Lire un extrait du livre A quelques secondes pres - Page 1 - Lire un extrait du livre A quelques secondes pres HARLAN COBEN À QUELQUES SECONDES PRÈS Traduit de l’anglais (États-Unis) par Cécile Arnaud 202394RIO_COBEN_FM9.fm Page 5 Vendredi, 12. juillet 2013 3:08 15 Titre original : Seconds Away Fleuve Noir, une marque d’Univers Poche, est un éditeur qui s’engage pour la préservation de son environnement et qui utilise du papier fabriqué à partir de bois provenant de forêts gérées de manière responsable. Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2e et 3e a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple ou d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Copyright © 2012, Harlan Coben. Tous droits réservés. © 2013, Fleuve Noir, département d’Univers Poche, pour la traduction française. ISBN : 978-2-265-09251-8 202394RIO_COBEN_FM9.fm Page 6 Vendredi, 12. juillet 2013 3:08 15 9 1 Il y a des moments dans la vie qui changent tout. Quand je dis « tout », je ne parle pas de petites choses, comme vos céréales préférées, la filière que vous choisissez au lycée, la fille dont vous tombez amoureux ou l’endroit où vous allez passer les vingt prochaines années. Je parle de changement radical. En une seconde, tchac ! votre monde entier bascule. Toutes les règles s’inversent, tout ce que vous preniez pour la réalité est remis en cause. Le haut devient le bas. La gauche devient la droite. La mort devient la vie. En contemplant la photo, j’ai compris qu’on se trouve toujours à quelques secondes d’un tel cataclysme. Ce que je voyais n’avait pas de sens. J’ai cligné plusieurs fois des paupières, comme si je m’attendais à ce que l’image se modifie. Évidemment, elle est restée la même. C’était un vieux cliché en noir et blanc. Après un rapide calcul, j’ai conclu qu’il avait dû être pris presque soixante-dix ans plus tôt. — C’est impossible, ai-je dit. Je précise tout de suite que je ne parlais pas tout seul, au cas où vous me prendriez pour un cinglé. (Vous le penserez bien assez tôt.) Je m’adressais à la femme chauve-souris. Elle se tenait à quelques pas de moi, silencieuse, dans sa robe blanche. Ses longs 202394RIO_COBEN_FM9.fm Page 9 Vendredi, 12. juillet 2013 3:08 15 10 cheveux gris semblaient onduler alors même qu’ils ne bougeaient pas. Elle avait la peau toute ridée, comme du papier qu’on aurait plié et déplié de trop nombreuses fois. Même si vous ne connaissez pas cette femme chauve-souris, vous en connaissez forcément une. C’est la vieille sorcière effrayante qui vit dans la vieille maison effrayante au bout de la rue. Chaque ville a la sienne. Dans la cour de récré, vous avez entendu des histoires sur le sort qu’elle vous ferait subir si elle vous attrapait. Petit, vous restiez à distance. Devenu adolescent – un lycéen de seconde, dans mon cas –, vous évitez toujours de vous approcher de la maison, parce que, même si vous êtes trop vieux pour croire à ce genre de bêtise, elle continue de vous foutre un peu la trouille. Et pourtant, j’étais là, à l’intérieur de son antre, à regarder une photo dont je savais qu’elle ne pouvait pas être ce que je croyais qu’elle était. — C’est qui, ce type ? lui ai-je demandé. Elle m’a répondu d’une voix aussi grinçante que le vieux parquet sous nos pieds : — Le Boucher de Łódź. L’homme de la photo portait un uniforme de la Waffen-SS. Pour faire court, c’était, d’après la femme chauve-souris, un nazi sanguinaire qui, durant la Seconde Guerre mondiale, avait assassiné beaucoup de gens, dont son père à elle. — Et la photo, elle a été prise quand ? — Je ne sais pas exactement. Sans doute autour de 1942 ou 1943. J’ai examiné de nouveau le visage en noir et blanc. Ma tête s’est mise à tourner. C’était impossible. J’ai tenté de me raccrocher à des certitudes. Mon nom est Mickey Bolitar, aucun doute làdessus. C’était déjà un bon début. Je suis le fils de Brad (décédé) et Kitty (en cure de désintox) Bolitar, et je cohabite actuellement avec mon oncle, Myron 202394RIO_COBEN_FM9.fm Page 10 Vendredi, 12. juillet 2013 3:08 15 11 Bolitar (que je tolère). Je viens d’entrer au lycée de Kasselton (le petit nouveau qui cherche encore ses marques), et, si on se fie à cette photographie, soit je souffre d’hallucinations, soit je suis complètement fou. — Qu’y a-t-il, Mickey ? — Ce qu’il y a ? Vous vous fichez de moi, ou quoi ? — Je ne comprends pas. — Lui ? (J’ai pointé la photo du doigt.) Lui, c’est le Boucher de Łódź ? — Oui. — Et vous croyez qu’il est mort à la fin de la guerre ? — C’est ce qu’on m’a dit. Mickey ? Tu sais quelque chose ? Mes pensées m’ont ramené à la première fois où j’avais vu la femme chauve-souris. J’étais en route pour le lycée quand, soudain, elle était apparue sur le seuil de sa vieille maison délabrée. J’avais failli hurler. Levant vers moi une main d’une pâleur fantomatique, elle avait prononcé des mots qui m’avaient frappé comme un coup de poing dans le ventre : Mickey ? (J’ignorais comment elle connaissait mon prénom.) Ton père n’est pas mort. Et ces paroles m’avaient entraîné dans une aventure infernale qui aboutissait maintenant à… cette photo. J’ai relevé la tête. — Pourquoi vous m’avez dit ça ? — Dit quoi ? — Que mon père n’était pas mort. Pourquoi ? Comme elle restait silencieuse, j’ai poursuivi d’une voix tremblante : — Parce que moi, j’y étais. Je l’ai vu mourir de mes propres yeux. Alors, pourquoi vous m’avez dit un truc pareil ? — Raconte-moi, m’a-t-elle demandé de sa voix éraillée par l’âge. Raconte-moi ce dont tu te souviens. — Non, mais je rêve, ou quoi ? 202394RIO_COBEN_FM9.fm Page 11 Vendredi, 12. juillet 2013 3:08 15 12 En silence, la vieille dame a remonté sa manche et m’a montré le tatouage qui la désignait comme une survivante du camp de la mort d’Auschwitz. — Je t’ai raconté comment mon père était mort. À ton tour, maintenant. Dis-moi ce qui s’est passé. Un frisson glacé m’a parcouru la colonne vertébrale. J’ai balayé des yeux la pièce sombre. Un vinyle tournait en grésillant sur une vieille platine. J’ai reconnu « Le Temps immobile », de HorsePower. Ma mère était fan de ce groupe. Elle avait même fait la fête avec eux, du temps où elle était célèbre, c’est-à-dire avant que je pointe le bout de mon nez et brise du même coup tous ses rêves. Sur la cheminée de la femme chauve-souris, il y avait cette maudite photo des années 1960, celle des cinq hippies portant des tee-shirts tie and dye ornés du papillon. — Raconte-moi, a-t-elle insisté. J’ai fermé les yeux et inspiré à fond. C’était tellement dur de retourner là-bas ; même si je le faisais pratiquement toutes les nuits, semblait-il. — On roulait vers San Diego, mon père et moi. La radio était allumée. On riait. C’est ce que je me rappelle le mieux de notre vie d’avant : le rire de mon père. — Et ensuite, que s’est-il passé ? — Un 4 × 4 a traversé le terre-plein central et nous a heurtés de plein fouet. Paf, comme ça. Je me suis interrompu une seconde. C’était comme si je revivais la scène : l’horrible bruit de tôle, la violence du choc, la pression de la ceinture de sécurité, le coup du lapin, et soudain le noir. — La voiture a fait un tonneau. Quand j’ai repris conscience, j’étais coincé. Des pompiers essayaient de me désincarcérer. — Et ton père ? J’ai levé les yeux vers elle. 202394RIO_COBEN_FM9.fm Page 12 Vendredi, 12. juillet 2013 3:08 15 13 — Vous le connaissiez, n’est-ce pas ? Mon oncle m’a raconté que mon père était venu dans cette maison quand il était petit. — Ton père, a-t-elle répété, ignorant ma question. Que lui est-il arrivé ? — Vous savez ce qui s’est passé. — Dis-le-moi. L’image était restée gravée dans ma mémoire. — Papa était couché sur le dos. Il avait les yeux fermés. Une mare de sang se formait autour de sa tête. Mon cœur s’est mis à palpiter. La femme chauve-souris a tendu vers moi une main osseuse. — Ça va aller. — Non, ai-je répliqué avec une pointe de colère dans la voix, ça ne va pas aller. Pas du tout, même. Parce qu’il y avait un ambulancier penché sur mon père. Un homme aux yeux verts et aux cheveux blond vénitien. Au bout d’un moment, ce type a levé les yeux vers moi, et quand nos regards se sont croisés, il a secoué la tête. Une seule fois. Et j’ai compris. Son expression parlait pour lui. C’était fini. Mon père était mort. La dernière chose que j’ai vue, c’est cet infirmier aux yeux verts et aux cheveux blond vénitien qui l’emmenait sur un brancard. La femme chauve-souris n’a fait aucun commentaire. — Et ça, ai-je poursuivi d’une voix étranglée, brandissant la vieille photo alors que les larmes me montaient aux yeux, ça, ce n’est pas une photo d’un vieux nazi. C’est une photo de ce bonhomme. Le pâle visage de la femme chauve-souris a paru blêmir encore davantage. — Je ne comprends pas. — Moi non plus. Votre Boucher de Łódź ? C’est l’ambulancier qui a emmené mon père. Sa réaction – ou plutôt son manque de réaction – m’a sidéré. Elle s’est contentée d’un : 202394RIO_COBEN_FM9.fm Page 13 Vendredi, 12. juillet 2013 3:08 15 — Je suis fatiguée, Mickey. Tu dois partir. — Vous vous fichez de moi ? Qui est ce type ? Pourquoi a-t-il embarqué mon père ? Elle a porté ses mains tremblantes à sa bouche. — Parfois, on souhaite quelque chose si fort qu’on finit par croire que c’est arrivé. Tu comprends ? — Je ne souhaite pas que ce soit une photo de l’ambulancier. Ça l’est, c’est tout. Elle a secoué la tête, et ses cheveux qui lui arrivaient à la taille ont volé comme sous l’effet d’une brise. — La mémoire est tellement peu fiable. Tu l’apprendras en vieillissant. — Vous pensez que je me trompe ? — Si le Boucher avait bel et bien survécu, il aurait presque 90 ans. C’est vieux, pour un ambulancier. — Je n’ai jamais dit qu’il avait 90 ans. Il a le même âge que ce type sur la photo. La femme chauve-souris me regardait comme si c’était moi, le dingue. Je me rendais compte que mes propos ressemblaient aux divagations d’un malade mental. La chanson s’est terminée et une autre a commencé. La femme chauve-souris a fait un pas en arrière, les pans de sa longue robe blanche balayant le vieux parquet. Son regard s’était durci. — Quoi ? — Tu dois partir, maintenant. Et il est possible que tu ne me revoies pas pendant un certain temps. — Pourquoi ? — Tu t’es trompé. Des larmes ont perlé aux coins de mes yeux. — Vous croyez vraiment que je pourrais oublier ce visage ? Ou le regard qu’il m’a lancé avant d’emmener mon père ? — Pars, Mickey. Cette fois, sa voix ne tremblait plus. — Je ne partirai pas tant que… — Va-t’en ! 202394RIO_COBEN_FM9.fm Page 14 Vendredi, 12. juillet 2013 3:08 15 15 2 Une heure plus tard, assis dans mon jardin – ou plutôt celui de mon oncle –, j’ai mis Ema au courant des derniers événements. Comme toujours, elle avait le total look gothique : vêtements noirs assortis à ses cheveux, yeux charbonneux, bague en forme de tête de mort et plus de boucles d’oreilles que je ne pouvais en compter. Elle qui était d’un naturel maussade me contemplait l’air ahuri, comme si un troisième bras m’avait poussé. — Et toi, tu t’es barré ? — Qu’est-ce que tu voulais que je fasse ? Je n’allais pas taper une vieille dame pour l’obliger à parler. — D’accord, mais comment tu as pu partir comme ça ? — Elle est montée. Tu voulais quoi ? Que je la suive ? Imagine, je ne sais pas, qu’elle ait commencé à se déshabiller… — Arrête, ça devient dégueu, là. — Tu vois ! Ema n’avait pas encore 15 ans mais arborait déjà un tas de tatouages. Elle mesurait environ un mètre soixante et accusait pas mal de kilos en trop par rapport à la norme. Quand on s’était rencontrés, quelques semaines plus tôt, elle s’asseyait seule à la cafèt du lycée, à la table des exclus. Par choix, affirmait-elle. 202394RIO_COBEN_FM9.fm Page 15 Vendredi, 12. juillet 2013 3:08 15 16 Elle contemplait la vieille photo en noir et blanc. — Mickey ? — Quoi ? — Rassure-moi, tu ne penses pas vraiment que c’est le même type ? — Je sais que ça a l’air dingue, mais… Je me suis interrompu. Ema ne ressemblait à personne. À la face du monde, elle présentait une image revêche, une sorte de carapace pour se protéger. Elle n’était pas belle à proprement parler, mais quand elle me regardait comme en cet instant, de ses grands yeux marron, attentifs et bienveillants, son visage dégageait une grâce presque céleste. — Continue, a-t-elle dit. — L’accident… C’était le pire moment de ma vie, de loin. Mon père… Les souvenirs m’ont submergé. J’étais fils unique. Nous avions presque toujours vécu à l’étranger, mes parents et moi. Ils travaillaient pour diverses organisations humanitaires, qui les envoyaient en mission dans les contrées les plus obscures du globe. À l’époque, je nous voyais comme des nomades insouciants, crapahutant joyeusement aux quatre coins du monde. Je ne me rendais pas compte que la réalité était beaucoup plus compliquée. — Oui ? a dit Ema, m’encourageant à poursuivre. Mais j’avais du mal à en révéler davantage. Quand on voyage autant, on n’a pas l’occasion de se faire beaucoup d’amis – presque aucun, en fait. C’était en partie pour ça que j’avais tant désiré qu’on se pose quelque part, que mon père avait fini par démissionner de son travail, que nous étions venus nous installer en Californie, que je m’étais inscrit dans un vrai lycée, et qu’ensuite il était mort. Ce qui s’était passé après notre retour aux États-Unis – le décès de mon père, la déchéance de ma mère – était donc ma faute. 202394RIO_COBEN_FM9.fm Page 16 Vendredi, 12. juillet 2013 3:08 15
Lire un extrait du livre A quelques secondes pres - Page 1
Lire un extrait du livre A quelques secondes pres - Page 2
viapresse