BSC NEWS FEVRIER 2015 - Page 16 - 14 Tabitha (9) 12 quels les arrière-plans sont même en expansion... un développement récent? ou, au contraire, sont-ce ces œuvres anciennes? Placer un sujet dans un contexte est toujours difficile, l’environnement peut ajouter une atmosphère, une histoire, et du sens, mais en même temps, ces éléments distraient le spectateur et diluent l’interaction avec l’objet. Au fil des années, j’ai expérimenté différents types d’environnements et c’est encore un travail en cours. Votre travail semble trahir la personnalité d’un observateur et un être humain très sensible à la poésie qui se dégage de chaque être, on se trompe? Lorsque je peins, j’«écoute» ce que le visage me dit et je ne peux pas arrêter jusqu’à ce qu’il «dise» quelque chose de significatif. Qu’est-ce qui se dit? C’est par contre quelque chose que je ne peux pas mettre en mots. Pouvez-vous nous expliquer ce qui est à la genèse de vos portraits? une rencontre qui vous touche? une émotion que vous voulez peindre? Je me sens obligé de peindre certaines personnes, comme si je me languissais de leur présence. Vos personnages expriment tous une gravité intrinsèque. Ils ont un quoi je-ne-sais-quoi de caché dans leur yeux, une douleur indicible, le poids du passé , non? Ces sentiments ne sont pas souvent mes intentions initiales, mais je m’abandonne à eux à chaque fois. Avez-vous déjà peint des personnages souriants ou rire? Est-ce compatible avec votre esthétique? Je sens qu’un portrait «heureux» est beaucoup plus complexe à exécuter qu’un mélancolique, et j’ai encore beaucoup à apprendre… www.lucong.tumblr.com «I feel a “happy” portrait is far more complex to execute than a melancholic one, and I still have a lot to learn.» 19 Makena (5) 20 Corban (5) 13 Smythe (6) 21 FINANCEZ LE BSC NEWS Soutenez un média culturel, libre & INDÉPENDANT JE FINANCE ICI À PARTIR D’1 EURO 22 DRONES BANDE-DESSINÉE Bertrand Gatignol / Hubert PROPOS RECUEILLIS PAR JULIE CADILHAC / Photos Chloe Vollmer-lo 24 Hubert / Histoire Comment est née l’histoire de Petit? De votre intérêt, tout petit, pour les histoires d’ogres et de géants? On est tous marqué par ce genre de récit quand on est petit, ne serait-ce que parce qu’à cet âge on est tout petit au milieu d’un monde de géants. Mais Petit est en fait né d’une envie d’écrire quelque chose dans la veine des récits gothiques dont j’ai été un grand lecteur vers l’âge de vingt ans ( comme «Le Manuscrit trouvé à Saragosse», «Melmoth») dans lesquels les malédictions familiales et les châteaux géants font partie des ingrédients habituels. Les géants s’y sont naturellement inscrits avec cette idée de lignée en pleine dégénérescence, puisque ça permettait de rendre ça visuel : ils rapetissent de génération en génération, jusqu’à se rapprocher de la taille des humains. Il y a surtout un événement plus personnel : suite à la maladie d’un de mes parents, j’ai découvert beaucoup de choses sur ma famille que j’ignorais, secrets qui apportaient une lumière nouvelle sur celleci et sur moi-même. J’ai eu la sensation très forte d’être programmé par cette histoire familiale, de n’être que le résultat de celle-ci. C’était très flippant, comme si je n’étais qu’un petit robot. D’où le thème central du déterminisme familial. Le choix d’alterner des épisodes de bandes-dessinées avec de courts chapitres narratifs était là dès le début du Petit est le fils d’un Roi-Ogre. Il est a peine plus grand qu’un humain car, à force de consanguinité, la dégénérescence familiale est inéluctable, rendant chaque génération plus petite que la précédente. A sa naissance, son père, horrifié, souhaite le dévorer mais sa mère l’en empêche, nourrissant pour lui l’ambition de rebâtir une nouvelle génération d’ogres vigoureuse. En effet, on raconte que Le Fondateur de la Lignée était de petite taille et qu’en s’accouplant avec des humaines, il a fondé une génération d’ogres immenses. Petit est ainsi confié, à l’insu de son père et de la cour, à sa tante Desdée, qui vit recluse dans une partie éloignée du château car elle refuse de dévorer des humains et leur voue de l’affection. Petit devra donc choisir entre l’éducation humaniste qu’il reçoit et les instincts familiaux dont il a hérité... Un récit gothique tout bonnement génial autour du déterminisme familial. D’où notre monstrueuse envie d’en savoir un peu plus à propos de la genèse, les sources d’inspiration et les sentiments des auteurs sur cet album terriblement attrayant ! 25 Bébé tout petit ! Affreux ! Affreux !!! Oh ! Maman, donne-lenous ! bébé ! Veut jouer bébé ! Hu hu hu ! 7 26 projet? Et si oui, pourquoi ce choix? C’est un choix qu’on a fait au tout début avec Bertrand. La matière était tellement importante qu’il aurait fallu 600 pages si on avait tout traité en bande-dessinée. De plus, ça aurait noyé l’histoire de Petit au milieu des autres. Bertrand a eu l’idée de cette forme, qui correspondait aussi à une envie de ma part. C’était mon challenge personnel dans ce livre : écrire du texte, moi qui aie l’habitude de me cacher derrière le dessin et de n’écrire au final quasiment que des dialogues. Comme Bertrand se chargeait de mettre en scène l’histoire, il était important qu’il puisse avoir l’espace qui lui était nécessaire et qu’il sente l’histoire pour pouvoir l’incarner. Nous avons eu beaucoup d’échanges pendant la phase d’écriture, ce qui a fait évoluer l’histoire et l’a enrichie, tout comme pendant qu’il mettait en scène. C’est un vrai travail d’équipe. Ces récits étaient importants parce qu’ils éclairent les comportements et les choix de Petit, qui sans cela seraient souvent incompréhensibles. On a essayé de rendre le passage du récit bande-dessinée aux textes le plus fluide possible, pour qu’ils n’arrêtent pas la lecture. D’où les têtes de chapitres, qui annoncent le saut d’un mode de narration à l’autre. Petit est prédestiné à un terrible rôle, celui du fondateur, qui doit accepter de voir toutes ses femmes mourir en couches pour recréer une nouvelle génération de géants...Un rôle qu’il refuse sous l’influence du personnage pour lequel vous semblez avoir le plus d’affection, Desdée... Desdée qui veut faire disparaître définitivement sa famille de dégénérés... Comment est né ce personnage? En fait toute l’histoire est née d’un bloc. Dans les premiers temps d’écriture, je contrôle très peu la matière. J’écris en mode associatif, de façon intuitive, je note tout ce qui sort... Mais l’idée que Petit soit pris entre sa mère biologique et une mère de substitution s’est imposée très rapidement dans la logique de l’histoire, à partir de l’instant où il devait grandir caché. De même le fait que cette deuxième mère soit à l’écart de la famille, rejetée des siens parce qu’elle n’en partage pas les valeurs, tout en étant assez puissante pour le protéger. A partir de là, Desdée est venue à la vie très vite, immense, presque toujours immobile, très attachante par certains côtés et effrayante par d’autres : elle a beau essayer de se comporter de façon humaine, elle n’en est pas moins une géante, avec des pulsions aussi violentes que les autres membres de sa famille. La mère de Petit est l’un des personnages les plus complexes…Est-ce uniquement l’instinct de mère qui la pousse à ne pas dévorer son enfant…ou n’est-elle pas un peu moins dégénérée que les autres?
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