Lire un extrait de Comment Braquer Une Banque - Page 1 - Lire un extrait du livre Comment Braquer une Banque Sans Perdre son Dentier de Catharina Ingelman-Sundberg CATHARINA INGELMAN-SUNDBERG COMMENT BRAQUER UNE BANQUE SANS PERDRE SON DENTIER Traduit du suédois par Hélène Hervieu 208948BAQ_BRAQUER_CS5.indd 5208948BAQ_BRAQUER_CS5.indd 5 13/02/2014 09:29:1013/02/2014 09:29:10 Titre original : Kaffe med Rån Fleuve Éditions, une marque d’Univers Poche, est un éditeur qui s’engage pour la préservation de son environnement et qui utilise du papier fabriqué à partir de bois provenant de forêts gérées de manière responsable. Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2e et 3e a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple ou d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. © 2012, Catharina Ingelman-Sundberg, en accord avec Grand Agency. © 2014, Fleuve Éditions, département d’Univers Poche, pour la traduction française. ISBN : 978-2-265-09763-6 208948BAQ_BRAQUER_CS5.indd 6208948BAQ_BRAQUER_CS5.indd 6 13/02/2014 09:29:1013/02/2014 09:29:10 Prologue La vieille dame empoigna son déambulateur, accrocha la canne à côté du panier en essayant de se donner un air déterminé. Être une bonne femme de 79 ans sur le point de commettre son premier hold-up, cela exigeait une certaine autorité. Elle se redressa, enfonça son chapeau sur son front et poussa la porte. Lentement, appuyée sur son déambulateur de la marque Carl-Oskar, elle entra dans la banque. C’était cinq minutes avant la fermeture, et trois clients attendaient leur tour. Le déambulateur grinçait un peu même si elle l’avait graissé avec de l’huile d’olive. Depuis qu’elle était entrée en collision frontale avec le chariot de ménage de la société de services, une des roues faisait des siennes. Mais pour un tel jour, aucune importance. L’essentiel était que le déambulateur eût un grand panier pour y mettre beaucoup d’argent. Originaire de Södermalm, Märtha Anderson se tenait un peu penchée en avant, habillée d’un imperméable de couleur indéterminée, choisi sciemment pour ne pas attirer l’attention. Elle était plus grande que la moyenne, enveloppée disons, mais pas grosse, et elle portait de bonnes chaussures de marche sombres afin de faciliter une éventuelle fuite. Ses mains aux 7 208948BAQ_BRAQUER_CS5.indd 7208948BAQ_BRAQUER_CS5.indd 7 13/02/2014 09:29:1113/02/2014 09:29:11 veines apparentes étaient gantées d’une vieille paire en cuir et elle avait dissimulé ses cheveux blancs sous un chapeau marron à large bord. Autour du cou, elle avait noué un châle de couleur fluo. Au cas où elle serait photographiée, le fluo provoquerait automatiquement la surexposition de tout ce qui se trouvait autour et les traits de son visage disparaîtraient. Mais ce n’était qu’une précaution de plus – sa bouche et son nez étaient déjà cachés par son chapeau. La petite banque dans la Götagatan ressemblait à s’y méprendre à toutes les banques d’aujourd’hui. Il n’y avait plus qu’un seul guichet, des murs impersonnels, un sol bien astiqué ; sur une petite table traînaient des brochures à propos d’emprunts avantageux avec des conseils sur la manière de s’enrichir. Ah, chers créateurs de brochures, pensa Märtha, moi, je connais des solutions bien plus efficaces ! Elle s’installa sur le canapé des visiteurs et fit semblant d’étudier les affiches sur des prêts d’épargne logement et des fonds d’action, mais elle avait du mal à empêcher ses mains de trembler. Discrètement, elle sortit des bonbons de sa poche, une mauvaise habitude contre laquelle les médecins la mettaient en garde, et qui faisaient le bonheur des dentistes. Mais avec un nom aussi contestataire que Rugissement de la Jungle, ces réglisses archisalées convenaient parfaitement à un jour comme celui-ci. Et puis, après tout, elle avait bien le droit d’avoir des faiblesses. Le panneau d’appel émit un bip, et un homme dans la quarantaine se précipita vers le guichet. Son affaire fut vite expédiée, ainsi que celle de l’adolescente après lui. Ensuite ce fut le tour d’un monsieur plus âgé qui farfouilla longtemps dans ses papiers tout en marmonnant. Märtha commença à s’impatienter. Il ne fallait pas qu’elle reste ici trop longtemps. On pourrait remarquer son comportement et d’autres détails susceptibles de la trahir. Cela serait embêtant, juste au moment où elle voulait avoir l’air d’une dame âgée ordinaire venue à la banque pour retirer de l’argent. 8 208948BAQ_BRAQUER_CS5.indd 8208948BAQ_BRAQUER_CS5.indd 8 13/02/2014 09:29:1113/02/2014 09:29:11 Et c’était exactement ce qu’elle allait faire, même si la caissière serait étonnée du montant… Märtha fouilla dans la poche de son imperméable pour retrouver la coupure de journal de Dagens Industri. Elle l’avait découpée dans une rubrique qui disait que les braquages coûtaient cher aux banques. L’article titrait : « Ceci est un hold-up ! » Son action s’inspirait précisément de ces mots. L’homme devant le guichet ayant bientôt fini, Märtha se releva en s’appuyant sur le déambulateur. Pendant toute sa vie, elle avait été quelqu’un de bien, qui inspirait confiance, elle avait même été déléguée de classe à l’école. À présent, elle allait devenir une criminelle. Mais il fallait bien qu’elle organise sa vieillesse ! Elle avait besoin d’argent pour s’offrir une belle maison pour les siens et elle-même ; ce n’était pas le moment de faire machine arrière. Avec ses vieux amis de la chorale, elle voulait vivre un troisième âge « radieux ». Bref, faire un peu la nouba à l’automne de la vie. Il en prenait du temps, le monsieur là-bas, pour ranger ses papiers ! Finalement le numéro de Märtha s’afficha. Avec lenteur mais dignité, elle s’avança vers le guichet. Tout ce qu’elle avait accumulé durant sa vie en termes de respectabilité allait voler en éclats en un instant. Mais que faire d’autre dans une société d’escrocs qui maltraite ses aînés ? Soit on acceptait et on se laissait anéantir, soit on s’adaptait. Elle avait toujours été du genre à s’adapter. En franchissant les derniers mètres, elle regarda attentivement autour d’elle avant de s’arrêter devant le guichet, de poser sa canne sur le comptoir et de saluer la caissière d’un signe amical de la tête. Puis elle lui tendit la coupure de journal. « Ceci est un hold-up ! » La femme au guichet lut ces quelques mots et releva les yeux avec un sourire bienveillant. — En quoi puis-je vous être utile ? — Trois millions, et vite ! dit Märtha. 9 208948BAQ_BRAQUER_CS5.indd 9208948BAQ_BRAQUER_CS5.indd 9 13/02/2014 09:29:1113/02/2014 09:29:11 La caissière sourit encore plus. — Vous voulez retirer de l’argent ? — Non, c’est vous qui allez me chercher l’argent, MAINTENANT ! — Je comprends. Mais la pension n’est pas encore arrivée. Elle est versée au milieu du mois, vous comprenez, ma petite dame. Märtha sentit l’affaire mal engagée. Les choses prenaient une tournure imprévue. Il fallait réagir, et vite. Elle enleva son imperméable qu’elle passa de l’autre côté du guichet tout en l’agitant sous le nez de la caissière : — Allez, dépêchez-vous ! Mes trois millions ! — Mais, la pension… — Faites comme je vous dis. Trois millions. Posezles sur le déambulateur ! La fille perdit patience et se leva pour aller chercher deux collègues masculins. L’un des hommes, dans la fleur de l’âge, lui adressa son plus beau sourire. L’autre, qui ressemblait à Gregory Peck – ou était-ce Cary Grant ? – lui dit : — Nous allons nous occuper de votre pension, ne vous inquiétez pas. Et mon collègue ici présent peut vous appeler une voiture pour rentrer, si vous voulez. Märtha jeta un coup d’œil à travers la vitre. Dans le fond de la pièce, elle vit que la fille avait décroché le téléphone pour prévenir quelqu’un d’autre. — Dans ce cas, il faudra que je vous braque une autre fois, répondit Märtha en ramassant l’imperméable et la coupure de presse. Tous lui sourirent gentiment, la raccompagnèrent jusqu’à la porte, puis l’aidèrent à monter à l’intérieur du taxi. Ils replièrent même le déambulateur pour elle. — À la résidence services Le Diamant, indiqua Märtha au chauffeur en faisant au revoir de la main aux employés de la banque. Au fond, tout s’était quand même passé comme elle l’avait prévu. Une vieille dame en déambulateur peut 10 208948BAQ_BRAQUER_CS5.indd 10208948BAQ_BRAQUER_CS5.indd 10 13/02/2014 09:29:1113/02/2014 09:29:11 faire beaucoup de choses que les autres ne peuvent pas se permettre. Elle fourra la main dans sa poche et reprit des bonbons, en fredonnant un petit air. Pour que son plan fonctionne, elle n’avait besoin que de ses amis de la chorale, ceux qu’elle fréquentait depuis plus de vingt ans. Bien sûr, il ne s’agissait pas de leur demander de but en blanc de devenir des criminels ; elle allait devoir ruser un peu. Mais plus tard, elle en était convaincue, ils la remercieraient d’avoir changé leur vie. Märtha fut réveillée par un petit bourdonnement lointain, suivi d’un fort « pling ». Elle ouvrit les yeux et essaya de savoir où elle se trouvait. Ah, c’est vrai, à la résidence pour personnes âgées. C’était bien évidemment Bertil Engström, surnommé « le Râteau », qui se levait toujours au milieu de la nuit pour manger. Il avait l’habitude de mettre la nourriture dans le four à micro-ondes et puis de l’oublier. Elle se leva et, toujours armée de son déambulateur, alla dans la cuisine. En râlant, elle sortit du four une portion de macaronis à la sauce tomate et aux boulettes enveloppée dans du plastique, et regarda d’un air rêveur la maison d’en face. Quelques points lumineux brillaient dans la nuit. De l’autre côté de la rue, ils avaient certainement des cuisines. Jadis, eux aussi avaient eu leur propre cuisine, mais les nouveaux propriétaires l’avaient supprimée – question de rentabilité. Avant que la Société Anonyme Le Diamant ne reprenne cette maison de retraite, les repas avaient été le clou de la journée : de bons petits plats embaumaient alors la salle commune. Mais à présent ? Märtha se pencha sur l’évier en bâillant. Presque tout s’était dégradé ; c’était devenu si déplorable que, souvent, elle se rêvait ailleurs. Oui, quel rêve merveilleux elle avait fait… Elle avait le sentiment d’avoir été là-bas, à la banque pour de vrai, comme si son subconscient avait pris les commandes pour lui transmettre un message. Déjà à l’école pri11 208948BAQ_BRAQUER_CS5.indd 11208948BAQ_BRAQUER_CS5.indd 11 13/02/2014 09:29:1113/02/2014 09:29:11 maire, elle protestait contre ce qui n’allait pas. Et du temps où elle était institutrice, elle s’était toujours opposée aux réglementations et autres réorganisations absurdes. Mais ici, à la maison de retraite, étrangement, elle avait tout accepté. Comment avait-elle pu devenir si apathique ? Quand les gens n’étaient pas d’accord avec le gouvernement de leur pays, ils faisaient la révolution. C’est ce qu’ils devraient faire ici, mais il faudrait arriver à mobiliser les autres. Encore qu’un casse, c’était peut-être aller un peu loin… Elle laissa échapper un petit rire nerveux. Parce que c’était justement ça qui l’effrayait un peu – ses rêves se réalisaient presque toujours. 208948BAQ_BRAQUER_CS5.indd 12208948BAQ_BRAQUER_CS5.indd 12 13/02/2014 09:29:1113/02/2014 09:29:11 1 Le lendemain, tandis que les hôtes du Diamant (comme on l’appelait maintenant) buvaient leur café matinal dans la salle commune, Märtha réfléchissait à la marche à suivre. Dans sa maison natale à Österlen, on ne restait pas assis les bras croisés, à attendre que quelqu’un d’autre fasse le travail, qu’il s’agisse de rentrer le foin ou d’aider une jument à mettre bas. Bref, on veillait à ce que le travail soit fait, un point c’est tout. Märtha regarda ses mains. Elle était fière de leur force, cela prouvait qu’elle n’avait pas chômé. Le bourdonnement des voix montait et descendait autour d’elle dans cette salle défraîchie. On se serait cru dans un orphelinat. Il suffisait de regarder les meubles : on aurait dit qu’ils venaient directement d’une décharge. Cette ancienne propriété construite en fibrociment gris vers la fin des années quarante évoquait à la fois une vieille institution scolaire et une salle d’attente de dentiste. Ah, non, jamais de la vie ! Ce n’était pas ici, avec un gobelet en plastique de café dans la main et de la nourriture industrielle dans le ventre, qu’elle avait rêvé de finir ses jours ! Märtha prit une profonde inspiration, repoussa la cafetière et se pencha en avant. — Écoutez-moi. Que diriez-vous d’un autre café 13 208948BAQ_BRAQUER_CS5.indd 13208948BAQ_BRAQUER_CS5.indd 13 13/02/2014 09:29:1113/02/2014 09:29:11 chez moi ? proposa-t-elle en faisant signe à ses amis de la suivre dans sa chambre. Je crois qu’il faut qu’on discute de pas mal de choses. Et comme ils savaient qu’elle avait subtilisé tout un stock de liqueurs de mûre arctique, ils acquiescèrent et se levèrent immédiatement. L’élégant, dit le Râteau, toujours saisi d’une fringale au milieu de la nuit, prit la tête du cortège, suivi du Génie, l’inventeur, et des deux amies de Märtha : Stina qui raffolait des chocolats belges, et Anna-Greta, dont la beauté faisait pâlir d’envie toutes les autres femmes. Personne n’était dupe : Märtha leur offrait de la liqueur seulement quand elle mijotait quelque chose. Cela ne lui était pas arrivé depuis un bon moment, d’ailleurs, mais visiblement, elle avait une idée derrière la tête. Une fois que tout le monde fut entré, Märtha sortit la liqueur, enleva le tricot en cours du canapé et pria ses amis de s’asseoir. Elle jeta un coup d’œil à la table en acajou avec sa nappe fleurie fraîchement repassée. Oh, elle avait longtemps envisagé d’en acheter une autre, mais le vieux meuble était grand, solide et il y avait de la place pour tout le monde autour. En sortant la bouteille, son regard tomba sur le bureau avec les photos de famille de Österlen. Dans leurs cadres, ses parents et toute sa fratrie lui souriaient devant la maison natale à Brantevik. Si seulement ils savaient ! Dire qu’ils étaient tous abstinents ! Tant pis pour eux. Elle sortit les verres à liqueur et les remplit à ras bord. — À votre santé, dit-elle en levant son verre. — À la tienne, répondirent poliment ses amis. Après quoi ils mimèrent tous une variante muette de chansons à boire. (Ici, à la maison de retraite, il ne fallait pas faire trop de bruit et surtout ne pas se faire surprendre avec de l’alcool.) Märtha mima encore une fois le refrain et ils gloussèrent tous ensemble. Jusqu’à présent, personne ne les avait encore pris sur le fait et ça les amusait toujours autant de désobéir. Märtha 14 208948BAQ_BRAQUER_CS5.indd 14208948BAQ_BRAQUER_CS5.indd 14 13/02/2014 09:29:1113/02/2014 09:29:11
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