BSCNEWS OCTOBRE - Page 74 - BSC NEWS MAGAZINE - OCTOBRE 2014 - 74 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 même constitution que celle qui peut – ou a pu – s'exercer sur le continent européen. En effet, la Politique est au sens premier, l'organisation de la vie de la cité, or en Inde, les castes font partie de la vie de la cité – hiérarchisant les c l a s s e s s o c i a l e s o u g ro u p e s d'individus – ; elles tirent leur origine dans les textes classiques hindous d'inspiration védique, les Écritures sacrées du brahmanisme. Gandhi ne peut donc pas imaginer une autre forme de politique, un autre système. Au-delà de ce point de vue qui peut être critiquable à bien des égards, mais compréhensible au regard de l'histoire de la construction de l'Inde, l'auteur nous offre une philosophie à méditer : « Si quelqu'un m'apportait la preuve que Dieu ment ou qu'il prend plaisir à torturer les êtres, je refuserais de l'adorer ». Ainsi aucune entité ne pourrait valider un comportement lié à la barbarie. Intouchables Il existe quatre castes dans la société Indienne. Une cinquième, les intouchables, est tellement « sans existence » humaine qu'elle ne fait même pas partie de ce système pyramidal : Les Brahmanes (prêtres), les Kshatriyas (nobles et guerriers), les V a i s h y a s ( a g r i c u l t e u r s e t commerçants), les Shudras (les serviteurs) et, en dernier lieu, les Dalits (les intouchables). Cette dernière « caste » exclue donc, sans problème éthique, toute une partie de la population indienne, une ostracisation qui va à l'encontre des droits de l'homme. Gandhi avait pour but – un parmi tant d'autres – de se faire l'avocat des intouchables. Il avait pour projet de les réhabiliter, de les intégrer à la société indienne, mettant en valeur l'humanité à laquelle ils appartiennent : « La supériorité de quelqu'un ne vient ni de sa naissance, ni de sa fidélité à une étiquette. Le seul facteur déterminant est la manière dont on se comporte ». En expliquant qu'il n'y a aucune caste inférieure ou supérieure dont on puisse s'enorgueillir, Gandhi tord 75 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 le cou aux idées les plus belliqueuses, celles qui gangrènent l'humanité dans bien des domaines : celle de croire que la différence est une affaire de hiérarchie, celle de penser à un ethnocentrisme culturel et/ou religieux, origine de tous les maux du monde moderne. La confortable légèreté de l'être. H o r m i s c e t t e c a p a c i t é incompréhensible qu'à l'être humain d’œuvrer contre lui-même, Gandhi nous montre à quel point, en multipliant les besoins, le paradis que l'on pense se créer peut devenir antithétique avec le bonheur que nous voulons atteindre. Ainsi, selon lui, « La civilisation, au vrai sens du terme, ne consiste pas à multiplier les besoins, mais à les limiter volontairement c'est le seul moyen pour connaître le vrai b o n h e u r e t n o u s r e n d r e p l u s disponibles aux autres ». Publié pour la première fois en 1958, Tous les hommes sont frères recèle une philosophie visionnaire. Les besoins de communication, l'immédiateté des contacts, la profusion des réseaux sont à la fois une avancée pour la transmission des savoirs mais une source d'isolement pour les individus. Plus les besoins augmentent plus la séparation entre les individus et le rejet de l'autre augmentent également. Faut-il en conclure une relation de cause(s) à effet(s) ? Plus l'impossibilité d'obtenir augmente – crise économique oblige – plus les conflits augmentent, plus le rejet de l'autre se fait sentir. « Nous rendre disponibles aux autres » c'est aussi le considérer comme soi-même. La pensée kantienne ne dit pas mieux au travers des impératifs catégoriques : « Fait toujours en sorte que la maxime de ton action puisse toujours être érigée en loi universelle » et « agit de telle sorte que tu traites l'humanité, aussi bien en ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin et jamais comme un moyen ». S'il fallait conclure « Je le dis, si cela est possible, sans arrogance mais avec l'humilité qui se doit : mon message et mes méthodes s'adressent pour l'essentiel au monde entier ; et avec une profonde satisfaction, je vois le merveilleux accueil dont il fait déjà l'objet en Occident dans le cœur d'un grand nombre d'hommes et de femmes qui ne cesse d'augmenter jour après jour ». Gandhi, réveille toi, l'Occident t'a oublié, et le reste du monde aussi... ▶ LE BSC NEWS EST AUSSI UN SITE D ACTUALITÉS QUOTIDIEN CLIQUEZ ICI - WWW.BSCNEWS.FR ✪ ✪ ✪ 76 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 ROMAN Après avoir lu les 100 chroniques d’Iegor Gran qui ont été publiées dans Charlie Hebdo depuis 2012, on a l’impression d’être passé dans une machine à laver la vie quotidienne et la société française, et d’avoir subi un solide essorage. L’humour est noir, grinçant et irrévérencieux ; mais on ne résiste pas à une lecture totale de ce recueil choisi et mis à jour par l’auteur, qui nous révèle parfois, dans un de ses personnages ridicules ou dans l’absurde, des situations du quotidien. Vilaines pensées ? Non, saines pensées Par Félix Brun / Photo John Foley - Opale - Editions les échappées Un exemple avec "Faites du bien" : "En devenant l’ami d’une poubelle. Tout simplement. Car quand je jette l’emballage de mon lait dans la poubelle jaune, je fais le bien.[….] Je peux dégueuler sur un écolier, écraser un clodo, branler un nounours et voter FN, je reste un mec bien grâce à mes petits gestes,[…]. J’ai reçu l’onction Eco-Emballages. J’ai fait ce que la société, cet Être Suprême attend de moi. Il n’y a aucune question à se poser. Par mon comportement responsable, je 77 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 m’absous. La poubelle jaune est une hostie." Un autre extrait, délice d’actualité : "A quoi sert le Sénat ? : "Tu vois mon petit, les hommes politiques sont comme tout le monde, ils ont peur du troisième âge, alors quand ils sont vieux, que les neurones sont un peu détendus, voire grillés, et que la quéquette ne se lève plus comme chez toi, ils ont besoin d’un endroit où ils peuvent se reposer, un club si tu veux, où ils font semblant de travailler, et qui leur assure un bon petit coup de pouce pour leur pouvoir d’achat. Ils y viennent, ils sont au chaud, ils piquent un roupillon, ils oublient i n c o n t i n e n c e e t s t a t i s t i q u e s économiques auxquelles ils ne comprennent rien,[…]." Enfin le lecteur raffolera d’un autre délire : "Bisounours promotion Voltaire" qui brocarde une galerie de portraits vraiment trop réalistes. Pardonneznous de sombrer dans la banalité et la caricature, mais si vous êtes à court d’idées pour vos cadeaux de fin d’année, n’hésitez pas une seconde, et offrez ces Vilaines Pensées. ■Vilaines pensées Auteur : Iegor Gran Editions : Les échappés Charlie Hebdo Pages: 288 Prix: 19 euros CLIQUEZ ICI 78 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 Hors des Sentiers Battus Nombreux sont les ouvrages qui passent inaperçus aux yeux du public que nous sommes. Et pour cause : la presse – et quel qu’en soit le support médiatique - les ignore pour des raisons plus ou moins légitimes dont l’une d’entre elles – la principale ? - est que la production éditoriale sans doute trop dense (l’édition française publie par an 65 000 livres - en moyenne et tous genres confondus - dont, lors de la dernière rentrée littéraire 2013, selon les chiffres de la CNL, 697 romans. Dès lors comment distinguer telle ou telle publication et ce, quelle que soit sa nature ? Et puis, il y a les incontournables titres et auteurs qui, selon la tendance du moment, sont promus vers le succès commercial à grands renforts de publicités… en tous genres. C’est un fait : en dehors des librairies traditionnelles et quelques sites Internet spécialisés qui placent les œuvres selon leurs critères qualitatifs, nous subissons le règne de la « tête de gondole » ! Face à cette réalité, le BSC NEWS Magazine a décidé de vous présenter des livres dont on vous parle peu voire… jamais. Cette nouvelle rubrique, libre de toutes contraintes, est donc la vôtre. Par Eric Yung / © DR Archives de Nicolas TOPOR 79 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 « Le Testament de Lucky Luciano » de Martin Gosch et Richard Hammer. Ed. Manufacture des livres Un livre unique que ce « Testament » de Lucky Luciano signé par Martin Gosh et R i c h a r d H a m m e r e t p a r u à « L a manufacture des livres ». Il est peu probable qu’une partie de la critique française dite spécialisée dans le « noir » voire le « polar » ou intéressée par les documents sociologiques contemporains en parle car, déjà, à sa première publication (c’était en 1975), elle avait boudé cet ouvrage. Qui (avait-elle cru sans l’avoir lu) faisait l’apologie du crime organisé et transfigurait un gangster en une sorte de héros romanesque. Peut-on faire un constat ? Lorsque l’ex-parrain de Cosa Nostra a accepté de se confier à Martin A. Gosh (producteur de cinéma et ami du parrain) et que le « Testament » a été édité (dix ans après sa mort comme l’avait exigé Luciano) les Américains s’en sont emparé considérant qu’une archive précieuse précisait, un peu plus, qui ils étaient et comment s’était construite leur nation. Ce livre a alors connu un succès considérable. D’autres pays (en particulier européens) ont aussi pointé le doigt sur ce témoignage rare, exceptionnel et qui, à l’époque, « aurait permis de lire l’Amérique d’aujourd’hui ». Mais hormis le quotidien « Le Monde » et l’hebdomadaire « Le Nouvel Observateur » qui lui ont consacré une dizaine de lignes, la critique française a choisi de l’ignorer. Aujourd’hui, une occasion nouvelle nous est donnée : celle de découvrir par et à travers la vie de Salvadare Lucani alias Lucky Luciano dit « Charly » le rôle qu’il a tenu –certesdans l’histoire intérieure des USA mais aussi comment il a écrit plusieurs des pages de la seconde guerre mondiale. C’est étonnant ! Ainsi, on apprend que le chef suprême de la mafia américaine, « le plus grand des criminels » (ou le plus terrible) « que le monde ai jamais connu» a voulu changer le destin d’Hitler (il était certain de pouvoir faire assassiner le dictateur par Vito Genovese, mafieux italo-américain, l’un des amis de Mussolini et du comte Ciano, son beau-fils, il a permis le débarquement en Sicile, il bousculé et fait chanter les services secrets, il a organisé le contrôle et la protection des docks de New-York et favorisé l’élection du 32° président des Etats U n i s , F r a n k l i n R o o s e v e l t . E t p u i s , évidemment, ce livre de mémoires nous entraîne, durant la période des années folles à celle des sixties, dans les bas-fonds de New-York, de Philadelphie et de Chicago. Et il y a de l’ambiance ! On y croise et rencontre Franck Costelo, Bugsy Siegl (l’inventeur de Las Vegas) Vito Genovese, Al Capone ou encore Dutch Schults, Alberto Anastasia etc. Les portraits sont si réalistes et les situations si authentiques que les lecteurs que nous sommes hésitent à relever les yeux du livre 80 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 par peur de se retrouver face au flingue d’Eliot Ness qui vous demande, au nom de ses incorruptibles, ce que vous foutez-là, parmi la pègre. Le « Testament de Lucky Luciano » pourrait ressembler à un film de Melville revu par Coppola et corrigé par Tarantino, mais ce n’est pas du cinéma. C’est du vrai. La force de ce témoignage, de ce document pour l’Histoire, tient dans la réalité des faits, le jusqu’auboutisme des confidences de celui qui, en 1946, (après avoir organisé la conférence de Cuba) a régné jusqu’à la fin de sa vie sur le syndicat du crime composé des cinq familles de Cosa Nostra. Et c’est hallucinant ! Le plus grand des romanciers, le plus pertinent des scénaristes, n’aurait – sans aucun doutejamais osé aller si loin dans la dramaturgie, le surréalisme et le comique. Par exemple cette scène stupéfiante que rapporte Lucky Luciano à Martin Gosh pour expliquer comment, en 1940, il a été libéré sur parole alors qu’il venait d’être condamné à 50 ans de détention . « Le juge Mc Cook, ce fils de pute » raconte Luciano a demandé à me rencontrer en prison. Quand il fait son entrée, Bon Dieu, je ne l’ai pas reconnu. En quatre ans, il avait vieilli d’un million d’années (…) Quand il a commencé à parler, les mots sont sortis de sa bouche comme s’il n’arrivait plus à fermer le robinet. (…) Je n’y comprends rien, je reste assis sans dire un mot, en me demandant où diable, il veut en venir. Et soudain, le voici que se met à trembler comme si tout son corps était en gelée. Et il commence à chialer, de vraies larmes ! Vous vous imaginez (…) un merdeux de juge qui envoie des gens en taule, qui les fait asseoir sur la chaise électrique, assis devant moi en train de trembler et de pleurer ! (…) Enfin, il a accouché : il me raconte que depuis qu’il m’a envoyé en taule, sa maison a complètement brûlé et que tout ce qu’il possédait été détruit. Et ce n’était que le début : sa femme et un de ses gosses étaient morts, et toutes sortes de calamités continuaient à s’abattre sur lui, l’une après l’autre. A partir du moment où il m’avait condamné, sa vie avait été empoisonnée. (…) J’savais plus quoi dire. Et voici qu’il se jette à genoux, qu’il vient à moi en se traînant, chialant comme un bébé, qu’il me prend la main et qu’il commence à baver dessus ; qu’il se met même à m’appeler « Monsieur Luciano » ; qu’il me supplie de retirer le mauvais sort que je lui ai jeté ; qu’il jure n’avoir jamais voulu me causer le moindre tort et qu’au tribunal il n’a fait que ce qu’il croyait juste. Mais à présent, après y avoir réfléchi et sondé son âme, qu’il dit, il pense qu’il a pu se tromper et qui doit réparer. (…) Voilà un gars qui m’avait envoyé en taule pour cinquante ans et maintenant il était à genoux devant moi en train de m’embrasser la main et de me supplier de le désenvouter. Si on voyait ça dans un film on ne le croirait pas. Finalement je lui ai dit qu’il ne s’inquiète plus du mauvais sort : j’allais faire le nécessaire. C’est ainsi que ce pigeon m’est tombé tout rôti dans la bouche et qu’il m’a fait libérer ». Voilà la vérité. Les autres versions –et elles ont été nombreusesde libération de « Charly » sont des légendes. D e l ’ a n e c d o t e l a p l u s f u t i l e a u x événements les plus marquants qui ont construit, durant plus de cinquante ans, l’histoire du 20° siècle des Etats Unis et qui, par la mise en place d’un véritable empire international, celui du crime, conquis une partie de l’Europe dont le sud de la France en particulier (avec la french-connection) les confessions de Lucky Luciano, rapportées dans cette nouvelle édition du « Testament » apportent une vision cynique et un peu effrayante sur les mécaniques qui unissaient à une époque que l’on souhaite révolue, les « politiques » les « financiers » les « églises » et les « gangsters ». 81 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 « L’obscure splendeur de Raymond Famechon » de Isabelle Mimouni Ed. Cohen/Cohen Pourquoi faut-il parler, un peu, de Raymond ? Parce qu’il, après des années de silence (ou plutôt d’oubli), réapparaît dans un ouvrage publié il y a peu de temps aux éditions Cohen-Cohen. C’est magique les livres. Ca ressuscite des hommes ! Et Raymond mérite bien de revenir à la vie même si elle est désormais de papier. Il n’est pas n’importe qui Raymond ! Pour se faire un nom, il lui a fallu quitter « Sousbois », « le quartier le plus pauvre de Maubeuge situé dans les corons (…) étourdis par le bruit des laminoirs, abasourdis par le grondement des fonderies et des ateliers, abrutis par les kermesses et les ducasses qui se terminent en beuverie (…) ». Alors, évidemment, lorsqu’il est né un jour de 1924 et que pour la première fois il a « ouvert les yeux, Raymond a reconnu sa tombe et il a immédiatement su qu’il fallait la péter, donner un bon coup de poing dans le mur et crever le plafond d’un direct du gauche. C’est comme ça qu’il a su qu’il était gaucher ». Raymond ? C’est Raymond Framechon, un ex-boxeur dont le nom, oublié, a pourtant fait les beaux jours du « noble art » comme disent ceux qui organisent des combats entre les hommes qui cherchent la gloire avec leurs poings. Isabelle Minouni, l’auteur de « L’obscure Splendeur de Raymond Famechon » a donc choisi de s’intéresser à ce type et de le sortir des oubliettes de l’ingratitude. En effet, l’écrivain Mimouni a ressenti pour Raymond Framechon de l’admiration posthume. Surnommé « Ray » par son père il a été, durant quelques années, le roi du ring, le champion des champions, le plus grand des poids plume français de toute l’histoire de la boxe et le meilleur d’Europe lorsque le 22 mars 1948 il a battu, à Nottingham, le tenant du titre, le grand Ronnie Clayton. « Ray » a été une star adulée par les journalistes de son temps et certains d’entre eux l’ont hissé au plus haut de la popularité en le consacrant p u b l i q u e m e n t à l a « U n e » d e l’hebdomadaire Paris Match. A moins que l’intérêt d’Isabelle Mimouni suscité pour Ray (au point d’en faire un livre, un roman dit son auteur) a été aussi dicté par l’échec de ce boxeur qui, après 102 victoires sur 119 combats professionnels a, une première fois, sous les projecteurs du Madison Square Garden de New-York, laissé passer sa chance de devenir champion du monde et qu’un peu plus tard - c’était au Vel d’hiv, le 9 février 53 – il a, ce soir-là, face à Percy Passett « le cogneur de Philadelphie » plié définitivement l’échine, mis un genou en terre et qu’il a abandonné la boxe. A moins 82 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 encore que sa résurrection de papier soit due, parce que abandonné de tous, à sa déchéance ? Car en 1955 Ray est redevenu Raymond et il a tout perdu : sa femme, ses économies, la petite mercerie de Montmartre dont il a hérité, sa dignité aussi lorsque la pitié d’un juge (au nom de ce qu’il avait été) l’a seulement condamné à une peine de prison avec sursis pour un vol d’argent contenu dans un portemonnaie dérobé dans le sac d’une femme de ménage. Raymond n’avait plus rien pour vivre. Alors « il balayait les quais de la gare de Lyon, ramassait les détritus le long des voies quand elles étaient désaffectées, arpentait les couloirs avec sa vadrouille et sa pelle, vidait les poubelles remplies de scories de tous ordres : vieux paquet de cigarettes, emballages de carton, épluchures d’oranges et de bananes, tickets de métro usagés, boîtes métalliques de brillantine Roja… Et puis, une nuit de janvier 1978, Raymond Famechon a accepté la défaite. Le corps enveloppé dans des cartons, les yeux ouverts, il est mort sous un pont de Paris. En réalité, le lecteur se plait à croire qu’Isabelle Mimouni ne s’est pas prise de passion pour un champion ou un loser mais qu’elle a été sensible à une histoire humaine, simplement humaine, à celle de ce gamin qui, un soir, « assis sur un tabouret dans un coin de la chambre » où son père agonisait a compris que cette mort qui venait était « une injonction, celle de rectifier les arrêts du destin car il ne pouvait plus être question que les Famechon meurent comme des chiens, sans personne pour célébrer leur existence (…) ». Isabelle Minouni nous invite à découvrir pourquoi elle a aimé cet homme et a voulu nous en parler dans un roman. L’explication de sa démarche tient dans les dernières phrases de l’ouvrage qui nous disent : « En 2008, l’administration fit les démarches nécessaires pour savoir si les descendants de Raymond Famechon souhaitaient conserver sa concession. Son fils, Patrick ne répondit pas au courrier. Cela fût interprété comme une fin de non-recevoir. La tombe fut ouverte, on exhuma à la pelleteuse les restes du défunt pour faire de la place. (…) Un orpailleur passa avec un détecteur de métaux, il trouva une ou deux dents en or et un anneau dans lequel il y avait une inscription illisible qui se terminait par « pour la vie ». Une bonne journée » pour l’orpailleur. C’est en cela que « L’obscure Splendeur de Raymond Famechon » d’Isabelle Mimouni est un livre magnifique. « Topor » dessinateur de presse Buchet Chastel Les cahiers dessinés Il est de certains livres comme de quelques objets que nous gardons près de nous sans en savoir précisément la raison hormis, pour la plupart d’entre eux, qu’ils doivent être présents dans notre environnement. Alors, nous les posons ici sur une étagère, là sur un coin de table ou de bureau, ailleurs près 83 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 73 - OCTOBRE 2014 d’un lit. Et, de temps en temps, nous nous en saisissons, les feuilletons, nous attardons sur une phrase déjà lue mille et une fois ou découvrons le nouveau détail d’une illustration. Ces ouvrages-là se confondent avec nous, physiquement, et – par on ne sait quel effet mystérieux - nous aident ipso-facto à mieux vivre notre quotidien. Il en sera ainsi, c’est certain, pour ce « Topor, dessinateur de presse ». Un livre qui nous rappelle une période qui n’est pas si lointaine mais qui, aujourd’hui, au temps où le conformisme et l’hypocrisie consensuelle délitent l’idée même de l’insolence et de la contestation artistiques, semble désormais hors de notre portée. Lorsque l’on en tourne les pages l’esprit se réjouit de constater qu’il y a peu d’années encore notre société n’était pas prisonnière de la pensée unique, du politiquement correct ou on ne sait de quelle autre forme d’intolérance. L’extravagance, le désordre, la poésie, la contestation, le sens critique et la contradiction, le refus, les face à face avec des imaginaires inclassables et déroutants nous rappelaient avec force que « l’artiste n’est pas le transcripteur du monde, mais qu’il en est le rival » affirmait André Malraux. Et c’est cela l’œuvre de Roland Topor. Topor, un grand artiste, dessinateur, écrivain, homme de théâtre, de cinéma, de télévision, est un créateur « protéiforme et boulimique » dont l’enfance a été « terrorisée » par le pouvoir de l’ordre établi. Le gosse Topor, juif polonais, dont le paternel Abram, est arrêté le 14 mai 1941 et enfermé au centre d’internement de Pithiviers (camp où les nazis séparaient les enfants de leurs parents avant d’être déportés vers Auschwitz) gardera « l’effroyable souvenir de son père parqué dans un enclos et nourri dans un seau collectif » raconte le biographe Alexandre Devaux. Dès lors, celui qui deviendra « l ’ e x p l o r a t e u r d e l ’ i m a g i n a i r e » accumulera, « sous des dehors tranquilles des cruautés sans fin : hommes, femmes, enfants se tourmentent, se poignardent, se cisaillent, se mutilent, se découpent en rondelles, se dévorent vivants ». Pour se protéger il « découvre la formule magique qui le tenaille au corps : le rire ». Ah, le rire de Topor ! Celles et ceux qui ont connu, fréquenté, croisé Roland Topor entendent aujourd’hui encore sa voix forte, un peu rauque qui dit les phrases sans cesse entrecoupées d’un rire puissant dont les éclats s’élevaient haut vers le ciel. Ce rire a permis à Topor, esseulé « dans un monde qui a fait naufrage, où tout s’est brisé », de ne plus jamais être pris au sérieux » écrit, en préface, son ami Jacques Vallet. Aujourd’hui, ce bel ouvrage (éditions Les cahiers dessinés) consacré aux dessins de Topor, paru durant la période de 1958 à 1997, dans la presse française et internationale, permet - bien sûr - de revoir quelques images fameuses installées dans la mémoire collective telle que l’affiche d’Amnesty International qui a fait le tour
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