BSCNEWS OCTOBRE - Page 63 - BSC NEWS MAGAZINE - OCTOBRE 2014 - 63 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 contribution significative aux échanges qui ont trait au bien commun" poursuit l'auteur. L'essai de John Crary est un ouvrage bien documenté et fort intéressant en tant qu'éloge du repos contre "la léthargie de masse". De nombreuses références jalonnent l'argumentation et l'on prend plaisir à le suivre dans la structure de son plaidoyer pour le sommeil. Passionnant. ■ 24/7 - Le capitalisme à l’assaut du sommeil Jonathan Crary Zones Editions La découverte 15,00 € - 144 pages Traduit de l’anglais (États-Unis) par Grégoire Chamayou 64 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 LIVRE NOBEL Jean Daragane a perdu un carnet d ’ a d r e s s e s . C ’ e s t s o u v e n t préoccupant, parfois fâcheux. Rien de tel pour Jean : il n’y avait c o n s i g n é q u e d e s r e l a t i o n s prétendument utiles. Autrement dit, qui ne comptent pas. Quelques vaisseaux de l’armada des figurants que l’on croise au cours d’une vie, moroses comme un film des Dardenne belges. Un jour, le téléphone sonne. Un certain Ottolini a trouvé ce carnet, dans lequel Daragane avait machinalement écrit ses coordonnées. Il offre de le lui restituer. Jean accepte, du bout des lèvres. Au fond, cette perte était un acte manqué. Ottolini est un personnage indiscret et passablement inquiétant. Sa compagne Chantal – autrefois Joséphine – Griffay met Daragane en garde. Trop tard. Jean a mis le d o i g t d a n s l ’ é c h e v e a u L’écheveau-léger C’est une toute petite école. Le maître et l’élève ne font qu’un. On y enseigne la magie d’écrire. On y apprend la table de multiplication des sortilèges. Modiano, au tableau ! Par Marc Emile Baronheid / Crédit-photo 65 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 consubstantiel à l’univers romanesque de Modiano. Il va désor mais s’employer à le débrouiller. « Pourquoi des gens dont vous ne soupçonniez pas l’existence, que vous croisez une fois et que vous ne reverrez plus, jouent-ils, en coulisse, un rôle important dans votre vie à l’écho de l’écho du silence ? ». Retour dans un Paris qui va s’effilocher à mesure que le pisteur veut s’en saisir, dont le souvenir est confié aux bons soins de la mémoire des hommes. Modiano promène Jean, d’appels de phares en adresses provisoires, de moments passés en fraude à l’écho du silence, le lestant cette fois de l’ impossibilité d’une île: cette valise jaune, en carton bouilli, dont la clé s’est perdue, renfermant d e s l e t t r e s , d e s p h o t o s , d e s documents qu’il est peut-être préférable de ne pas arracher à leur sommeil. Une lente remontée de l’Orénoque, une géographie de soi, au risque de l’intimité, à la recherche d’ Annie Astrand, figure immanente et interlope. On croit deviner que Jean a ressenti à son contact un trouble profond. Mais, à l’instar de l’étiquette à la cour d’Angleterre, il lui est juste permis de paraître sans rien laisser paraître. Annie, un fantôme qui aurait enjôlé les geôliers de l’imaginaire, le mirage de l’émotion subreptice et ses bombes à retardement. La puissante charge poétique de ce roman, concentrée dans une maison de S a i n t - L e u - l a - f o r ê t , s e r é p a n d prodigieusement dans toutes ses nervures. Hallucination auditive ? On croit entendre le piano de Pierre Roche accompagnant « je ne reconnais plus ni les murs ni les rues qui ont vu ma jeunesse ». Tiens… la chanson d’un exilé fiscal qui épaule en douce les ruades d’une diaspora : quel beau et modianesque sujet ! ■« Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier » Patrick Modiano Éditions Gallimard 286 PAGES - 16,90 euros 66 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 ROMAN A 36 ans, Tsukuru Tazaki est un homme solitaire, concepteur et faiseur de gares ferroviaires à Tokyo. Il vient de rencontrer Sara, avec qui il envisage une liaison durable. Au cours d’un dîner, il lui révèle le traumatisme qui hante sa vie depuis longtemps : il se représente sans qualités, sans « couleurs », créant le vide autour de lui. Il a vécu avec quatre camarades l’expérience d’une amitié exaltante : leurs Par Félix Brun / Crédit-photo Iván Giménez A 36 ans, Tsukuru Tazaki est un homme solitaire, concepteur et faiseur de gares ferroviaires à Tokyo. Il vient de rencontrer Sara, avec qui il envisage une liaison durable. Au cours d’un dîner, il lui révèle le traumatisme qui hante sa vie depuis longtemps : il se représente sans qualités, sans « couleurs », créant le vide autour de lui. L’histoire ordinaire de Tsukuru Tazaki 67 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 prénoms respectifs correspondaient à une couleur, Bleu et Rouge pour les garçons, Noire et Blanche pour les filles. « Les quatre autres bien colorés, et Tsukuru Tazki, celui qui n’avait pas de couleur. » Pendant leur scolarité, « Les cinq adolescents faisaient partie de la même classe d’un lycée public des environs de Nagaya. Trois garçons deux filles . Ils s ’ é t a i e n t l i é s d ’ a m i t i é e n participant à des activités volontaires, durant l’été de leur première année, et même s’ils avaient été dispersés dans d e s c l a s s e s différentes au cours des années scolaires suivantes, ils avaient continué à former u n g r o u p e t r è s soudé. » Et puis sans qu’il en comprenne les motifs, ses amis le r e j e t t e n t , l e bannissent, et lui font savoir qu’ils cessent tout contact avec lui. Cette rupture est « un silence semblable à un solide mur de pierre. » Le choc est terrible, une déchirure qui le fait glisser au bord du suicide : « Tel le héros biblique qui avait été avalé par une gigantesque baleine et qui survivait dans son ventre, Tsukuru était tombé dans l’estomac de la mort, un vide stagnant et obscur dans lequel il avait passé des jours sans dates. » Sara l’invite à rencontrer ses anciens camarades, l’exige même, pour affronter ses fantômes, ouvrir les placards du passé, comprendre le b a n n i s s e m e n t d o n t i l a é t é l’objet. « On ne peut pas effacer l’histoire ni la réécrire. Ce serait comme vouloir effacer sa propre existence. » Tsukuru, dans sa confession, dévoile l’amitié qui l’a lié à Haida, jeune c o m p a g n o n d a n s s a période difficile et qui a été le « sixième doigt » , p a r r é f é r e n c e à l a « c o m m u n a u t é harmonieuse » de son ancienne équipée unie « comme les cinq doigts de la main ». « Mais il avait p e r d u f o i d a n s l e s communautés parfaites, il n’éprouvait plus en lui, la tiédeur profonde de leur alchimie. » La démarche de Tsukuru auprès de ses amis du premier cercle s ’ a p p a r e n t e à u n e enquête policière dont il serait à la fois l’enquêteur et le suspect. Il découvre la vrai personnalité de chacun de ses amis : « Dans le cours de notre vie, nous découvrons notre vrai moi. Et au fur et à mesure que cette découverte se fait, nous nous perdons. » La quête de Tsukuru sur fond musical de l’œuvre de Franz Litz « Années de Pèlerinage » va-t-elle lui permettre de découvrir le secret 68 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 qui a déchiré leur amitié pourtant indestructible ? C’est un roman subtil, lumineux sur les mystères de la vie et de l’origine, et l’interprétation de chacun vis-à-vis des autres. L’amitié entre les êtres peut-elle disparaître brutalement et totalement ? « Tout n’est pas dissous dans le flux du temps.[…]A cette époque , nous croyions avec force à quelque chose, nous avions la capacité de croire avec force. Tout cela n’a pas pu simplement se dissoudre. » Haruki Murakami, orfèvre dans l’art de la métaphore, fascine le lecteur par la précision de ses descriptions et de ses comparaisons : « La jalousie, du moins telle que Tsukuru l’avait conçue dans ses rêves , est la prison la plus désespérée du monde. Parce que c’est une geôle dans laquelle le prisonnier s’enferme lui-même. Personne ne le force à y entrer. Il y pénètre de son plein gré, verrouille la porte de l’intérieur puis jette la clé de l’autre côté de la grille. ». Murakami nous immerge dans son univers et son charme insaisissable. l’avenir de ses enfants. ■ L incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage. Haruki Murakami EDITIONS BELFOND 384 PAGES - 23 euros 69 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 BSC NEWS MAGAZINE 70 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 ROMAN Par Pascal Baronheid / Crédit-photo ©Constance Gournay Oscar Coop-Phane continue à justifier les commentaires élogieux qui ont salué ses débuts et accompagné son deuxième roman. Il poursuit un sillon mélancolique, nimbé désormais d’un désespoir scintillant. Béni soit qui Malle y pense 71 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 Jacques est un peintre inaccompli. Sans succès veut-il dire sans talent ? « Jacques était un de ces types qui ne peuvent pas se contenter d’un art imparfait ». Les désillusions artistiques sont comme les tatouages : on a beau frotter, rien ne s’efface. Il songe sérieusement à larguer les amarres, une fois pour toutes. On ne quitte pas la scène sans faire ses adieux. Jacques s’offre un dernier vagabondage, dans les lieux qu’il a connus, auprès de ceux qui ont un peu, beaucoup compté, sans pour autant le détourner de son projet. « C’est agréable parfois de se sentir triste ». La mélancolie selon Coop-Phane n’a pas l’élégance aérienne dont on se réjouit chez Jean-Louis Murat. Elle est davantage une symphonie du délabrement, une partition de l’amertume. Il revoit Marie, autrefois aimée, aimante, amante ad nauseam. Il rejoint Dédé, écrivain velléitaire, autre naufragé de l’utopie créatrice. Tous comptes faits, c’est Paris qui lui tient le plus à cœur. On retrouve dans ce roman l’empreinte du Feu follet de Drieu La Rochelle, avec un hommage particulier au travail cinématographique de Louis Malle, à la présence de Maurice Ronet. La réussite de Coop-Phane tient dans l’envoûtement de cette dérive, l’apaisement que l’on trouve à s’expatrier de soi. 2012, 2013, 2014 : les Coop-Phane tombent aussi régulièrement que le tiers provisionnel. La qualité des pages arrête là toute comparaison avec Amélie Nothomb. On espère qu’il ne va pas céder lui aussi à la tentation d’accumulation morbide, sous le couvert d’incontinence graphomaniaque. ■ « Octobre » Oscar Coop-Phane Editions Finitude Prix: 14 € 144 pages oscar coop-phane OCTOBRE roman FINITUDE 72 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 EN SEPTEMBRE, NE PASSEZ PAS À CÔTÉ DE VOTRE RENTRÉE LITTÉRAIRE CONFIEZ-NOUS LA CAMPAGNE DE PRESSE NATIONALE DE VOTRE LIVRE ET NOUS EN EN PARLERONS À 14 000 JOURNALISTES CLIQ U EZ ICI PO U R LA RÉSERVER ( *N O M BRE DE CAM PAG N ES LIM ITÉES )
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