La revue 100 Numero6 - Page 1 - La revue 100% Auteurs numéro 6 du 15 juin 2011 p. 2 Sommaire - Couverture : Michèle SEBAL - Edito : Grégoire MULLER, page 3 - Nouvelle : Benoit CHAVANEAU, page 5 - Poésie : Jacques THORIN, page 11 - Interview : Cyril DEYDIER par Marie BARRILLON, page 12 - Poésie : Claire MORIN, page 17 - Chronique : Cyril DEYDIER par Marie BARRILLON, page 19 - Information : Jeu-concours Livresque du noir, page 22 - Information : Salon du livre de SOMAIN (59), page 24 - Auteurs en dédicaces, page 26 - Participation, page 28 - Livre du mois, page 29 p. 3 La revue 100% Auteurs L’édito de Grégoire Muller est celui qui s’est démarqué de tous les textes reçus suite au jeu que nous vous avions proposé. Comme toujours, le choix n’a pas été facile. « Qu'est-ce que le beau ? Les mathématiques sont-elles une science exacte ? L'argent rend-il heureux ? Un don est-il vraiment désintéressé ? Doit-on écouter les autres ? Les hommes viennent-ils de Mars et les femmes de Vénus ? Mac ou PC ? Doit-on mélanger les torchons avec les serviettes ? Après s'être plongé dans les poèmes parlant d'amour, de banquière et de père. Après s'être plongé dans les nouvelles qui nous emportent du Père Lachaise aux joueurs d'un puzzle coquin. Après avoir ronronné de plaisir devant les illustrations des félins (en espérant toutefois que cette charmante blonde ne se trouvera jamais emmurée, on ne sait jamais avec les chats noirs). Après avoir lu les chroniques et les interviews d'auteurs... On est fin prêt pour la fameuse épreuve du Bac philo de demain. Le sens de la vie ? Cette revue qui a six mois n'est encore qu'un nourrisson, et cette question est trop difficile pour elle. Laissons-là de coté ! Toutefois l'avantage d'être un nourrisson c'est de ne pas connaître la joie de la lecture, c'est un avantage car comme en amour, le premier regard, les premiers émois sont des moments uniques. Je donnerai n'importe quoi pour être vierge des livres que j'ai lu, simplement pour ressentir de nouveau cet émerveillement lorsque j'ai lu pour la première fois le petit prince par exemple. p. 4 La lecture, la littérature, en voilà un beau sujet de dissertation de philosophie. Prenons par exemple la question de la numérisation des livres, papier ou ordinateur ? L'avantage d'un livre papier, c'est son odeur qu'il soit neuf ou ancien, son craquant lorsqu'il atteint la centaine, ses gravures et ses illustrations qu'un écran de liseuse est incapable de rendre et bien sûr la sensation du papier entre les doigts... On remarquera pourtant en tournant la page de cette revue virtuelle, le petit bruit caractéristique du papier magazine. Le virtuel toutefois à l'avantage avec la numérisation d'offrir à de nombreux lecteurs des livres qui ne sont plus réédités depuis des années et de faire de la place dans notre bibliothèque. Alors papier ou écran ? L'écran n’empêcherait pas Madame Bovary de s'identifier aux personnages car finalement comme les lilliputiens qui se font la guerre pour savoir si, quand on mange des œufs à la coque, il faut les casser par le gros bout ou le petit bout. Mais en regardant de plus près finalement ils se sont mis d'accord sur le mode de cuisson, les œufs à la coque et non brouillés. Comme les lilliputiens, ce qui nous caractérise entre les geeks et les rats de bibliothèque, c'est une passion commune, la passion de la littérature, savoir par quel bout la prendre n'a finalement que peu d'importance. Cette revue est virtuelle mais la qualité de ses textes ne l'est pas, alors cliquez et savourez les nouvelles et poèmes de cette revue sans honte ! » Grégoire MULLER p. 5 Nouvelle Les onze lames Sitôt arrivée au Clos de Laure, le commissaire Marie Loutre commença à s’agacer. Comme d’habitude, entre les gendarmes, le témoin principal. Tout autour les techniciens de l’identité judiciaire et ceux de la police scientifique… L’endroit fourmillait d’une façon très insupportable... C’était chaque fois la même chose, le même cirque... Or, depuis qu’elle était toute petite, Marie Loutre, dite La Loutre, détestait le cirque et ses pistes ridicules où l’on tournait toujours en rond. Au bout d’une bonne demi-heure à se ronger l’ongle de l’index droit, le commissaire Loutre exigea que tout le monde sorte pendant dix minutes, montre en main : - Les uns dans le jardin pour y poursuivre leurs investigations… - Les autres dans la ruelle, leurs estafettes ou leurs calèches, peu importe… « Le temps qu’elle comprenne ». Comme toujours, quand elle prenait en charge une enquête, facile ou délicate, La Loutre avait besoin de silence et de quiétude pour réfléchir... A la façon des grands de la Crime, mais aussi de leurs répliques audiovisuelles, les Maigret ou les Colombo, elle détestait plus que tout l’action, l’emportement, la violence et les armes à feu... A tout cela elle opposait le silence, la réflexion, l’humour, l’instinct... p. 6 Comme le charmant prédateur qui lui avait valu son, facile sobriquet, La Loutre n’allait jamais au but. Elle était pleine de souplesse et de nervosité intérieure. Foncièrement joyeuse, jusque dans les mots, elle adorait s’encombrer de tours, de contours et de détours. Pas toujours facile à suivre – à moins de la connaître ou de la côtoyer depuis quelques années – La Loutre s’avérait souvent déconcertante, décourageante pour ses collègues et ses supérieurs, mais d’une singulière et redoutable efficacité... Brillante, solitaire et tatillonne, elle ne cherchait pas à être comprise... D’ailleurs pourquoi faire ? Plus Marie Curie que policière, Marie Loutre n’avait qu’une exigence : « comprendre ». Et parfois « résoudre des problèmes si insolubles soient-ils ». Et là, elle comprit de suite que le problème serait assez tordu. Comme elle les aimait. Si tant est qu’on puisse aimer goûter au sang des autres... Suivant un rituel scrupuleux, elle enfila des chaussons de chirurgien, à peu près aussi périlleux sur ce parquet ciré, que des patins à glace. Elle tira de son imperméable une paire de gants de soie noire, dont elle ne se séparait jamais. Ni professionnellement. Ni intimement... D’ailleurs, les hommes de sa vie, pour étonnés qu’ils soient, ne s’en étaient jamais plaints. Et Elle commença par observer la Victime. Lentement. Patiemment : Une très jolie fille… Un énorme gâchis... Bien sûr, dans son métier, une victime restait toujours une victime, qu’elle soit jeune ou vieille, laide ou belle. Et, à ce titre, elle lui devait le même respect. Pour autant, le visage de cette p. 7 jeune femme, si doux, si parfait, si pur et si curieusement tordu par la douleur, le corps tellement nu, tellement pâle, et tout recroquevillé en position fœtale, la mettaient franchement mal à l’aise. Un mélange de pitié, de tristesse et de colère qui lui donnait envie de crier. Non ! Non ! Non ! Ce n’était pas juste que des mômes, un peu partout dans le monde, explosent sur des mines anti-personnelles. Ce n’était pas juste que dans une ruelle sans histoire, dans un petit coin si calme, un ange ait été saigné comme une vache d’abattoir... ... Sept... Huit... Neuf... Dix... Onze... On lui avait planté onze couteaux à peindre dans le corps. Un peu partout. Dans le dos… Entre les omoplates... Au niveau du bassin… Mais surtout dans la poitrine… Chaque sein (comme si cela avait une valeur symbolique)… Le ventre, plusieurs fois... Mais aussi la gorge, à deux reprises, qui avait abondamment saigné (blessures fatales sans doute)... Enfin, il y avait cet œil, le droit, qu’on avait crevé comme dans une œuvre de Dali. Et surtout, ce couteau qu’on avait planté – à droite encore – et jusqu’au manche, dans l’oreille de la victime. Comme si, non content de martyriser ce corps de toutes parts, on s’était ingénié à l’enlaidir et à le ridiculiser presque dans quelque monstrueuse caricature. Il y avait de multiples connotés dans cette façon très particulière de « peindre » et maltraiter ce corps-là, précisément, et pas un autre. De cette manière, précisément et pas d’une autre. A cet endroit-là, précisément (sur un lit défait) et pas un autre. Et peut-être également, à ce moment précis de l’année, et pas un autre. Tout cela devait avoir une logique, une importance. Mais laquelle ? p. 8 Quant au mode opératoire, il avait franchement de quoi surprendre. Pourquoi s’ingénier à utiliser ces vieux couteaux à peindre dont les lames fort courtes et épaisses n’étaient vraiment pas forgées pour le crime ? La policière vérifia rapidement. Il y avait dans un tiroir tout proche, à portée de la main ; six Laguiole à manches de corne, longs, lamés, pointus et tranchants à souhait... Pour une spécialiste des homicides, le nombre d’ustensiles utilisés n’était pas moins étonnant... Onze lames ! Voilà qui n’était pas banal, même quand il s’agissait d’assassiner Jules César ! D’ordinaire, les criminels à l’arme blanche utilisent toujours le même objet, couteau de cuisine ou hachoir, qui devient vite une sorte de fétiche : la machette de Jason, les griffes de Freddy, le poignard de Scream... L’arme devient alors un véritable prolongement du membre assassin. Doigt vengeur, symbole phallique ou membre fantôme compensant une quelconque impuissance (selon la qualité libidineuse de l’expert psychiatre), l’arme est avant tout singulière, Unique. Elle participe d’une pulsion spécifique, d’un fantasme dont le rituel, cruel ou cathartique, ne supporte aucune dérogation. Si je tranchais avec un autre couteau que celui-ci, je manquerais sans doute de précision. Je n’en tirerais aucun plaisir… Comme les bouchers, les assassins ont leurs petites manies ! Mais là, au lieu de frapper onze fois avec la même lame, on n’avait frappé qu’une fois, avec onze lames et à onze endroits différents... p. 9 L’assassin n’avait pas poignardé cette fille, il l’avait piquée de toutes parts, comme un toréador qui plante ses banderilles. Pour faire mal. Encore et encore et encore... Une fois… Deux fois… Trois fois… Quatre fois… Cinq fois… Six fois… Sept fois… Huit fois… … Onze fois… En laissant, sans doute, un certain laps de temps entre chaque coup. Comme pour bien jouir des souffrances et des cris répétés de sa victime. Car il y avait quelque chose de théâtral et d’insolent dans tout cela. Une grandeur et un esthétisme qui faisaient peur. (Penser à taire les détails à la presse pour éviter une éventuelle réplique de la part d’ados désœuvrés ou de cinglés en mal d’inspiration...). Et puis, tout autour de la femme, il y avait cette pièce. Les arènes... Non. Un endroit calme, paisible et amoureux. Chaque objet était soigneusement rangé à sa place. Il n’y avait pas trace de ce désordre propre aux garçonnières. Le sol était propre. Les meubles, comme le parquet, fleuraient bon la cire. La patte d’une femme, l’amour d’une femme. Bien sûr, toutes les bonnes ménagères n’étaient pas des amantes passionnées, de même qu’il ne suffisait pas d’avoir le cœur battant pour jouer du balai. D’ailleurs, à y bien réfléchir, c’était une vision terriblement naïve et rétrograde de la femme p. 10 heureuse au foyer... Pourtant, et Marie Loutre sentait instinctivement ce genre de choses, on avait sincèrement chéri chaque centimètre de cette vaste pièce et il en émanait encore quelque choses de doux, de délicat et chaud. L’ensemble était meublé très simplement, mais avec goût. Jusqu’au petit bouquet de roses anglaises au centre de la table, dans un simple vase de porcelaine blanche. Benoit CHAVANEAU p. 11 Poésie Lettre (L’être) Je suis là… Assis… Attendant que mes mots trouvent leur destin. Qu’une réponse donne une existence à des pensées… Qui sont miennes… Point de vulgarité, Juste une caresse douce sur des corps… Décors… Habillage de féminité, Laissant entrapercevoir une finesse, De traits. La virgule d’un sexe… L’exclamation d’un sein… L’interrogation d’une main… Un voile léger d’une retenue d’un nu, Une voyelle entre deux parenthèses. Des lettres qui se veulent noblesses sans accords perdus. A corps perdus… Je suis toujours là… Avec mes mots, Vierges de beautés, A qui se donner. Jacques THORIN
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