BSCNEWS OCTOBRE - Page 67 - BSC NEWS MAGAZINE - OCTOBRE 2014 - 67 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 prénoms respectifs correspondaient à une couleur, Bleu et Rouge pour les garçons, Noire et Blanche pour les filles. « Les quatre autres bien colorés, et Tsukuru Tazki, celui qui n’avait pas de couleur. » Pendant leur scolarité, « Les cinq adolescents faisaient partie de la même classe d’un lycée public des environs de Nagaya. Trois garçons deux filles . Ils s ’ é t a i e n t l i é s d ’ a m i t i é e n participant à des activités volontaires, durant l’été de leur première année, et même s’ils avaient été dispersés dans d e s c l a s s e s différentes au cours des années scolaires suivantes, ils avaient continué à former u n g r o u p e t r è s soudé. » Et puis sans qu’il en comprenne les motifs, ses amis le r e j e t t e n t , l e bannissent, et lui font savoir qu’ils cessent tout contact avec lui. Cette rupture est « un silence semblable à un solide mur de pierre. » Le choc est terrible, une déchirure qui le fait glisser au bord du suicide : « Tel le héros biblique qui avait été avalé par une gigantesque baleine et qui survivait dans son ventre, Tsukuru était tombé dans l’estomac de la mort, un vide stagnant et obscur dans lequel il avait passé des jours sans dates. » Sara l’invite à rencontrer ses anciens camarades, l’exige même, pour affronter ses fantômes, ouvrir les placards du passé, comprendre le b a n n i s s e m e n t d o n t i l a é t é l’objet. « On ne peut pas effacer l’histoire ni la réécrire. Ce serait comme vouloir effacer sa propre existence. » Tsukuru, dans sa confession, dévoile l’amitié qui l’a lié à Haida, jeune c o m p a g n o n d a n s s a période difficile et qui a été le « sixième doigt » , p a r r é f é r e n c e à l a « c o m m u n a u t é harmonieuse » de son ancienne équipée unie « comme les cinq doigts de la main ». « Mais il avait p e r d u f o i d a n s l e s communautés parfaites, il n’éprouvait plus en lui, la tiédeur profonde de leur alchimie. » La démarche de Tsukuru auprès de ses amis du premier cercle s ’ a p p a r e n t e à u n e enquête policière dont il serait à la fois l’enquêteur et le suspect. Il découvre la vrai personnalité de chacun de ses amis : « Dans le cours de notre vie, nous découvrons notre vrai moi. Et au fur et à mesure que cette découverte se fait, nous nous perdons. » La quête de Tsukuru sur fond musical de l’œuvre de Franz Litz « Années de Pèlerinage » va-t-elle lui permettre de découvrir le secret 68 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 qui a déchiré leur amitié pourtant indestructible ? C’est un roman subtil, lumineux sur les mystères de la vie et de l’origine, et l’interprétation de chacun vis-à-vis des autres. L’amitié entre les êtres peut-elle disparaître brutalement et totalement ? « Tout n’est pas dissous dans le flux du temps.[…]A cette époque , nous croyions avec force à quelque chose, nous avions la capacité de croire avec force. Tout cela n’a pas pu simplement se dissoudre. » Haruki Murakami, orfèvre dans l’art de la métaphore, fascine le lecteur par la précision de ses descriptions et de ses comparaisons : « La jalousie, du moins telle que Tsukuru l’avait conçue dans ses rêves , est la prison la plus désespérée du monde. Parce que c’est une geôle dans laquelle le prisonnier s’enferme lui-même. Personne ne le force à y entrer. Il y pénètre de son plein gré, verrouille la porte de l’intérieur puis jette la clé de l’autre côté de la grille. ». Murakami nous immerge dans son univers et son charme insaisissable. l’avenir de ses enfants. ■ L incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage. Haruki Murakami EDITIONS BELFOND 384 PAGES - 23 euros 69 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 BSC NEWS MAGAZINE 70 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 ROMAN Par Pascal Baronheid / Crédit-photo ©Constance Gournay Oscar Coop-Phane continue à justifier les commentaires élogieux qui ont salué ses débuts et accompagné son deuxième roman. Il poursuit un sillon mélancolique, nimbé désormais d’un désespoir scintillant. Béni soit qui Malle y pense 71 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 Jacques est un peintre inaccompli. Sans succès veut-il dire sans talent ? « Jacques était un de ces types qui ne peuvent pas se contenter d’un art imparfait ». Les désillusions artistiques sont comme les tatouages : on a beau frotter, rien ne s’efface. Il songe sérieusement à larguer les amarres, une fois pour toutes. On ne quitte pas la scène sans faire ses adieux. Jacques s’offre un dernier vagabondage, dans les lieux qu’il a connus, auprès de ceux qui ont un peu, beaucoup compté, sans pour autant le détourner de son projet. « C’est agréable parfois de se sentir triste ». La mélancolie selon Coop-Phane n’a pas l’élégance aérienne dont on se réjouit chez Jean-Louis Murat. Elle est davantage une symphonie du délabrement, une partition de l’amertume. Il revoit Marie, autrefois aimée, aimante, amante ad nauseam. Il rejoint Dédé, écrivain velléitaire, autre naufragé de l’utopie créatrice. Tous comptes faits, c’est Paris qui lui tient le plus à cœur. On retrouve dans ce roman l’empreinte du Feu follet de Drieu La Rochelle, avec un hommage particulier au travail cinématographique de Louis Malle, à la présence de Maurice Ronet. La réussite de Coop-Phane tient dans l’envoûtement de cette dérive, l’apaisement que l’on trouve à s’expatrier de soi. 2012, 2013, 2014 : les Coop-Phane tombent aussi régulièrement que le tiers provisionnel. La qualité des pages arrête là toute comparaison avec Amélie Nothomb. On espère qu’il ne va pas céder lui aussi à la tentation d’accumulation morbide, sous le couvert d’incontinence graphomaniaque. ■ « Octobre » Oscar Coop-Phane Editions Finitude Prix: 14 € 144 pages oscar coop-phane OCTOBRE roman FINITUDE 72 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 EN SEPTEMBRE, NE PASSEZ PAS À CÔTÉ DE VOTRE RENTRÉE LITTÉRAIRE CONFIEZ-NOUS LA CAMPAGNE DE PRESSE NATIONALE DE VOTRE LIVRE ET NOUS EN EN PARLERONS À 14 000 JOURNALISTES CLIQ U EZ ICI PO U R LA RÉSERVER ( *N O M BRE DE CAM PAG N ES LIM ITÉES ) 73 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 PHILOSOPHIE Même si Tous les hommes sont frères de Gandhi flirte avec le genre de l'autobiographie, il n'en est pas moins un ouvrage politique au sens noble du terme. L'Ahimsâ est le principe de ce que l'on appelle la non-violence active, il s'en fit le fervent défenseur tout au long de sa vie. Tous les hommes sont frères Le titre de cet ouvrage est extrait d'une citation mise en exergue dans l ' i n t r o d u c t i o n . P o u r b i e n l a comprendre, il faut lui donner son entièreté : « Tous les hommes sont frères et aucun être humain ne devrait nous être étranger. Le bien de tous (…) devrait être notre but ». En ne faisant aucune distinction entre les confessions, les croyances, les appartenances religieuses ou les origines ethniques, Gandhi nous donne une leçon de vie, celle du respect plein et entier de toute l'humanité. Bien entendu il est possible de critiquer une partie de la pensée de cette « grande âme » – Mahâtmâ – celle notamment qui érige en s y s t è m e n é c e s s a i r e l a n o n séparation de la religion et de la politique. Mais une critique reste vide lorsque la pensée de l'auteur n'est pas remise dans son contexte historique et géopolitique. La religion qui s'exerçait en Inde – un peu moins fortement aujourd'hui – n'est pas de Par Sophie Sendra Il est des petits livres oubliés auxquels nous pensons, mais que nous ne relisons que rarement, malheureusement. En regardant la violence du monde, un livre nous vient à l'esprit, celui d'un homme qui ne cessa de prôner le principe de la non-violence. Cette dernière, inspirée par la grande tradition indienne, nous permet de penser qu'une valeur morale personnelle, si elle est bonne, peut être érigée en valeur universelle. Gandhi, réveille toi, ils sont devenus fous ! 74 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 même constitution que celle qui peut – ou a pu – s'exercer sur le continent européen. En effet, la Politique est au sens premier, l'organisation de la vie de la cité, or en Inde, les castes font partie de la vie de la cité – hiérarchisant les c l a s s e s s o c i a l e s o u g ro u p e s d'individus – ; elles tirent leur origine dans les textes classiques hindous d'inspiration védique, les Écritures sacrées du brahmanisme. Gandhi ne peut donc pas imaginer une autre forme de politique, un autre système. Au-delà de ce point de vue qui peut être critiquable à bien des égards, mais compréhensible au regard de l'histoire de la construction de l'Inde, l'auteur nous offre une philosophie à méditer : « Si quelqu'un m'apportait la preuve que Dieu ment ou qu'il prend plaisir à torturer les êtres, je refuserais de l'adorer ». Ainsi aucune entité ne pourrait valider un comportement lié à la barbarie. Intouchables Il existe quatre castes dans la société Indienne. Une cinquième, les intouchables, est tellement « sans existence » humaine qu'elle ne fait même pas partie de ce système pyramidal : Les Brahmanes (prêtres), les Kshatriyas (nobles et guerriers), les V a i s h y a s ( a g r i c u l t e u r s e t commerçants), les Shudras (les serviteurs) et, en dernier lieu, les Dalits (les intouchables). Cette dernière « caste » exclue donc, sans problème éthique, toute une partie de la population indienne, une ostracisation qui va à l'encontre des droits de l'homme. Gandhi avait pour but – un parmi tant d'autres – de se faire l'avocat des intouchables. Il avait pour projet de les réhabiliter, de les intégrer à la société indienne, mettant en valeur l'humanité à laquelle ils appartiennent : « La supériorité de quelqu'un ne vient ni de sa naissance, ni de sa fidélité à une étiquette. Le seul facteur déterminant est la manière dont on se comporte ». En expliquant qu'il n'y a aucune caste inférieure ou supérieure dont on puisse s'enorgueillir, Gandhi tord 75 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 le cou aux idées les plus belliqueuses, celles qui gangrènent l'humanité dans bien des domaines : celle de croire que la différence est une affaire de hiérarchie, celle de penser à un ethnocentrisme culturel et/ou religieux, origine de tous les maux du monde moderne. La confortable légèreté de l'être. H o r m i s c e t t e c a p a c i t é incompréhensible qu'à l'être humain d’œuvrer contre lui-même, Gandhi nous montre à quel point, en multipliant les besoins, le paradis que l'on pense se créer peut devenir antithétique avec le bonheur que nous voulons atteindre. Ainsi, selon lui, « La civilisation, au vrai sens du terme, ne consiste pas à multiplier les besoins, mais à les limiter volontairement c'est le seul moyen pour connaître le vrai b o n h e u r e t n o u s r e n d r e p l u s disponibles aux autres ». Publié pour la première fois en 1958, Tous les hommes sont frères recèle une philosophie visionnaire. Les besoins de communication, l'immédiateté des contacts, la profusion des réseaux sont à la fois une avancée pour la transmission des savoirs mais une source d'isolement pour les individus. Plus les besoins augmentent plus la séparation entre les individus et le rejet de l'autre augmentent également. Faut-il en conclure une relation de cause(s) à effet(s) ? Plus l'impossibilité d'obtenir augmente – crise économique oblige – plus les conflits augmentent, plus le rejet de l'autre se fait sentir. « Nous rendre disponibles aux autres » c'est aussi le considérer comme soi-même. La pensée kantienne ne dit pas mieux au travers des impératifs catégoriques : « Fait toujours en sorte que la maxime de ton action puisse toujours être érigée en loi universelle » et « agit de telle sorte que tu traites l'humanité, aussi bien en ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin et jamais comme un moyen ». S'il fallait conclure « Je le dis, si cela est possible, sans arrogance mais avec l'humilité qui se doit : mon message et mes méthodes s'adressent pour l'essentiel au monde entier ; et avec une profonde satisfaction, je vois le merveilleux accueil dont il fait déjà l'objet en Occident dans le cœur d'un grand nombre d'hommes et de femmes qui ne cesse d'augmenter jour après jour ». Gandhi, réveille toi, l'Occident t'a oublié, et le reste du monde aussi... ▶ LE BSC NEWS EST AUSSI UN SITE D ACTUALITÉS QUOTIDIEN CLIQUEZ ICI - WWW.BSCNEWS.FR ✪ ✪ ✪ 76 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 ROMAN Après avoir lu les 100 chroniques d’Iegor Gran qui ont été publiées dans Charlie Hebdo depuis 2012, on a l’impression d’être passé dans une machine à laver la vie quotidienne et la société française, et d’avoir subi un solide essorage. L’humour est noir, grinçant et irrévérencieux ; mais on ne résiste pas à une lecture totale de ce recueil choisi et mis à jour par l’auteur, qui nous révèle parfois, dans un de ses personnages ridicules ou dans l’absurde, des situations du quotidien. Vilaines pensées ? Non, saines pensées Par Félix Brun / Photo John Foley - Opale - Editions les échappées Un exemple avec "Faites du bien" : "En devenant l’ami d’une poubelle. Tout simplement. Car quand je jette l’emballage de mon lait dans la poubelle jaune, je fais le bien.[….] Je peux dégueuler sur un écolier, écraser un clodo, branler un nounours et voter FN, je reste un mec bien grâce à mes petits gestes,[…]. J’ai reçu l’onction Eco-Emballages. J’ai fait ce que la société, cet Être Suprême attend de moi. Il n’y a aucune question à se poser. Par mon comportement responsable, je
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