Lire un extrait de Parlez-vous le mâle ? - J. H. Edelstein - Page 13 - Lire un extrait de Parlez-vous le mâle ?, de Jean Hannah Edelstein absolument que je passe quelque chose de plus confortable. Tu aurais un T-shirt à me prêter ? Une chance, j’ai mis mes plus beaux dessous en dentelle aujourd’hui. J’espère que ça ne te gêne pas de me voir en petite tenue. Ce qui nous amène à la question de l’hypo- crisie (sur laquelle nous reviendrons plus longue- ment, vous pouvez vous en douter, au chapitre sur la sexualité). Les femmes, c’est bien connu, ont l’habitude de dissimuler leurs véritables senti- ments, contrairement aux hommes, qui n’hésitent pas à raconter des mensonges éhontés ou à asséner de douloureuses vérités. (Je suis sortie quelque temps avec un type d’une telle sincérité que j’ai dû le prier de ne plus me donner son opinion sur quoi que ce soit à moins que je ne la lui demande expressément.) Du fait de leur aisance à manier le langage, et de leur tendance, sous la pression sociale, à vouloir se montrer aimables et éviter le conflit, les femmes préfèrent parfois maquiller quelque peu la vérité, même si les hommes ne sont pas dupes et désespèrent de ces complications dans leurs relations tant romantiques que plato- niques. (Comme nos mères, les hommes qui nous connaissent ne se laissent pas berner.) Communication : le mâle, le féminin et… 29 S’il est une chose à retenir (si nécessaire à noter sur un bout de papier que vous garderez dans votre portefeuille), c’est bien celle-ci : les femmes emploient un langage codé, pas les hommes. Ce qui n’est pas forcément évident à assimiler car, bien souvent, nous partons du principe que le sexe opposé s’exprime de la même manière que nous, que les mots ont une signification unique, celle que nous leur attribuons. Grossière erreur ! Qui ne peut induire que de la confusion : les femmes déconstruisent les phrases les plus anodines des hommes et leur prêtent des signifi- cations non intentionnelles. Les hommes pren- nent les propos des femmes pour argent comptant et passent par conséquent à côté du message sous- jacent qui en constituait le cœur. Résultat : des larmes. Que faire ? La solution est simple. Prêt(e)s ? Les filles : ce n’est pas parce qu’un homme vous dit qu’il adore lui aussi votre livre préféré que vous devez courir acheter une robe de mariée. Il aime ce livre, c’est tout, c’est chouette, ne cher- chez pas plus loin. Je sais que ce n’est pas facile mais je vous en supplie, évitez de vous faire du mal, ne vous réjouissez pas trop vite. Les garçons : si votre petite amie (à supposer qu’elle habite loin de chez vous) vous annonce qu’elle part en déplacement professionnel et va Parlez-vous le mâle ? 30 sûrement faire un détour par votre ville, elle attend que vous l’invitiez à venir vous voir, et non pas que vous vous contentiez de lui faire remar- quer que c’est une étrange coïncidence qu’elle soit de passage dans votre région. Lorsqu’on vous tend une perche, messieurs, je vous en prie, saisissez-la. Formulation des questions Cette particularité qu’ont les femmes d’user de circonlocutions est particulièrement flagrante dans leur manière de poser des questions. Chez les membres du beau sexe, l’interrogation peut revêtir des formes diverses, dont l’une des plus communes n’est pas sans rappeler la tournure affirmative employée par les hommes. Pauvres garçons. Comment voulez-vous qu’ils s’y retrou- vent ? Prenons, par exemple, le banal scénario des ordures à sortir. Quand Jonathan souhaite qu’Alice descende la poubelle, il lui tient à peu près ce langage : — Tu peux descendre la poubelle, s’il te plaît ? Alice n’aime pas descendre la poubelle, parce que l’odeur des poubelles l’incommode et parce qu’en tant que femme émancipée, fervente adepte de l’égalité des sexes, elle estime que ce n’est pas Communication : le mâle, le féminin et… 31 son rôle. Mais comme Alice est une chic fille, et non une espèce de princesse ridicule (croyez-moi, personne n’aime les princesses ridicules), il lui arrive quand même de temps en temps de descendre les poubelles. Refuser paraîtrait de sa part étrange et obtus. Et puis au moins, comme ça, c’est fait. Malheureusement, la plupart du temps, Jona- than ne s’aperçoit même pas que la poubelle déborde. Et Alice doit prendre sur elle de le prier de s’en occuper. Il est rare, toutefois, qu’elle le lui demande sans détour. Non seulement cela ne lui est pas naturel, elle risquerait en outre d’être taxée de mégère, le stéréotype le plus vexant que l’on puisse coller à une dame. Afin de ne pas avoir l’air de mener son monde à la baguette, Alice présente donc sa requête sous forme de constat. — Il faudrait sortir les ordures, dit-elle, suggé- rant par là que Jonathan devrait le faire. Or seul un homme averti que les femmes emploient un langage codé réagira avec à-propos et descendra le sac-poubelle. Jonathan n’appar- tient pas à ce groupe d’élite. Non, d’esprit cartésien, Jonathan jettera un œil à la poubelle qui déborde et conviendra avec sa charmante Alice qu’effectivement, il est temps de la descendre. Puis il se revissera les écouteurs de son iPod dans les oreilles et terminera sa bière Parlez-vous le mâle ? 32 tranquillement. Exaspérée qu’il n’ait pas capté le sens du message, Alice finira par lui ordonner de sortir les ordures, ce qu’elle avait tenté d’éviter en employant une tournure indirecte. Même lorsque les femmes formulent des requêtes qui, transcrites, seraient ponctuées par un point d’interrogation, les hommes trouvent le moyen d’en faire une interprétation des plus vagues. « Tu pourras descendre la poubelle ? » constitue pour moi et la plupart de mes consœurs une instruction explicite, n’est-ce pas ? Absolu- ment. Pourtant, hormis les plus avisés, les hommes estiment disposer de l’option de répondre par un : — Euh, ben, non. Tu ne vois pas que je suis occupé à briefer mon équipe de foot imaginaire/ à jouer avec le chien/ à fantasmer sur toi en uniforme d’infirmière ? (Évidemment que je serais hyper sexy en blouse d’infirmière, mais là n’est pas la question.) Quelle conclusion en tirer ? Quand vous avez quelque chose à demander, mesdames, faites des phrases courtes et directes. N’ayez pas peur de paraître autoritaire, il s’agit seulement d’être claire. Quant à vous, messieurs, sachez que, formulée par une femme, une remarque d’apparence anodine peut signifier que ladite femme attend Communication : le mâle, le féminin et… 33 que vous utilisiez une part de votre quota de mots quotidien pour lui fournir une réponse adéquate. Peut-être aurez-vous l’impression de gaspiller votre maigre budget de paroles, peut-être auriez-vous préféré le réserver à d’autres situa- tions, mais faites-moi confiance, sur le long terme, vous avez tout à y gagner. Intonation Je pense que vous êtes quasiment toutes d’accord avec moi : les hommes montrent moins d’émotion que nous lorsqu’ils parlent. En raison de l’énorme pression sociale qui les empêche de révéler leurs sentiments, ils s’interdisent de verser la moindre larme, sauf en cas de défaite de leur équipe sportive favorite. Les biologistes évolutionnistes ont récemment établi qu’hommes et femmes non seulement ne décrivent pas leurs affects de la même manière, mais modulent aussi leur voix différemment. Voici ce qu’ils ont découvert : les hommes (et les Allemands) s’expriment en général sur un ton neutre et monocorde, tandis que les femmes varient leurs inflexions en fonction des émotions qu’elles souhaitent faire passer. Ainsi, nos péri- phrases peuvent revêtir d’autres significations que Parlez-vous le mâle ? 34 le strict sens des mots. Autrement dit, un homme attentif à l’intonation de la voix féminine aura plus de chances de saisir le contenu implicite du message. Pour votre gouverne, messieurs, notez par exemple que les aigus traduisent en général un certain mécontentement. Les femmes, de leur côté, doivent apprendre à discerner les subtiles nuances des intonations masculines, beaucoup plus subtiles – et cesser de croire qu’un timbre de voix en apparence mono- tone dénote obligatoirement une choquante insensibilité. Inutile, donc, de hurler. Baissez plutôt le son de votre iPod, les filles, si vous voulez préserver l’intégrité de votre audition et ainsi pouvoir détecter les moindres inflexions dans la voix de votre compagnon. Au demeurant, l’intonation de la femme permet de savoir si elle est en période d’ovula- tion. Dingue, non ? Des études ont démontré, en effet, que nous changeons de voix quand nous sommes au top de notre fertilité. Afin d’encou- rager les mâles à, euh, nous féconder, nous prenons une voix ronronnante, grave et gutturale. Pensez-y, messieurs, la prochaine fois que vous entendrez une voix rauque à la Eartha Kitt dans une pub pour des crèmes glacées. Votre envie soudaine d’onctuosité froide et sucrée pourrait bien n’être qu’un désir sexuel sublimé. Communication : le mâle, le féminin et… 35 Quoi ? Tu ne veux pas de dessert ? Mais mon chéri, c’est tellement bon. Divulgation et demande de renseignements personnels Jonathan et Alice sont invités chez des amis. Jona- than discute dans le salon avec le nouveau copain de Maisie, Toby. Dans la cuisine, Alice raconte à Maisie que Jonathan lui mène une vie impossible depuis qu’il est rentré de ses six mois aux États-Unis : il étend son linge à sécher n’importe où dans l’appart, il ne nettoie pas la baignoire après sa douche. Bref, l’horreur. (« Mais ce n’est que du gel douche. Ce n’est pas sale, le gel douche », dit-il, très terre à terre, en homme qui se respecte.) Jonathan entre dans la cuisine. — C’est cool, lui lance Alice d’un ton parfaite- ment détendu. Vous avez l’air de bien vous entendre avec Toby. — Ouais, acquiesce Jonathan en prenant une bière dans le réfrigérateur. — Vous parlez de quoi ? — À ton avis ? répond-il en buvant une gorgée. — Je ne sais pas… De votre boulot ? De votre enfance ? De comment on s’est rencontrés, comment il a rencontré Maisie ? Jonathan secoue la tête avec un petit sourire. Parlez-vous le mâle ? 36 À votre avis, amis lecteurs, de quoi parlaient-ils ? — De foot. Évidemment. Deux femmes qui font connaissance observent en général un protocole assez strict : après s’être rapidement et silencieusement jaugées (Est-ce qu’elle est plus jolie que moi ?), elles se posent mutuellement des questions sur leur vie. Alice, naïve, croyait ainsi que Jonathan faisait de même avec Toby. Les hommes n’aiment en fait pas être soumis à ce genre d’interrogatoire, qu’ils trou- vent indiscret, à la limite de l’impolitesse. Les femmes n’ont pas l’impression d’être passées au grill. Il s’agit simplement pour elles d’une manière de briser la glace, de tisser des liens ou, pour les plus compétitives, de se comparer l’une à l’autre, dans l’objectif de déterminer laquelle des deux est la mieux. Une femme sondée par une autre femme consi- dère cela comme une marque d’intérêt, même si nous avons toutes parfois recours à cette tech- nique uniquement pour meubler la conversation. Je sais que je ne suis pas la seule à me sentir coupable de demander à quelqu’un de me parler de ses enfants/son job/ses magasins préférés, dans le seul but de fournir à ce quelqu’un un sujet de Communication : le mâle, le féminin et… 37 discussion un peu moins ennuyeux que celui sur lequel il ou elle est en train de s’étendre – ou un sujet de discussion tout court. Ceci dit, je dois bien avouer que j’adore quand on me demande de parler de moi. Ce n’est pas aussi naturel pour les hommes. C’est pourquoi, quand ils se montrent évasifs à propos de leur vie privée, leurs sentiments ou leurs pensées, nous ne devons pas en déduire qu’ils sont aimables comme des portes de prison. Tout simplement, l’idée ne les effleure pas que l’on puisse s’intéresser à ces détails. Il faut dire que, dans l’autre sens, les filles ne les captivent pas forcément non plus en leur débitant le genre de bla-bla futile qui alimente leurs discussions. La solution ? Personnellement, quand j’ai affaire à un homme que je ne connais pas bien, je l’amène à parler de son équipe de foot/écrivain/ parti politique favori. En gros, je bavarde de tout et de rien. Puis j’attends qu’il se sente assez à l’aise avec moi pour me révéler de son plein gré les aspects les plus fascinants de son moi le plus profond, ce qui peut prendre des heures, des mois ou des années. C’est pourquoi, bien souvent, à moins que l’homme en question ne me plaise vraiment beaucoup, je préfère discuter avec l’une de mes semblables. Parlez-vous le mâle ? 38
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