BSCNEWS JUIN2014 - Page 76 - BSC NEWS MAGAZINE - JUIN 2014 - Daniel Goossens, Kukula, leticia Moreno, Julien Dérôme, Alonzo King, Bernard Kudlak, Cirque Plume, David Krakauer, Anny Romand, Jasz, Elsa Brants, 76 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 70 - JUIN 2014 CHRONIQUE PAR MARC EMILE BARONHEID Lire est le propre de l’homme ROMAN L’auteur, l’éditeur, le chroniqueur sont trois chaînons essentiels du parcours entre le livre et son lecteur. Les voici sous le feu des projecteurs. Larbaud ou Bradbury ? L’un faisait l’éloge de la lecture, l’autre rêvait que des pompiers allaient brûler tous les livres. A en croire l’agressivité de son entrée en matière, le jeune (22 ans) Pierre Ménard serait résolument du côté de Fahrenheit 451. Tout au long d’une démonstration articulée en 20 chapitres maniant l’outrance calculée et affichant une information littéraire déjà fournie, Ménard (un nom difficile à porter, par les temps qui courent) 77 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 70 - JUIN 2014 tente de se faire les dents sur la lecture, cause de tous les maux. Vous voulez finir à l’asile comme Nerval, rejoindre les lecteurs que Goethe a poussés au suicide, devenir la « vieille juive fardée » que Claudel voyait en Proust, « brouter la poussière des ennuyeux ouvrages de votre bibliothèque », participer à la déforestation planétaire ? Rien de plus simple : lisez, euthanasiez-vous socialement, sentimentalement, économiquement. Et qui voudrait de q u e l q u ’ u n q u i s q u a t t e perpétuellement les cabinets au motif que c’est l’endroit rêvé pour entrer en communion avec Amélie Nothomb ? Existe-t-il un antidote à la lecture comme le plus funeste des pousse-aucélibat ? Peut-être le dicton « Femme qui lit est à moitié dans ton lit »… Don Quichotte ou Oncle Picsou ? L’éditeur n’est pas seulement quelqu’un qui mise sur un auteur en espérant décrocher la timbale. La corporation s’honore de découvreurs, de partenaires enthousiastes, de beaux esprits, de viveurs, de dandys, de jansénistes. Un fort volume retrace le parcours de treize de ces merveilleux fous éditant avec leur drôle de tiroir-caisse. Ils ont en commun d’avoir vécu un moment de grâce de l’édition, au tournant des années 1960. Est-ce pour cela seulement que l’on n’y trouve nulle trace d’un Hubert Nyssen, ou parce que l’auteur est empêtré dans les filets germanopratins, notamment lorsqu’il emboîte le pas au Milieu, pour évoquer Robert Laffont. Un Laffont regardé avec condescendance et frappé d’une épitaphe du même tonneau : « Plus que la bonne littérature, ce qui aura singularisé la politique éditoriale de Robert Laffont aura été la quête du bonheur de lire et de le faire partager au plus grand 78 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 70 - JUIN 2014 nombre ». Mais comment devient-on un bon éditeur ? Il faut de la curiosité, de la chance, de l’audace, de la ténacité, de la passion, du calcul, du respect, de l’exigence, de l’humilité, de l’indépendance, de l’entregent, de l’autorité, de la diplomatie, parfois le sens de l’intrigue, de la conspiration, l’art de connaître le juste prix d’un homme ou le point d’ébullition de son ego. De Christian Bourgois à Françoise Verny, des accoucheurs dont beaucoup sont « autodidactes aux itinéraires sinueux ». Sacrebleu, des autodidactes, ces Brasse-Bouillon des limbes académiques ! On veut croire que l’auteur de ce passionnant document - dont la longue litanie de notes évoque un thésard psychorigide - ne leur préfère pas les itinéraires sirupeux, si commodes dans son monde aux manchettes de lustrine. Un goguenard déterminé. Dans sa préface à la première édition (1998) des chroniques littéraires les plus coruscantes de Renaud Matignon, Jacques Laurent le regardait comme « Un garçon très sympathique et qui l’est resté toute sa vie, chose rare ». Gageons que les Sollers, Hallier et autres bénéficiaires de ses sarcasmes étaient d’un autre avis. Même en ayant lu Dale Carnegie, il est difficile d’arbitrer les élégances littéraires et de ne compter que des amis. Ce serait inquiétant. Epris de liberté de blâmer, Matignon se ralliait plutôt à l’étendard de Beaumarchais. Le grand amateur de Blondin ou Aymé était prompt à dégainer un humour meurtrier, sitôt qu’il débusquait un maladroit, un faiseur, une baudruche. La table des matières est une invitation au voyage à laquelle il serait inopportun de résister. Personne ne partagera l’ensemble de ses dilections, ni ne cautionnera tous ses dynamitages. Mais lorsqu’un soufflet est donné avec talent, quand un hommage porte la livrée de l’admiration, on oublie pour un temps que l’engagement philosophique de 79 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 70 - JUIN 2014 leur auteur n’est pas nécessairement le nôtre. Quitte à faire ensuite la part des choses, un exercice de salubrité dont on donne crédit à Matignon. Il n’y a rien d’illogique dans la juxtaposition des affinités électives et des exécutions sardoniques. « Claude Mauriac est écrivain héréditaire. Conscient très tôt du privilège qui fut le sien d’avoir pour père François Mauriac, fasciné par lui et submergé par le tourbillon de talents et d’intelligences qui ont fait cortège à sa propre jeunesse, il s’est résolu à être fils comme d’autres décident qu’ils seront aviateurs ». Matignon n’a croisé ni Angot, ni Houellebecq. Il a juste eu le temps d’assaisonner Djian et de cataloguer l’ineffable Nabe « Enterré sous les oripeaux d’un Artaud pour jeux télévisés et d’un Rimbaud de snackbar M. Nabe y a cru ». Un cocktail pour l’éternité de l’été. « 20 bonnes raisons d’arrêter de lire », Pierre Ménard, Cherche Midi, 12 euros « Les hommes de l’ombre – portraits d’éditeurs », François Dosse, Perrin, 25 euros, notes, index « La liberté de blâmer… - Quarante ans de critique littéraire », Renaud Matignon ; préface de Jacques Laurent ; introduction d’Etienne de Montéty, Bartillat, 18 euros 80 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 70 - JUIN 2014 CHRONIQUE PAR EMMANUELLE DE BOYSSON / Photo Cyril Moreau L’amour, plus fort que la mort ROMAN Jeune caissière dans une supérette, Eden a été adoptée et ne sait pas qui est son géniteur. Une nuit, elle reçoit un coup de fil qui lui apprend à la fois le nom et la mort récente de son père biologique. Elle se rend à l’enterrement, n’a aucune envie de « rencontrer cette famille qui l’a rejetée ». En parallèle à son histoire, Hugues Royer donne la parole à William le père qui vient de mourir d’un accident de la route. Il observe les vivants. Il venait de se fiancer. Son esprit plane au-dessus d’Eden. Un jour, elle entend une voix : « Est-ce que tu m’entend ? » Hugues Royer s’interroge sur la filiation, mais aussi sur la vie après la mort. Un roman sensible, d’une grande finesse psychologique où les personnages en quête d’identité et de résilience vous bouleversent, vous aident à surmonter le deuil, le manque d’amour, comme s’ils vous prenaient par la main. Flirtant avec le rêve et le surnaturel, ce roman tendre et profond écrit à la pointe du cœur, restera longtemps dans vos mémoires. 81 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 70 - JUIN 2014 Comment vous est venue l’idée d’écrire ce roman ? J’étais sur une plage, en juillet, sur l’île d’Oléron. Le ciel était chargé de nuages, sublime, et j’ai eu envie d’imaginer ce qui pouvait se passer là-haut… Qu’est-ce qui vous a poussé à explorer la quête de lien entre une jeune femme et son père biologique qu’elle n’a pas connu ? Je suis moi-même papa et la question de la filiation est un des plus grands mystères auquel tous les parents du monde sont confrontés. D’une certaine façon, nos enfants permettent à une partie de nos gènes de survivre ; et en même temps, ils sont radicalement différents de nous. Parlez-nous des personnages d’Éden et de William, pour lesquels vous éprouvez de la tendresse… Éden est une jeune femme en quête d’identité parce qu’elle a été abandonnée. C’est un personnage solaire, généreux, tourné vers les autres. J’aimais l’idée qu’elle travaille comme caissière pour payer ses études de psychologie. William, son père, est un personnage beaucoup plus torturé, un scénariste reconnu, mais qui se rêve écrivain. Pourquoi avez-vous choisi de permettre à William mort dans un accident de la route d’observer les vivants, de s’interroger sur sa vie et d’entrer en relation avec sa fille ? Il est mort trop tôt, à 37 ans, avec le sentiment qu’il lui restait beaucoup à faire. Alors il fait de la résistance : plutôt que de lâcher prise pour pouvoir s’élever, il observe les vivants, frustré d’avoir perdu sa place au milieu d’eux. Vous rendez William très bienveillant, mais il éprouve des remords. Avez-vous voulu qu’il tente de réparer l’abandon de sa fille, de combler le manque ? Exactement ! Sa mort va être une chance pour lui de réparer l’erreur de sa vie : avoir laissé, il y a longtemps, sa compagne disparaître avec leur fille alors qu’elle était bébé. Une erreur qu’il ne se pardonne pas et qui l’a privé du bonheur de voir grandir Eden. William en veut aussi à son « meurtrier ». Surmonte-t-il sa rancune ? Ne dévoilons pas trop l’histoire... Mais vis-à-vis de l’homme qui a provoqué sa mort, il y a tout, c’est vrai, tout un parcours initiatique qui doit faire passer 82 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 70 - JUIN 2014 William du ressentiment au pardon. En sera-t-il capable ? Comment arrive-t-il à dépasser le chagrin d’être séparé à jamais de sa fiancée, Katsuko ? Katsuko est une scientifique pur jus, hermétique à ses appels. À force d’échouer à communiquer avec elle, William se fait une raison. Et puis, ses retrouvailles avec Éden vont peu à peu combler son manque affectif. De son côté, avez-vous désiré qu’Éden pardonne, retrouve confiance ? En un mot, vit-elle à travers cette expérience, une forme de résilience ? Eden en a longtemps voulu à son père biologique, qu’elle regardait comme un « salaud », sans connaître la vérité sur son passé. Mais là encore, elle va apprendre à le regarder autrement. Oui, vous avez raison, on peut parler d’une forme de résilience. Pensez-vous qu’il puisse y avoir une vie après la mort ? Que les disparus nous font signe ? C’est une hypothèse que j’ai développée dans mon roman. Une hypothèse rassurante pour ceux qui ont perdu un être cher. De nombreux lecteurs m’ont d’ailleurs confié avoir été apaisés après avoir lu « Est-ce que tu m’entends ? » C’est le plus beau compliment qu’on puisse m’adresser. William est écrivain, croyez-vous que les livres nous survivent, que nous écrivons pour laisser une trace ? Et vous, qu’est-ce qui vous pousse à écrire ? Depuis quand écrivez-vous ? Même si l’idée de postérité me semble un peu vaine, les livres nous survivent, c’est un fait. Ils constituent une empreinte de notre passage sur Terre. J’écris depuis que je suis adolescent, pour apaiser mes angoisses, exprimer ce que je ressens, crier ma différence aussi – nous sommes tous différents. En un mot, tenter de dormir tranquille ! Ce roman puise-t-il ses racines dans votre vie personnelle ? Jamais je n’aurais écrit ce livre si mon père n’était pas décédé d’un cancer fulgurant en 2009. Il n’est pas impossible, d’ailleurs, que j’aie inventé toute cette histoire pour me donner une chance de dialoguer avec lui une dernière fois… En quoi consiste votre travail à Voici ? Je suis chargé de traiter avec humour l’actualité des célébrités. De trouver des 83 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 70 - JUIN 2014 titres, des légendes qui vont divertir nos lectrices. Décrire l’insoutenable légèreté des people, c’est tout un art, vous n’imaginez pas ! Quelles sont vos plus belles rencontres ? Mylène à qui vous avez consacré un livre ? Cabrel ? Mylène Farmer est une femme que j’admire infiniment, Cabrel un artiste qui force le respect. Mais mes rencontres les plus belles s’écrivent au présent et se rêvent au futur. Apprendre à connaître mes filles, alors qu’elles se construisent sous mes yeux, est une expérience fascinante. C’est tout ce qui a manqué à William, mon héros, avec Éden. Une lectrice m’a récemment avoué que mon livre l’avait rapprochée de ses enfants. Ça m’a vraiment touché. ■ Est-ce que tu m’entends ? de Hugues Royer Editions l’Archipel 18,95 € Une farce piquante qui ne se prend pas au sérieux. LE POINT Flammarion ‘‘ ‘‘ Une comédie pleine de fantaisie et de malice. Télé 7 jours Une fable optimiste et désopilante. Questions de femmes Une histoire effervescente. Le Parisien ‘‘ ‘‘ ‘‘ ‘‘ ‘‘ ‘‘ 84 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 70 - JUIN 2014 ROMAN L’académicien nous invite donc à une promenade depuis avant la création de l’univers, au-delà du mur de Plank (et avant le big-bang), jusqu’après notre mort. "La vérité est que sur l’avant-notre monde comme sur l’après-notre-mort nous ne savons rien. […..]Tout ce que nous pouvons faire, et en deçà et audelà, c’est inventer, rêver, imaginer. [……] Avant et après, de l’autre côté d e s d e u x m u r s , c ’ e s t d e l’imagination pure : c’est un roman. » Où Jean d’Ormesson veut-il nous mener, quelle démonstration veut-il produire ? "La mort est l’autre nom de la vie. […..] Jailli du néant, le monde, plongé dans le temps, est, dès son origine, un retour au néant." L’univers qui nous entoure, le temps, l’espace, la lumière, l’eau, les hommes…peuvent-ils être le fruit du Par Félix Brun / Crédit-photo DR Jean d’Ormesson, dans une déclinaison très personnelle et une réflexion singulière, s’engage sur l’écriture - imaginée par Flaubertd’un roman sur rien. "L’écrivain a le droit de s’intéresser ou de ne pas s’intéresser aux soubresauts de l’histoire, à ses anecdotes, à ses rebondissements. Son domaine, ce sont les mots. 85 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 70 - JUIN 2014 hasard ? "Nous voilà une fois de plus rejetés du côté de Dieu, personnage principal du formidable roman sur r i e n q u ’ e s t l a n a i s s a n c e d u monde. » L’homme, ce "primate amélioré" est devenu penseur : "L’apparition de la pensée est à coup sûr l’évènement le plus important de l’histoire de l’univers depuis sa sortie du néant. On dirait que le monde est créé pour la seconde fois." Selon l’écrivain, "La pensée pense le monde. Elle pense Dieu. Elle se pense elle-même. Elle pense aussi la vie de tous les jours, les impôts, la scarlatine, l’argent, la carrière, la sottise, la vanité, la jalousie. Elle est la reine de la longue histoire racontée par le temps sous les yeux d’un Dieu remplacé par les hommes." Si la création du monde n’est pas le seul fait du hasard, peut-on douter sérieusement de Dieu ? Ce qu’il y a de plus important c’est Dieu, qu’il existe ou qu’il n’existe pas. Dieu "joueur invétéré", "n’est rien sans les hommes." " Je crois en Dieu parce que le jour se lève tous les matins, parce qu’il y a une histoire et parce que je me fais une idée de Dieu dont je me demande d’où elle pourrait bien venir s’il n’y avait pas Dieu." Jean d’Ormesson nous livre-t-il un roman philosophique testamentaire par ce "chant d’espérance" ? ■Comme un chant d’espérance Auteur : Jean d’Ormesson Editions : Héloïse d’Ormesson Parution: 12 juin 2014 Prix: 16 €
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