés, il exagérait sa taille à elle, se rapetissait à l’extrême et se voyait la chevaucher, les bras écartés, s’enfonçant en elle pour la vie, pour la vie, pour la vie. Elle n’était plus sa femme mais une créature géante, un animal familier sexuel extra large qu’il lui fallait bai- ser, toiletter, entretenir. Après qu’ils avaient fait l’amour, elle demeurait immobile (l’obésité n’avait pas altéré ses formes, elle les avait juste amplifiéesþ; Alice s’était élargie comme la Vénus de Willendorf) allongée sur le ventre, les paumes tournées vers le plafond, les yeux figés, grands ouverts, foudroyée par le puissant amour de David. Il n’y avait pas d’enfants. À la fin, cela avait été son choix à elle. —þJ’ai vu Marnie l’autre jour, dit Alice. David, qui travaillait dans son bureau, ferma la fenêtre sur son écran. —þEtþ? —þElle est enceinte. Alice se tut. David aussi. Il s’accouda sur son bureau et posa son menton dans sa main. —þIls viennent d’apprendre que leur second enfant était une fille, reprit Alice. —þEtþ? —þIls n’ont que deux chambres. —þContinue. 001_516_168554THA_PEANUT_fm7_xml.fm Page 15 Mercredi, 29. juin 2011 5:08 17
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