Pages de carte blanche EE 59 60 - Page 1 - étoiles d’encre 59-60 Les Revues plurielles dont nous faisons partie animeront des tables rondes pendant l’événement organisé par « Traces » à La Maison de l'Internationale de Grenoble, les vendredi 15 et le samedi 16 novembre. Nous avons réalisé cette carte blanche pour ce thème proposé par André Chabin : Le corps pris aux maux Double peine, discrimination au carré : il ne suffit pas d’être immigrée encore faut-il être femme. Il ne suffit pas d’être immigré, encore fautil être homosexuel. À la juste jonction des stéréotypes, des visions archaïques, des interdits, des relégations, des dominations, le corps de l’autre est l’objet de toutes les violences. Il est d’abord le lieu fantasmé de tous les dangers, même si pour sa part il n’a pas de « lieu », et même s’il n’a de cesse de le conquérir. Longue marche vers la reconnaissance quand on est minorité de la minorité. Bataille avec et parmi les siens pour le droit d’exister pleinement : en personne. Audelà – en deçà ? – de l’origine, du nom, de la peau, la question de la discrimination se démultiplie avec le genre, corrodant l’identité, « le souci de soi », au plus intime. 59 carte blanche_Mise en page 1 16/09/2014 10:37 Page 6 métamorphoses Drôle de genre... Christine Détrez Drôle de mot que ce mot « genre », qui a soudain fait la une des quotidiens, a été brandi sur des pancartes pendant des manifestations, et a suscité tant d’émois et de débats, au point que des parents affolés se mettent à retirer leurs enfants de l’école. Drôle de mot, qui, longtemps ignoré dans les médias et même dans les études universitaires françaises, a soudain été investi d’un pouvoir tel qu’on a pu l’accuser de menacer la famille, l’enfance, et la société tout entière. Le fracas médiatique aura au moins eu le mérite de mettre le concept de genre sous les feux des projecteurs, et surtout de montrer l’ampleur des quiproquos et des méconnaissances (dans le meilleur des cas), des résistances et des obscurantismes (dans le pire des cas): paradoxalement, ainsi, de démontrer l’utilité, encore et toujours, de ce qui pouvait paraître parfois comme un combat pour une cause sinon acquise, au moins en marche inéluctable. Car à tant parler de « genre », il semblerait le plus souvent que l’on ne sache pas de quoi on parle, et ce que signifie le terme. Revenir sur la chronologie de la polémique autour du « genre » et de la « théorie du genre » peut sans doute permettre de poser les définitions, qui, comme pour tout concept scientifique, se sont succédé en s’amendant et se complétant. 59 carte blanche_Mise en page 1 16/09/2014 10:37 Page 7 Retour sur une polémique L’apparition du « genre » sur la scène publique, médiatique et politique date de 2011, avec l’introduction de la notion de genre dans les manuels de Science de la Vie et de la Terre de classes de première, dans des chapitres intitulés « Devenir homme et femme ». Évoquer le « genre » à l’école n’était certes pas une première, puisque la socialisation, c’est-à-dire le travail de la société pour créer des individus sociaux, et ce notamment en définissant le masculin et le féminin (le fameux « on ne naît pas femme, on le devient » de Simone de Beauvoir) est un chapitre classique dans le programme de Sciences économiques et sociales, sans que personne n’ait jamais trouvé là matière à scandale. Pourquoi alors tant de remous, tant d’émois, aussi bien du côté de l’Église catholique que de certains députés UMP, à propos de ces chapitres? Un élément de réponse réside bien entendu dans la discipline même de ces manuels: si le genre reste l’affaire de la sociologie, de l’histoire, de la philosophie, des études littéraires: pas de problème. Mais que l’on enfreigne la sacro-sainte démarcation avec les sciences dites « dures », et tout change. Si le genre est le terrain de jeu des sciences sociales et humaines, en revanche, le sexe et le corps doivent rester le domaine et la chasse gardée de la biologie, seule science légitime pour en parler. C’est d’ailleurs bien ce que remarquait Christine Delphy, il y a quasiment quinze ans, en préface de L’Ennemi Principal 2: « Les défenses sans cesse renouvelées de la « différence sexuelle » ne font que confirmer l’importance du genre dans nos sociétés: une importance sociale telle qu’elle est apparemment le fondement de notre appréhension du monde. On est obligée de faire cette hypothèse quand on observe les réactions à toute mise en cause du centre du dogme, à savoir que la différence des sexes est donnée telle quelle – en deux – par la nature et que la nature lui a aussi donné son importance, qu’on ne peut défier qu’à nos risques et périls. La moindre contestation du dogme suscite l’accablement 8 carte blanche étoiles d’encre 59-60 59 carte blanche_Mise en page 1 16/09/2014 10:37 Page 8 christine détrez 9 des interlocuteurs; mais alors disent-ils/elles, si ce que vous dites est vrai, il n’y a plus ni de haut ni de bas, ni de soleil ni de lune, ni de jour ni de nuit, ni d’oiseaux ni de fleurs (ni bien entendu d’amour), l’humanité elle-même est en péril; on dirait que le chaos les menace et ils/elles vous menacent du chaos. Tout se passe comme si la différence des sexes était ce qui donne sens au monde. Et certains-es en viennent à le dire explicitement » (p 30). Surtout, un glissement progressif a entraîné le quiproquo sur lequel se sont focalisés raccourcis et malentendus: en effet, le chapitre des manuels de SVT abordait, dans « devenir homme et femme », la sexualité, et, parmi les formes possibles de sexualité, l’homosexualité. Le glissement a alors été: genre = sexe, sexe = sexualité, sexualité = homosexualité, et donc, comme par transitivité, genre = homosexualité. Or, d’une part l’homosexualité n’est qu’une forme de sexualité parmi d’autres, d’autre part la sexualité n’est qu’un élément, qu’un exemple de la socialisation de genre, au même titre que la famille, que le travail, ou encore la politique. En effet, et nous y reviendrons, on peut prendre comme définition du « genre » l’ensemble des mécanismes, des représentations, des injonctions, des assignations qui font d’individus des hommes et des femmes, avec leur lot de rôles, de places et d’attitudes: ce sont ces mécanismes qui feront ainsi dire d’un homme qu’il est viril ou « efféminé », d’une femme qu’elle est féminine ou garçon manqué, ou encore que « ça ne se fait pas quand on est un garçon/une fille » (pleurer quand on est un garçon, rire fort quand on est une fille), ou encore que « tel métier, ce n’est pas pour les femmes/les hommes », ou qu’inversement, les femmes seraient naturellement disposées aux métiers liés à l’enfance, au soin des autres (le « care »), tandis que les hommes seraient naturellement disposés aux métiers requérant de l’ambition, le goût du commandement ou encore la force. On voit bien combien tout ce qui relève de la sexualité, de la place de chaque individu dans les relations amoureuses et sexuelles ne peut s’abstraire de cette réflexion: c’est au garçon métamorphoses 59 carte blanche_Mise en page 1 16/09/2014 10:37 Page 9
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