BSCNEWSJUIN2012 - Page 15 - BSC NEWS MAGAZINE JUIN 2012 : Pierre Michon, Nicolas Lormeau, Barbara Canepa, Raphaële Atlan Sébastien Giniaux, Anna Merli, Margerite Abouet, Guylaine Girard, 15 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 48 - JUIN 2012 16 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 48 - JUIN 2012 AVANT APRES Une citation, en préambule, de Virginia Woolf " la vie est un rêve et c'est le réveil qui nous tue" qui répond à votre propre vision de la vie? BARBARA : À la mienne, sûrement , oui. Vous mettez en place une esthétique victorienne, romantique et sombre: quels sont vos mentors en la matière ? BARBARA : Tous les grands peintres anglais romantiques comme W.Morris, J.W.Waterhouse ou D.G.Rossetti , mais aussi les plus connus comme G.Klimt ou A.Mucha plus proches du symbolisme et de l'Art Nouveau. Cet dernier courant d'art, en particulier, m'a toujours inspiré , surtout dans l'architecture , car cet art prend son inspiration dans la nature elle-même , surtout concernant sa "grandeur" sur l'esprit et l'âme de l'homme et l'infini même de l'univers... Pour finir, j'aime beaucoup l'art flamand et ses peintres comme Hieronymus Bosch, Jan van Eyck ou Arcimboldi (mon preferé pour sa folie). Ils m'émerveillent depuis toujours et m'épouvantent à la fois, comme lorsqu'enfant l'on voit une chose pour la première fois en restant muet et un peu effrayé , mais tout de même curieux. Chez vous-même, vous prisez les baldaquins, les décorations baroques ou est-ce le contraire? BARBARA : Ma maison est un vrai musée contenant des choses étranges , à la façon des "cabinets de curiosités" . Je n'ai rien fait d'autre que de reproduire les choses que j'aime. " C'est dans l'obscurité que la lumière est la plus belle " semble être le credo graphique de cet album...aimez-vous travailler avec les couleurs foncées, sombres? BARBARA : Je travaille de nuit , lorsque le reste de la ville est endormie.C'est là, et seulement là que les idées me viennent , mon cerveau se colore alors d'un monde fantastique. J'aime l'obscurité , cela m'inspire... Si je vois le soleil et le ciel bleu , je n'ai qu'une envie, celle de sortir et de rejoindre mes amis pour discuter à la terrasse d'un café. Le choix d'un filtre" vert" dans toutes les vignettes, c'est parce que vous vouliez une tonalité commune à l'ensemble? parce qu'il est important que règne une harmonie chromatique? 17 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 48 - JUIN 2012 18 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 48 - JUIN 2012 BARBARA : Nous avions à coeur de garder cette patine antique tout au long du livre , un peu comme les vieilles illustrations de la fin du 19eme siècle. Un choix obligatoire étant donné que nous aimons toutes les deux les teintes vertes et bleues. Par ailleurs, commercialement, je ne voulais pas me répéter par rapport à mon autre série , SKY DOLL, où en revanche règnent des couleurs fortes et acidulées. J'aime évoluer, changer, afin d' éviter de me répéter... ANNA : Les tons vert-bleu sont récurrents dans End car ce sont les couleurs typiques des scupltures du cimetière Staglieno de Gênes et de ces monuments vieillis. C’est précisément à cette couleur à laquelle nous avons pensé en réalisant End. Pour nous, elle exprimait au mieux notre idée de l’essence d’une nature luxuriante et impitoyable telle qu'est la forêt. Les bois sont des endroits qui enferment les peurs de tout un chacun : la mort, la perte, l’abandon et la solitude qui se développent. En s’enfonçant dans la forêt ou dans le jardin d’Elisabeth, c'est le seul ton qui perce car nous n’aurions pas pu en utiliser d’autres.. L'héroïne principale détient un terrible pouvoir... cette faculté morbide, c'était pour donner plus de prix à la vie? ANNA : Le pouvoir d’Elisabeth est celui en somme de chaque être vivant mais amplifié. Car chacun s’il le souhaite peut donner ou supprimer ce pouvoir. Chez certains, il est inné. Le lierre étouffe pour sa propre survie mais ne décide pas de tuer. Tout comme une mère peut mourir en donnant naissance à son fils sans que cela soit pour autant un suicide. Chacun de nous peut choisir sa conduite et son comportement. En somme, nous avons le même pouvoir qu’Elisabeth. il est donc facile de s’identifier à elle. Parfois, nous pouvons bénéficier de certains dons dont nous ne prenons pas conscience, que nous ne voulons pas ou qui nous a été imposé génétiquement. Nous n’avons pas choisi de naître et, pour la plupart d’entre nous, ne ferons pas le choix de mourir. Elisabeth a la charge de coordonner notre destin à tous. Alors imaginons un instant devoir 19 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 48 - JUIN 2012 20 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 48 - JUIN 2012 21 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 48 - JUIN 2012 etre à sa place et penser à la façon dont nous pourrions nous entendre. BARBARA : Ne brisons pas le suspense, je vous laisse découvrir l'histoire ! Trois étranges créatures tiennent compagnie à Elisabeth... vous ont -elles tenu compagnie aussi durant tous ces mois de travail? Une en particulier ? En avez-vous définitivement adopté une ? BARBARA : Il s'agit de tous les animaux que j'ai eus à mes côtés, ainsi que de leurs vrais noms. Pour qui s'en souvient, Napoléon était déjà dans W.I.T.C.H. (Disney), il y a de nombreuses années. Aujourd'hui il n'est plus mais c'était un chat tout noir vraiment unique et très timide. Concernant la chauve-souris, j'en avais également une lorsque j'étais petite... Elle avait pris ma chambre pour la sienne, pendant quelques mois. La nuit, elle sortait et le jour, elle dormait trois mètres juste au-dessus de ma tête. Elle était très belle , avec son museau de souris , elle aurait pu tenir dans une main d'enfant. Gênes , ma ville natale est infestée de chauves-souris.Il n'est donc pas rare d'en trouver dans sa maison. Les crapauds , Anna et moi en avons eu énormément, car nous avions alors chacune des jardins. Aujourd’hui j’ai un énorme batracien rose-marron qui adore mon grand-père et qui le suit lorsqu'il arrose les plantes à l'heure du crépuscule. Ce sont des animaux très importants pour le microcosme d'un petit jardin. Lorsque l'on est enfant et que l'on a eu la chance , comme moi , d'avoir grandi près d'une fontaine, on les voit arriver, évoluer, se transformer avec le changement des saisons. Voir les têtards perdre leur queue pour les remplacer par des pattes , jusqu'à assister à leur transformation en petites grenouilles , c'est vraiment formidable pour un enfant. Croyez-moi... Dessiner des animaux hybrides, c'est un plaisir accru pour un illustrateur, non? BARBARA : Certainement ! Tout ce qui est pure création procure de véritables frissons de plaisir pour un artiste. ANNA : C’est un plaisir étrange que d’imaginer d’être un chat qui, à la place des pattes, aurait des queues de serpent ou une chauve souris avec des pattes de poulet ou encore un crapaud avec un tempérament d’araignée. Imaginer comment il est possible de se déplacer sous ces apparences n’est pas inné. Et c’est aussi assez triste. Dans le fonds, ce sont des êtres avec des infirmités. Parfois c'est la mort qui a frôlé un être et lui a laissé un souvenir pour qu'il se souvienne qu'ils seront réunis à nouveau bientôt…. La couverture est superbe; elle interpelle le lecteur par son mystère . A-t-elle subi de nombreuses modifications avant d'arriver à sa version finale? BARBARA : Nous l'avons pensée ainsi. L'idée flottait dans l'air...En revanche , la réalisation sur Painter m'a pris beaucoup de temps: quasiment un mois entier , même si je ne travaillais pas que sur ça, évidemment ! Mais j'espère que le résultat est concluant. Il y a tant de petites histoires au sein de cette 22 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 48 - JUIN 2012 illustration.C'est un microcosme, comme l'était ma maison pendant mon enfance. C’était mon royaume, et mes animaux étaient mes gardiens ! Cet album cherche-t-il à apprivoiser la mort ? À lui donner un visage plus doux ? BARBARA : Oui. À l'accepter avec plus de sérénité. Enfin, je l'espère. ANNA : La jeunesse va souvent avec la beauté. Elisabeth est j e u n e … m a i s s o n pouvoir énorme qui v i e n t à p e i n e d e s'infuser en elle, il ne s ' e s t p a s e n c o r e enraciné dans ses veines, il n'a pas encore pris le dessus d a n s s o n a s p e c t terrible…Pour combien de temps devra - t-elle le gérer? Combien de temps en gardera - t- elle le contrôle?Pour toujours? Restera -t-elle b e l l e a i n s i p o u r l'éternité ou pas? Combien de temps pour imaginer et finir ce premier tome ? BARBARA : Entre le moment où je l'ai imaginé et celui où il est sorti sont passées sept années. Le temps effectif de réalisation est d'en fait deux ans. Il en faudra deux de plus pour pouvoir lire la suite. Mais dès l'année prochaine , il y aura une surprise pour Noël! Et entre temps , 23 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 48 - JUIN 2012 il y aura également SKY DOLL 4, qui me prend beaucoup de temps depuis plusieurs mois déjà, avec Alessandro Barbucci en 2013... Nous espérions le sortir en 2012 mais nous n'y sommes pas parvenus. Patience, l'important pour nous est de bien le soigner afin de ne pas décevoir nos lecteurs. Anna et moi commenceront les études du Tome 2 de END dans quelques jours lorsqu'elle viendra me rendre visite ici , en France. Nous espérons ainsi avoir toutes les bases cet été afin d'illustrer cette prochaine aventure qui évoluera au sein d'un "doux manteau blanc"...Vous verrez! ANNA : Oui, je languis l'heure où nous saurons comment va se poursuivre ce voyage! Il reste encore tant de choses à savoir! Chacun d'entre nous est comme un univers, toujours en expansion et il y a systématiquement un angle que nous n'avions pas vu et c'est une chance quand c'est quelqu'un comme Barbara qui nous le raconte…. L'écriture, enfin, est extrêmement poétique. Quels sont vos modèles en matière d'écriture scénaristique? Les mots donnent-ils naissance à des images ou ils naissent presque en même temps qu'elles? BARBARA : Les écrivains anglais de la fin du 19ème et du début du XXème siècle, surtout ceux qui font du fantastique, en premier le grand Roald Dahl. Mes auteurs fetiches sont : Isabel Allende, Luis Sepúlveda, Gabriel García Márquez ou Milan Kundera. Dans la littérature contemporaine actuelle je lis souvent - et avec plaisir - Joe R.Lansdale, Chuck Palahniuk et Stefano Benni. Et pour finir, pour moi les mots et les sentiments naissent en premier et les images viennent après... Le contraire est impossible. Titre: END Auteures: Barbara Canepa et Anna Merli Editions: Soleil Collection: Métamorphose Disponible déjà en librairie 14,30€ © END /Canepa/Merli/Mc Productions 24 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 48 - JUIN 2012 Vos textes mettent en scène des personnages très divers, que ce soit par l’âge, l’extraction sociale, ou la période historique, comme le gardien de cochons du quinzième siècle du Roi du bois, ou le fondateur de la spéléologie du dix-neuvième siècle des Mythologies d’hiver. Quel est selon vous le dénominateur commun entre eux? Cela découle certainement de ma possibilité à l’identification à quelque chose de leur parcours, parce que je suis incapable de décliner vraiment le « il », d’être vraiment à la troisième personne, même si je fais parfois semblant. Ce sont des miroirs, chacun d’eux correspond à une facette de moi- même. Dans Le Roi du bois, c’est le rural débarqué à Rome, pour qui ça ne marche pas bien, et dans mon texte sur Goya (Maîtres et Serviteurs), c’est aussi un rural débarqué à Rome, mais pour qui ça finit bien (Note : Michon est originaire de la Creuse, et petit-fils de p ay s a n s . ) Pa r- d e l à c e t a s p e c t partiellement autobiographique, la plupart de mes personnages ont un destin qui passe soit par la langue, soit par ce qu’on appelait l’art ou la beauté. J’achoppe sur ce point. Par exemple, Débarqué sur la scène littéraire en 1984 avec une fracassante autobiographie, Vies minuscules, Pierre Michon a depuis publié des récits très variés, qui abordent aussi bien la peinture, Maîtres et serviteurs, la littérature, Corps du roi, que l’Histoire, Les Onze, textes qui tous se penchent sur le rapport de l’homme aux Lettres, à l’Art et à la Gloire. Rencontre avec un auteur majuscule attentif aux minuscules. Propos recueillis par Maïa Beyler / © Hervé Thouroude. Rencontre PIERRE MICHON Sa Majesté des Minuscules
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