Lire un extrait de Je, Francois Villon - J. Teulé - Page 1 - Lire un extrait de Je, Francois Villon, de Jean Teulé NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 18-01-07 16:56:16 114338RBU - Pocket - Je, François Villon - Page 6 — Z14338$$$1 — Rev 18.02 Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réser- vées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les « analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information », toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.loi de propriété intellectuelle E´ditions Julliard, Paris, 2006 ISBN : 978-2-266-16653-9 Le papier de cet ouvrage est composé de fibres naturelles, renouvelables, recyclables et fabriquées à partir de bois provenant de forêts plantées et cultivées durablement pour la fabrication du papier. NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 18-01-07 16:56:16 114338RBU - Pocket - Je, François Villon - Page 7 — Z14338$$$1 — Rev 18.02 J’ai choisi maistre François pour mère nourricière ! (Arthur RIMBAUD) J’IDOLAˆTRE François Villon, Mais être lui, comment donc faire ? (Paul VERLAINE) NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 18-01-07 16:56:16 114338RBU - Pocket - Je, François Villon - Page 9 — Z14338$$$1 — Rev 18.02 1. Le corps carbonisé fumait encore entre les chaînes du poteau fixé sur un haut socle de pierre. Sa jambe droite s’était écroulée, provoquant un curieux déhan- chement. Le buste penchait en avant. Les volutes ondulantes, s’élevant du crâne, lui faisaient une drôle de chevelure verticale. Un souffle d’air, comme une gifle, lui emporta une joue de cendre, découvrant lar- gement sa mâchoire où les gencives flambaient. Dans la boîte crânienne, le cerveau s’était effondré. On le voyait bouillir par les orbites oculaires d’où il déborda et s’écoula en larmes de pensées blanches. Le bour- reau lança un petit coup de pelle latéral dans les hanches. Le bassin se démantela entraînant la jambe gauche dans un nuage de poussière et de débris d’os. De la poitrine restée enchaînée au poteau, les côtes flottantes pendaient. Le cœur y glissa et tomba, encore rouge. On versa dessus de la poix et du soufre. Il s’en- flamma. Un autre coup dans le sternum et le reste dégringola. Les bras filèrent entre les chaînes… Deux hommes d’armes de l’escorte anglaise s’appro- chèrent en cotte de mailles recouverte d’une tunique peinte d’une grande croix écarlate sur la poitrine. Ils rassemblèrent les cendres et les escarbilles osseuses 9 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 18-01-07 16:56:16 114338RBU - Pocket - Je, François Villon - Page 10 — Z14338$$$1 — Rev 18.02 dans deux seaux en bois qu’ils allèrent renverser dans la Seine parmi les joncs frissonnants où une grenouille coassa. Un vent océanique soufflait. Les cendres roulèrent sur l’eau et s’envolèrent. Le long du chemin de halage, des hommes de somme, torse nu et en braies nouées à la taille et aux genoux, tractaient à la remonte une barge chargée de sel. Les cendres s’élevèrent haut dans le ciel vers l’orient, suivant les mouvements de lacet du fleuve. Des forêts magnifiques contournaient des champs en friches, des campagnes désertées, des hameaux aban- donnés aux beffrois démolis. Il brillait sur l’horizon une lourde tristesse. Les coqs des clochers de village luisaient, crus, sur les nuages. Le vol anguleux d’un épervier rapace raya le ciel et son cri rauque grinça dans l’espace. La Seine s’allongeait – elle s’allongeait encore – comme un serpent jaspé de vert et d’or… Le vent fré- missait toujours. Puis au sein d’une vallée délicieuse que couronnait un cercle de collines décorées de vignes, de blés encore verts, de seigles déjà blonds, une ville gothique ornée d’un beau rempart… La plus grande ville d’Europe : deux cent mille âmes, quatre fois Londres. Cette cité légendaire, foisonnante de palais, d’églises, de jardins, de boutiques, d’étuves, de fontaines, dressait ses hauts toits aux dentures folles. Il y flottait des bannières. Des fleurs de lys recouvertes d’un lion dressé s’agitaient au-dessus de Paris, la ville aux cent clochers sous domination anglaise. NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 18-01-07 16:56:16 114338RBU - Pocket - Je, François Villon - Page 11 — Z14338$$$1 — Rev 18.02 2. — Fermez cette fenêtre, sœur Tiennette. Une main adolescente referma la fenêtre et épous- seta sur sa manche de sœur novice un peu de pous- sière ou de cendre : — Au milieu du parvis, un crieur public disait qu’il faudra se souvenir qu’en ce 30 mai 1431 Jeanne a été brûlée à Rouen… — La Pucelle sur le bûcher ? s’étonna la voix d’une vieille femme aux paumes enduites d’huiles essentielles qui massaient un ventre. C’est impossible. Même prisonnière des ennemis, elle a dû s’évader, fût-ce au dernier moment. — Mais non, répliqua la novice. Le héraut criait aussi que ses cendres avaient été jetées dans la Seine afin d’empêcher le peuple ignorant d’en faire des reliques ! Les doigts de la vieille femme continuèrent de mas- ser le ventre méthodiquement, sur les côtés, de haut en bas : — 30 mai 1431… Une date à se rappeler. Voici des flammes qui traverseront les siècles, dit-elle en appuyant davantage. Jeanne avait été brûlée. Dans la salle Saint-Louis de 11 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 18-01-07 16:56:16 114338RBU - Pocket - Je, François Villon - Page 12 — Z14338$$$1 — Rev 18.02 l’Hôtel-Dieu, tout le monde était stupéfait. Moi-même, j’en suis tombé de la vulve de ma mère ! La vieille ventrière des accouchies me lève, sangui- nolant, dans ses mains et s’exclame : — Ah ! Vous voyez bien que cette femme était grosse, monseigneur Thibaut d’Aussigny et que vous ne pouviez donc pas la faire exécuter. Vous ne vouliez pas me croire… « Je ne crois jamais personne », répond, derrière elle, un jeune évêque en tenue d’apparat – étole, chape et mitre sur la tête – dans la grande salle d’hôpital où gémissent partout des malades, ce qui l’agace : — Mais arrêtez ! Sous les voûtes de la salle Saint-Louis où des reli- gieuses, un bassin dans une main et une serviette dans 12 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 18-01-07 16:56:16 114338RBU - Pocket - Je, François Villon - Page 13 — Z14338$$$1 — Rev 18.02 l’autre, lavent des visages, consolent les malades, allu- ment des cierges au chevet des mourants, la voix de l’évêque Thibaut d’Aussigny tonne et résonne : — La maladie est envoyée par Dieu ! C’est une punition des péchés. Aussi, la première aide que l’hô- pital doit fournir est spirituelle ! Les soins médicaux sont d’importance secondaire…, continue-t-il en bous- culant un médecin qui contemple, désemparé, une fiole d’urine. D’ailleurs, ici, reprend l’évêque, tous les maux ont des noms de saints : saint Leu pour l’épi- lepsie, saint Aquaire pour la folie. La surdité, c’est saint Flour ! crie-t-il. Les ulcères : la maladie de saint Mathieu. Pour les hémorroïdes, voir saint Fiacre… Les souffrants l’écoutent, à deux par grand lit par- fois trois. Moi, je suis né entre une épileptique et un fou qui réclame l’assistance de saint Aquaire. Corps nus, la tête enroulée d’un linge sur un oreiller de plumes, les patients grelottent de fièvre dans de gros draps gris bordés de lanières de cuir blanc. Les cou- vertures sont en fourrure de chats écorchés par des mendiants – des demeurant partout – qui les reven- dent à l’Hôtel-Dieu. Un malade, en l’amertume de l’hôpital où le poursuit un espoir toujours détruit, s’épouvante et se consume : — Ma jambe… J’ai mal… — Il vous faut souffrir pour que Dieu vous par- donne, lui lance Thibaut d’Aussigny. Souffrez ! Quand votre âme sera vidée de vos péchés, la jambe ira mieux. Et si on vous l’ampute, c’est que vous n’avez pas tout confessé. Moi, dans ma prison épis- copale de Meung-sur-Loire, les gens que j’interroge montent ensuite à l’échelle de la potence en continuant d’avouer des forfaits qu’ils n’ont même pas commis… 13 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 18-01-07 16:56:16 114338RBU - Pocket - Je, François Villon - Page 14 — Z14338$$$1 — Rev 18.02 Seul, le bourreau peut les faire taire, ricane-t-il d’un grincement de gond rouillé en se retournant et venant vers moi dont la naissance le navre. Sur les pavés de la salle qu’un frère prêcheur lave à grande eau, les pas de l’évêque sonnent un bruit de quincaillerie. Ses solerets d’acier articulés, en forme de longues poulaines pointues, armés d’éperons lui font aux pattes comme deux griffes d’animal fantastique. Sur un banc-coffre placé le long du lit, la vieille sœur ventrière a noué le cordon de mon nombril et lavé le sang sur ma peau. Elle me frotte de sel et de miel pour me sécher. Les murs sont peints d’une frise de fresque rouge et bleue écaillée et les vitraux de couleurs des fenêtres tempèrent l’éclat de la lumière. L’évêque incrédule me prend dans ses mains comme une bizarrerie qu’il soulève par les aisselles. Ses yeux sont vitreux. Il a des gants en peau de chien et une bague à l’annulaire. Je pisse sur sa croix pectorale. — Ah, par le cœur de Dieu ! Sale fils de putain ! Celle qu’il appelle putain – ma mère – vient de s’évanouir en entendant dehors un homme qui a crié un prénom de femme : « Marie ! » puis on a perçu un claquement. Tandis que la novice ouvre à nouveau la fenêtre donnant sur la foule du parvis, la ventrière qui me récupère soupire en contemplant ma mère : « Pauvre gamine de vingt ans, son lait sera corrompu d’ennui et de tristesse. Tenez, sœur Tiennette, enve- loppez l’enfant en blanc drapeau. » L’adolescente vient me lier étroitement, bras le long du corps, dans des linges serrés par des bandelettes d’où seule la tête dépasse. Je ressemble à une chrysa- lide inondée de soleil. Soudain, le regard de l’évêque 14 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 18-01-07 16:56:16 114338RBU - Pocket - Je, François Villon - Page 15 — Z14338$$$1 — Rev 18.02 s’allume et va sur moi, cruel et précis comme un doigt : — Là ! Regardez. Cette fine bande d’ombre en tra- vers sur le maillot du nourrisson. C’est l’ombre de la corde qui vient de pendre son père. Ah, la chose est moult plaisante ! La ventrière referme la fenêtre : — Ce pauvre gars Montcorbier qui désespérait de trouver un travail de porteur sur la place de Grève. Il n’aura même pas vu sa progéniture. — C’était un voleur ! s’enflamme Thibaut d’Aussi- gny. Lors de mon passage à Paris chez ma cousine Catherine de Bruyère, qui a mis bas également ce matin et habite rue du Martroi-Saint-Jean, il a volé sa chemise d’accouchie séchant sur un muret. — Il a dit l’avoir trouvée par terre… Et puis c’était pour sa femme. — Il aurait aussi pipé un pain au boulanger. — Ah, comprend la bonne sœur… nécessité fait gens méprendre et faim saillir le loup du bois. Dans une époque où les bonnes fèves coûtent douze blancs le boisseau et les pois quatorze ou quinze… En tout cas, elle n’était pas complice et vous vouliez la faire exécuter aussi sur le parvis de Notre-Dame. Cette innocente ! — Innocente… Au pied du lit, le jeune dignitaire religieux, du bout de sa longue crosse liturgique à volute enroulée en argent ciselé, pousse un peu le linge qui enveloppe la tête tournée de ma mère évanouie. Il dégage une tempe d’où s’échappent des cheveux blonds et s’aper- çoit qu’elle n’a plus d’oreille droite : — Un vol… Puis, du plat de la volute sur une joue, il lui tourne 15 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 18-01-07 16:56:16 114338RBU - Pocket - Je, François Villon - Page 16 — Z14338$$$1 — Rev 18.02 le visage de l’autre côté, soulève le linge, découvrant aussi l’absence de la seconde oreille : — Deux vols… Il glisse latéralement l’insigne sacerdotal en travers de sa gorge : — La prochaine fois…
Lire un extrait de Je, Francois Villon - J. Teulé - Page 1
Lire un extrait de Je, Francois Villon - J. Teulé - Page 2
viapresse