Lire un extrait de Moi, Jennifer Strange, dernière tueuse de Dragons de Jasper Fforde - Page 1 - PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-19/4/2011 12H10--L:/TRAVAUX2/FLEUVE-N/MOI-JENN/TEXTE.779-PAGE6 (P01 ,NOIR) Titre original : The Last Dragonslayer Collection « Territoires » dirigée par Bénédicte Lombardo Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2e et 3e a), d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon, sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. © Jasper Fforde, 2010 © 2011, Fleuve Noir, département d’Univers Poche, pour la traduction française. ISBN 978-2-265-09306-5 PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-19/4/2011 12H10--L:/TRAVAUX2/FLEUVE-N/MOI-JENN/TEXTE.779-PAGE7 (P01 ,NOIR) À une époque, j’ai été célèbre. On a vu ma tête sur des T-shirts, des badges, des tasses à thé et des posters. J’ai fait la une des journaux, je suis passée à la télé, et j’ai même été invitée au Yogi Baird Show. Le Quotidien des Palourdes m’a proclamée « L’adolescente la plus remarquable de l’année » et j’ai été élue femme de l’année par Mollusque-Dimanche. On a deux fois essayé de me tuer, on m’a menacée de la prison, j’ai reçu seize demandes en mariage et j’ai été déclarée hors la loi par le roi Snodd. Tout cela, et plus encore, et en moins d’une semaine. Je m’appelle Jennifer Strange. PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-19/4/2011 12H10--L:/TRAVAUX2/FLEUVE-N/MOI-JENN/TEXTE.779-PAGE9 (P01 ,NOIR) Magie Pratique Il semblait devoir faire encore plus chaud dans l’après-midi, alors même que le travail deviendrait plus délicat et exigerait davantage de concentration. Toutefois, le beau temps avait un avantage : la magie fonctionne mieux et porte plus loin quand l’air est sec. L’humidité exerce un effet modérateur sur les Arts Mystiques. Aucun magicien digne de ce nom n’a jamais accompli de travail productif sous la pluie – ce qui explique sans doute pourquoi les averses étaient naguère considérées comme faciles à déclencher et presque impossibles à arrêter. Un taxi ou un minibus aurait constitué une extra- vagance inutile, aussi les trois magiciens, le quarkon et moi-même étions-nous entassés dans ma Volks- wagen pour le court trajet de Hereford à King’s Pyon. C’était le corpulent « Plein » Tariff qui conduisait. Dame Mawgon occupait le siège du passager, tandis que je partageais la banquette arrière avec le Mage 9 PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-19/4/2011 12H10--L:/TRAVAUX2/FLEUVE-N/MOI-JENN/TEXTE.779-PAGE10 (P01 ,NOIR) Moobin et le quarkon haletant, assis entre nous deux. Nous avions parcouru les trois cinquièmes du chemin dans un silence tendu quand nous avons montré nos laissez-passer à la sentinelle et quitté la ville fortifiée pour la banlieue. Le silence n’était pas inhabituel : ces trois-là, quoique nos sorciers les plus talentueux, ne s’entendaient pas très bien. Ça n’avait pas grand- chose de personnel : les magiciens sont ainsi, voilà tout, caractériels et prompts à piquer des colères que seuls le temps et beaucoup d’énergie peuvent apaiser. Diriger Kazam mettait en jeu moins de sorts et d’enchantements que de bureaucratie et de diplomatie – travailler avec les maîtres des Arts Mystiques était parfois aussi difficile que de rassembler un troupeau de chats. Le boulot qui nous attendait à King’s Pyon étant trop important pour Tariff et Moobin, j’avais dû convaincre Dame Mawgon de les épauler. Si elle estimait ce genre de tâche indigne d’elle, elle n’était pas moins réaliste que les autres : Kazam était presque ruiné et nous avions désespérément besoin de cet argent. — J’aimerais bien que vous gardiez les mains sur le volant, a-t-elle ronchonné en jetant un regard désapprobateur à Plein Tariff, lequel conduisait par magie, les bras croisés, tandis que le volant tournait tout seul. Pour la vieille femme qui, en des temps plus cléments, avait été sorcière royale, de telles démonstrations publiques étaient l’apanage des frimeurs impénitents et des indécrottables mal élevés. — Je m’accorde, a répliqué Tariff, indigné. Ne me dites pas que vous n’en avez pas besoin. 10 PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-19/4/2011 12H10--L:/TRAVAUX2/FLEUVE-N/MOI-JENN/TEXTE.779-PAGE11 (P01 ,NOIR) Le Mage Moobin et moi avons regardé Dame Mawgon, curieux de savoir comment elle-même s’accordait. Moobin, lui, s’était échauffé en bricolant son numéro de La Fatigue Oculaire de Hereford. Depuis le départ du bureau, vingt minutes plus tôt, il avait fait les mots croisés. Cela n’avait rien d’étrange en soi, la grille de La Fatigue est rarement compliquée, mais il s’était servi pour cela de lettres imprimées sur le reste de la page et déplacées par la force de son esprit. Les mots croisés étaient donc achevés et plus ou moins justes mais ils laissaient un aspect décousu à un article consacré au parrainage par la reine Mimosa de la Caisse d’assistance aux veuves des Guerres trolliques. — Je ne suis pas obligée de vous répondre, a déclaré Dame Mawgon, hautaine. Qui plus est, je déteste le mot « s’accorder ». Le terme qui convient a toujours été quazafuquer. — Utiliser la vieille langue nous donne l’air archaïques et ringards, a répondu Tariff. — Ça nous donne l’air que nous sommes censés avoir, a répliqué Dame Mawgon. Investis d’un noble sacerdoce. D’un sacerdoce autrefois noble, a songé Moobin, diffusant par inadvertance son inconscient sur une onde alpha tellement basse que, même moi, je l’ai entendu. La vieille magicienne a pivoté sur son siège pour lui lancer un regard furieux. J’ai soupiré. Telle était ma vie. Des quinze magiciens, augures, déplaceurs, méta- morphoseurs, météothurges et pilotes de tapis que comptait Kazam, Dame Mawgon était sans conteste 11 PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-19/4/2011 12H10--L:/TRAVAUX2/FLEUVE-N/MOI-JENN/TEXTE.779-PAGE12 (P01 ,NOIR) la plus âgée et peut-être la plus puissante. Comme tout le monde, elle voyait ses pouvoirs diminuer radi- calement depuis trois décennies mais, au contraire de tout le monde, elle n’acceptait pas que les Arts Mystiques perdent leur importance dans la vie quoti- dienne du commun des mortels. À sa décharge, elle était tombée de plus haut que les autres, mais ce n’était pas une bonne excuse : les sœurs Karamazov pouvaient se vanter d’avoir servi des têtes couronnées, elles aussi, et elles étaient bonnes comme le bon pain. Complètement cinglées, toutes les deux, mais néan- moins charmantes. J’aurais pu davantage plaindre Mawgon si elle ne s’était pas montrée en permanence aussi pénible. Devant elle, je me sentais toute petite, son attitude intimidante me mettait mal à l’aise et elle manquait rarement une occasion de me remettre à ma place. Depuis la disparition de M. Zambini, ça ne s’était pas arrangé, bien au contraire. — Quark, a dit le quarkon. — On était vraiment forcés d’emmener cet animal ? a demandé Plein Tariff, qui ne l’avait jamais vraiment apprécié. — Il a sauté dans la voiture quand j’ai ouvert la portière. L’intéressé a bâillé, révélant plusieurs rangées de crocs aiguisés comme des rasoirs. En dépit de sa nature placide, on ne discutait jamais avec un quarkon, au cas où. — Je manquerais à mon devoir de directrice suppléante de Kazam si je ne soulignais pas l’impor- tance de ce travail, ai-je déclaré d’une voix prudente. 12 PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-19/4/2011 12H10--L:/TRAVAUX2/FLEUVE-N/MOI-JENN/TEXTE.779-PAGE13 (P01 ,NOIR) Comme disait M. Zambini, il faut s’adapter pour survivre et, en cas de succès, nous obtiendrons peut- être le marché lucratif dont nous avons tant besoin. — Peuh ! a lâché Dame Mawgon, irritée par mes paroles, aussi justes qu’elles soient. — On aura tous besoin d’être en accord et prêts à démarrer en trombe, ai-je ajouté, à son intention. J’ai affirmé à M. Digby que nous aurions terminé ce soir à six heures. Ils n’ont pas discuté. Je pense qu’ils connaissaient assez les enjeux sans que je les leur rappelle. En guise de réponse, Dame Mawgon a tapoté la jauge d’essence de la Volkswagen, laquelle a bondi de la moitié aux trois quarts du plein. Malgré son attitude boudeuse, la vieille magicienne était bien accordée. J’ai frappé à la porte d’une maison en briques rouges à l’orée du village. Un homme d’âge moyen, au visage rougeaud, est venu ouvrir. — Monsieur Digby ? Je suis Jennifer Strange, la directrice suppléante de Kazam pour M. Zambini. C’est moi que vous avez eue au téléphone. Il m’a examinée de la tête aux pieds. — Vous m’avez l’air un peu jeune pour diriger une agence. — Servitude, ai-je répondu sur un ton allègre, tentant de contourner le mépris que la plupart des citoyens libres éprouvent pour les gens comme moi. J’avais été élevée chez les Sœurs qui, peu au fait de leur époque, croyaient encore la carrière d’agent en Arts Mystiques honorable et profitable. Ayant 13 PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-19/4/2011 12H10--L:/TRAVAUX2/FLEUVE-N/MOI-JENN/TEXTE.779-PAGE14 (P01 ,NOIR) presque seize ans, j’avais encore quatre ans de béné- volat à assurer avant de seulement songer à partir. — Serve ou pas, vous avez quand même l’air trop jeune, a répondu M. Digby, qu’on ne décourageait pas comme ça. Où est M. Zambini ? — Il est indisposé à l’heure actuelle, ai-je répondu. J’ai endossé ses responsabilités. Pouvons-nous commencer ? — D’accord, a capitulé M. Digby, maussade, en prenant son chapeau et son manteau, mais nous sommes convenus que vous aurez terminé vers six heures, n’est-ce pas ? Comme je confirmais que tel était bien le cas, il m’a tendu les clefs de chez lui puis s’en est allé après avoir salué d’un signe de tête soupçonneux Mawgon, Tariff et Moobin, debout près de ma voiture. Ayant fait un grand détour pour éviter le quarkon, il est monté dans son propre véhicule et s’est éloigné. Avoir des civils aux alentours quand on pratiquait la sorcel- lerie n’était pas souhaitable. Même les incantations les plus solides traînaient des filaments enchantés redondants susceptibles de provoquer des catas- trophes si on leur permettait de se poser sur le grand public. Rien de grave ne se produisait jamais : on constatait surtout des croissances rapides de la pilosité nasale, des couinements de gorets et autres effets du même genre, qui passaient rapidement mais consti- tuaient de la mauvaise publicité – et la crainte d’un procès n’était jamais très loin de nos pensées. — Très bien, ai-je dit à mes compagnons. À vous de jouer. 14 PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-19/4/2011 12H10--L:/TRAVAUX2/FLEUVE-N/MOI-JENN/TEXTE.779-PAGE15 (P01 ,NOIR) Les trois mages se sont regardés. La plupart des cinquante-deux Artisans Mystiques de Kazam avaient pris leur retraite ou étaient trop fous pour tenir le moindre emploi. Quinze étaient capables de travailler mais seulement sept d’entre eux disposaient d’un permis valide. Quand chacun travaillait, c’était pour subvenir aux besoins de quatre autres personnes. — Autrefois, j’invoquais des orages, a soupiré Dame Mawgon. — On en était tous capables, a répliqué le Mage Moobin. — Quark, a dit le quarkon. Je me suis éloignée tandis qu’ils commençaient à discuter du meilleur point de départ. Aucun d’eux n’avait encore changé une installation électrique par sorcellerie mais ils estimaient qu’une telle tâche pouvait être accomplie avec une relative aisance en reconfigurant quelques sorts élémentaires – à condi- tion que tous trois mettent leurs ressources en commun. Conquérir le marché des réparations domestiques était une idée de M. Zambini. Charmer les taupes pour qu’elles quittent les jardins, redimen- sionner des marchandises pour les entrepôts et retrouver des objets perdus ne présentait pas de diffi- culté mais rapportait peu. Refaire une installation électrique, c’était différent. Au contraire des artisans conventionnels, nous n’avions pas besoin de toucher la maison : pas de saletés, pas de soucis et moins d’une journée de travail. Je me suis installée dans la Volkswagen pour rester près du téléphone auquel seraient transférés tous les appels au bureau. Je n’étais pas juste la directrice de 15 PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-19/4/2011 12H10--L:/TRAVAUX2/FLEUVE-N/MOI-JENN/TEXTE.779-PAGE16 (P01 ,NOIR) Kazam, j’en étais aussi la réceptionniste, la secrétaire et la comptable. Je devais prendre soin des cinquante- deux magiciens qui dépendaient de moi, de l’immeuble délabré qui les accueillait, et remplir les nombreux formulaires qu’exigeait l’acte des Pouvoirs magiques (modifié en 1966) pour jeter les sorts même les plus insignifiants. J’accomplissais toutes ces tâches pour deux raisons : primo, je vivais à Kazam depuis l’âge de dix ans et en connaissais les rouages par cœur ; secundo, personne d’autre ne voulait s’en occuper. Le téléphone a sonné. — Agence Kazam, ai-je fait de ma voix la plus avenante. Que puis-je pour vous ? — M’aider, j’espère, a répondu une voix adoles- cente timide à l’autre bout du fil. Est-ce que vous auriez quelque chose pour que Patty Simcox tombe amoureuse de moi ? — Vous avez essayé les fleurs ? ai-je demandé. — Les fleurs ? — Ben, oui. Le cinéma, quelques blagues. Aller dîner, danser. Porter de l’après-rasage Péquenot. — De l’après-rasage Péquenot ? — Oui. Vous vous rasez, non ? — Une fois par semaine, maintenant, a répondu le garçon. Ça commence à devenir une corvée. Mais, écoutez, je me disais qu’il serait plus facile de… — On pourrait faire quelque chose, oui, mais ce ne serait plus Patty Simcox, juste un morceau d’elle, la partie la plus malléable. Vous auriez l’impression de sortir avec un mannequin de couturier. L’amour est un domaine qu’il vaut vraiment mieux ne pas 16
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