BSCNEWSJUIN2012 - Page 19 - BSC NEWS MAGAZINE JUIN 2012 : Pierre Michon, Nicolas Lormeau, Barbara Canepa, Raphaële Atlan Sébastien Giniaux, Anna Merli, Margerite Abouet, Guylaine Girard, 19 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 48 - JUIN 2012 20 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 48 - JUIN 2012 21 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 48 - JUIN 2012 etre à sa place et penser à la façon dont nous pourrions nous entendre. BARBARA : Ne brisons pas le suspense, je vous laisse découvrir l'histoire ! Trois étranges créatures tiennent compagnie à Elisabeth... vous ont -elles tenu compagnie aussi durant tous ces mois de travail? Une en particulier ? En avez-vous définitivement adopté une ? BARBARA : Il s'agit de tous les animaux que j'ai eus à mes côtés, ainsi que de leurs vrais noms. Pour qui s'en souvient, Napoléon était déjà dans W.I.T.C.H. (Disney), il y a de nombreuses années. Aujourd'hui il n'est plus mais c'était un chat tout noir vraiment unique et très timide. Concernant la chauve-souris, j'en avais également une lorsque j'étais petite... Elle avait pris ma chambre pour la sienne, pendant quelques mois. La nuit, elle sortait et le jour, elle dormait trois mètres juste au-dessus de ma tête. Elle était très belle , avec son museau de souris , elle aurait pu tenir dans une main d'enfant. Gênes , ma ville natale est infestée de chauves-souris.Il n'est donc pas rare d'en trouver dans sa maison. Les crapauds , Anna et moi en avons eu énormément, car nous avions alors chacune des jardins. Aujourd’hui j’ai un énorme batracien rose-marron qui adore mon grand-père et qui le suit lorsqu'il arrose les plantes à l'heure du crépuscule. Ce sont des animaux très importants pour le microcosme d'un petit jardin. Lorsque l'on est enfant et que l'on a eu la chance , comme moi , d'avoir grandi près d'une fontaine, on les voit arriver, évoluer, se transformer avec le changement des saisons. Voir les têtards perdre leur queue pour les remplacer par des pattes , jusqu'à assister à leur transformation en petites grenouilles , c'est vraiment formidable pour un enfant. Croyez-moi... Dessiner des animaux hybrides, c'est un plaisir accru pour un illustrateur, non? BARBARA : Certainement ! Tout ce qui est pure création procure de véritables frissons de plaisir pour un artiste. ANNA : C’est un plaisir étrange que d’imaginer d’être un chat qui, à la place des pattes, aurait des queues de serpent ou une chauve souris avec des pattes de poulet ou encore un crapaud avec un tempérament d’araignée. Imaginer comment il est possible de se déplacer sous ces apparences n’est pas inné. Et c’est aussi assez triste. Dans le fonds, ce sont des êtres avec des infirmités. Parfois c'est la mort qui a frôlé un être et lui a laissé un souvenir pour qu'il se souvienne qu'ils seront réunis à nouveau bientôt…. La couverture est superbe; elle interpelle le lecteur par son mystère . A-t-elle subi de nombreuses modifications avant d'arriver à sa version finale? BARBARA : Nous l'avons pensée ainsi. L'idée flottait dans l'air...En revanche , la réalisation sur Painter m'a pris beaucoup de temps: quasiment un mois entier , même si je ne travaillais pas que sur ça, évidemment ! Mais j'espère que le résultat est concluant. Il y a tant de petites histoires au sein de cette 22 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 48 - JUIN 2012 illustration.C'est un microcosme, comme l'était ma maison pendant mon enfance. C’était mon royaume, et mes animaux étaient mes gardiens ! Cet album cherche-t-il à apprivoiser la mort ? À lui donner un visage plus doux ? BARBARA : Oui. À l'accepter avec plus de sérénité. Enfin, je l'espère. ANNA : La jeunesse va souvent avec la beauté. Elisabeth est j e u n e … m a i s s o n pouvoir énorme qui v i e n t à p e i n e d e s'infuser en elle, il ne s ' e s t p a s e n c o r e enraciné dans ses veines, il n'a pas encore pris le dessus d a n s s o n a s p e c t terrible…Pour combien de temps devra - t-elle le gérer? Combien de temps en gardera - t- elle le contrôle?Pour toujours? Restera -t-elle b e l l e a i n s i p o u r l'éternité ou pas? Combien de temps pour imaginer et finir ce premier tome ? BARBARA : Entre le moment où je l'ai imaginé et celui où il est sorti sont passées sept années. Le temps effectif de réalisation est d'en fait deux ans. Il en faudra deux de plus pour pouvoir lire la suite. Mais dès l'année prochaine , il y aura une surprise pour Noël! Et entre temps , 23 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 48 - JUIN 2012 il y aura également SKY DOLL 4, qui me prend beaucoup de temps depuis plusieurs mois déjà, avec Alessandro Barbucci en 2013... Nous espérions le sortir en 2012 mais nous n'y sommes pas parvenus. Patience, l'important pour nous est de bien le soigner afin de ne pas décevoir nos lecteurs. Anna et moi commenceront les études du Tome 2 de END dans quelques jours lorsqu'elle viendra me rendre visite ici , en France. Nous espérons ainsi avoir toutes les bases cet été afin d'illustrer cette prochaine aventure qui évoluera au sein d'un "doux manteau blanc"...Vous verrez! ANNA : Oui, je languis l'heure où nous saurons comment va se poursuivre ce voyage! Il reste encore tant de choses à savoir! Chacun d'entre nous est comme un univers, toujours en expansion et il y a systématiquement un angle que nous n'avions pas vu et c'est une chance quand c'est quelqu'un comme Barbara qui nous le raconte…. L'écriture, enfin, est extrêmement poétique. Quels sont vos modèles en matière d'écriture scénaristique? Les mots donnent-ils naissance à des images ou ils naissent presque en même temps qu'elles? BARBARA : Les écrivains anglais de la fin du 19ème et du début du XXème siècle, surtout ceux qui font du fantastique, en premier le grand Roald Dahl. Mes auteurs fetiches sont : Isabel Allende, Luis Sepúlveda, Gabriel García Márquez ou Milan Kundera. Dans la littérature contemporaine actuelle je lis souvent - et avec plaisir - Joe R.Lansdale, Chuck Palahniuk et Stefano Benni. Et pour finir, pour moi les mots et les sentiments naissent en premier et les images viennent après... Le contraire est impossible. Titre: END Auteures: Barbara Canepa et Anna Merli Editions: Soleil Collection: Métamorphose Disponible déjà en librairie 14,30€ © END /Canepa/Merli/Mc Productions 24 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 48 - JUIN 2012 Vos textes mettent en scène des personnages très divers, que ce soit par l’âge, l’extraction sociale, ou la période historique, comme le gardien de cochons du quinzième siècle du Roi du bois, ou le fondateur de la spéléologie du dix-neuvième siècle des Mythologies d’hiver. Quel est selon vous le dénominateur commun entre eux? Cela découle certainement de ma possibilité à l’identification à quelque chose de leur parcours, parce que je suis incapable de décliner vraiment le « il », d’être vraiment à la troisième personne, même si je fais parfois semblant. Ce sont des miroirs, chacun d’eux correspond à une facette de moi- même. Dans Le Roi du bois, c’est le rural débarqué à Rome, pour qui ça ne marche pas bien, et dans mon texte sur Goya (Maîtres et Serviteurs), c’est aussi un rural débarqué à Rome, mais pour qui ça finit bien (Note : Michon est originaire de la Creuse, et petit-fils de p ay s a n s . ) Pa r- d e l à c e t a s p e c t partiellement autobiographique, la plupart de mes personnages ont un destin qui passe soit par la langue, soit par ce qu’on appelait l’art ou la beauté. J’achoppe sur ce point. Par exemple, Débarqué sur la scène littéraire en 1984 avec une fracassante autobiographie, Vies minuscules, Pierre Michon a depuis publié des récits très variés, qui abordent aussi bien la peinture, Maîtres et serviteurs, la littérature, Corps du roi, que l’Histoire, Les Onze, textes qui tous se penchent sur le rapport de l’homme aux Lettres, à l’Art et à la Gloire. Rencontre avec un auteur majuscule attentif aux minuscules. Propos recueillis par Maïa Beyler / © Hervé Thouroude. Rencontre PIERRE MICHON Sa Majesté des Minuscules 25 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 48 - JUIN 2012 tous les personnages des Vies Minuscules ont pour point d’achoppement une langue qui les dépasse. Si tous vos personnages sont éparpillés à travers les âges, les milieux sociaux, et surtout les époques, ils ont en commun une espèce de texture psychologique. Est-ce que vous croyez qu’au quinzième siècle, on rêvait, on aimait et on haïssait comme au vingtième siècle? L’amour, la jalousie, la foi, ça ne change pas. Il y a certains très bons sociologues, comme Norbert Elias, qui disent que l’homme était différent. Je pense quand même qu’il y a un fonds commun, sinon, on ne lirait plus Tristan et Yseult, ni l’Iliade. Qu’est-ce qu’il y a dans l’Iliade qui nous est si étranger que ça, à part, peut-être, leurs biceps énormes, et leurs chars ? Quand les ethnologues allaient voir les tribus indiennes, dans les années trente, il y avait évidemment beaucoup de points qui les séparaient, toute la profondeur de l’histoire, mais ces gens communiquaient très bien entre eux. De plus, je crois que si l’homme était bien différent à une certaine époque, c’est la littérature qui l’a changé, ou qui plutôt l’a aidé à devenir plus humain. L’invention biblique et l’invention homérique, ont certainement fait advenir une image de l’homme qui ne pouvait pas ne pas être. Ce sont des textes qui arrivent au moment des grands despotismes, assyriens, égyptiens, et qui redressent la barre du côté de l’humain et non du côté de l’expansion indéfinie de l’état. La majorité de vos romans se termine mal pour vos protagonistes : mort au combat, mort suite à l’alcoolisme, mort d e f r o i d , a b a n d o n n é , t r a h i , désillusionné. Comme on dit qu’il n’y pas d’amour heureux, n’y a-t-il pas de littérature digne de ce nom qui puisse raconter une histoire qui finit bien? "Si l’homme était bien différent à une certaine époque, c’est la littérature qui l’a changé, ou qui plutôt l’a aidé à devenir plus humain" 26 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 48 - JUIN 2012 27 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 48 - JUIN 2012 28 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 48 - JUIN 2012 Pour moi, tout texte est un préparatif au sacrifice. C’est un point sur lequel Bataille m’a d’ailleurs beaucoup marqué. Dans ma fantasmatique, tout texte que j’écris sacrifie son objet, le héros que j’aime tant. On amène Iphigénie, on la prépare, le père pleure, et quand même, à la fin, le couperet tombe. Les héros ne peuvent pas ne pas mourir, et s’ils ne trépassent pas physiquement, ils meurent à eux- mêmes, comme le personnage à la fin du Roi du bois. Il s’agit pour moi de révéler à quel point terrible la beauté peut être. C’est d’ailleurs le même mécanisme en ce qui concerne ma propre vie : je me lève à quatre heures du matin, je suis défoncé au café, je fume trois paquets de cigarettes dans la matinée, c’est une machine sacrificielle. Vos romans sont généralement courts, et vous avez également souvent écrit des textes sous forme d’une série de nouvelles reliées par un même thème. Ce choix de la brièveté, et de la prolifération narrative, est-il lié à un refus de faire du roman traditionnel ? Ce n’est pas un refus, c’est que je ne peux pas, ce n’est pas ma façon. Ça n’a rien d’idéologique, ce n’est pas un a priori esthétique. Malgré cela, il me semble aussi tout de même que 1914 a sapé la confiance dans la langue française, et a donc bien sûr changé la façon d’écrire. Vos récits évoquent en effet souvent ces hommes d’après 1789 mais d’avant 1914, qui avaient foi en la Langue. Vous semblez éprouvez une certaine sympathie pour ces ancêtres que vous jugez néanmoins naïfs ? Je les appelle les « barbichus », et j’ai effectivement beaucoup d’affection pour eux. Ce que j’aime, c’est leur courageux « on va continuer sans Dieu, on va quand même continuer sans Dieu », en n’imaginant pas les catastrophes que ça allait donner au vingtième siècle, catastrophes dont ils sont en partie responsables. J’aime aussi leur courage physique : ils étaient spéléologues, paléontologues, et explorateurs, ce qui a d’ailleurs donné directement sur le colonialisme. Le bon, le mauvais, tout "J’aime cette croyance selon laquelle l’humanité ce n’est pas forcément le pire. Or, nous sommes installés dans l’idée que l’humanité c’est le pire"
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