Lire un extrait de Parlez-vous le mâle ? - J. H. Edelstein - Page 18 - Lire un extrait de Parlez-vous le mâle ?, de Jean Hannah Edelstein que vous utilisiez une part de votre quota de mots quotidien pour lui fournir une réponse adéquate. Peut-être aurez-vous l’impression de gaspiller votre maigre budget de paroles, peut-être auriez-vous préféré le réserver à d’autres situa- tions, mais faites-moi confiance, sur le long terme, vous avez tout à y gagner. Intonation Je pense que vous êtes quasiment toutes d’accord avec moi : les hommes montrent moins d’émotion que nous lorsqu’ils parlent. En raison de l’énorme pression sociale qui les empêche de révéler leurs sentiments, ils s’interdisent de verser la moindre larme, sauf en cas de défaite de leur équipe sportive favorite. Les biologistes évolutionnistes ont récemment établi qu’hommes et femmes non seulement ne décrivent pas leurs affects de la même manière, mais modulent aussi leur voix différemment. Voici ce qu’ils ont découvert : les hommes (et les Allemands) s’expriment en général sur un ton neutre et monocorde, tandis que les femmes varient leurs inflexions en fonction des émotions qu’elles souhaitent faire passer. Ainsi, nos péri- phrases peuvent revêtir d’autres significations que Parlez-vous le mâle ? 34 le strict sens des mots. Autrement dit, un homme attentif à l’intonation de la voix féminine aura plus de chances de saisir le contenu implicite du message. Pour votre gouverne, messieurs, notez par exemple que les aigus traduisent en général un certain mécontentement. Les femmes, de leur côté, doivent apprendre à discerner les subtiles nuances des intonations masculines, beaucoup plus subtiles – et cesser de croire qu’un timbre de voix en apparence mono- tone dénote obligatoirement une choquante insensibilité. Inutile, donc, de hurler. Baissez plutôt le son de votre iPod, les filles, si vous voulez préserver l’intégrité de votre audition et ainsi pouvoir détecter les moindres inflexions dans la voix de votre compagnon. Au demeurant, l’intonation de la femme permet de savoir si elle est en période d’ovula- tion. Dingue, non ? Des études ont démontré, en effet, que nous changeons de voix quand nous sommes au top de notre fertilité. Afin d’encou- rager les mâles à, euh, nous féconder, nous prenons une voix ronronnante, grave et gutturale. Pensez-y, messieurs, la prochaine fois que vous entendrez une voix rauque à la Eartha Kitt dans une pub pour des crèmes glacées. Votre envie soudaine d’onctuosité froide et sucrée pourrait bien n’être qu’un désir sexuel sublimé. Communication : le mâle, le féminin et… 35 Quoi ? Tu ne veux pas de dessert ? Mais mon chéri, c’est tellement bon. Divulgation et demande de renseignements personnels Jonathan et Alice sont invités chez des amis. Jona- than discute dans le salon avec le nouveau copain de Maisie, Toby. Dans la cuisine, Alice raconte à Maisie que Jonathan lui mène une vie impossible depuis qu’il est rentré de ses six mois aux États-Unis : il étend son linge à sécher n’importe où dans l’appart, il ne nettoie pas la baignoire après sa douche. Bref, l’horreur. (« Mais ce n’est que du gel douche. Ce n’est pas sale, le gel douche », dit-il, très terre à terre, en homme qui se respecte.) Jonathan entre dans la cuisine. — C’est cool, lui lance Alice d’un ton parfaite- ment détendu. Vous avez l’air de bien vous entendre avec Toby. — Ouais, acquiesce Jonathan en prenant une bière dans le réfrigérateur. — Vous parlez de quoi ? — À ton avis ? répond-il en buvant une gorgée. — Je ne sais pas… De votre boulot ? De votre enfance ? De comment on s’est rencontrés, comment il a rencontré Maisie ? Jonathan secoue la tête avec un petit sourire. Parlez-vous le mâle ? 36 À votre avis, amis lecteurs, de quoi parlaient-ils ? — De foot. Évidemment. Deux femmes qui font connaissance observent en général un protocole assez strict : après s’être rapidement et silencieusement jaugées (Est-ce qu’elle est plus jolie que moi ?), elles se posent mutuellement des questions sur leur vie. Alice, naïve, croyait ainsi que Jonathan faisait de même avec Toby. Les hommes n’aiment en fait pas être soumis à ce genre d’interrogatoire, qu’ils trou- vent indiscret, à la limite de l’impolitesse. Les femmes n’ont pas l’impression d’être passées au grill. Il s’agit simplement pour elles d’une manière de briser la glace, de tisser des liens ou, pour les plus compétitives, de se comparer l’une à l’autre, dans l’objectif de déterminer laquelle des deux est la mieux. Une femme sondée par une autre femme consi- dère cela comme une marque d’intérêt, même si nous avons toutes parfois recours à cette tech- nique uniquement pour meubler la conversation. Je sais que je ne suis pas la seule à me sentir coupable de demander à quelqu’un de me parler de ses enfants/son job/ses magasins préférés, dans le seul but de fournir à ce quelqu’un un sujet de Communication : le mâle, le féminin et… 37 discussion un peu moins ennuyeux que celui sur lequel il ou elle est en train de s’étendre – ou un sujet de discussion tout court. Ceci dit, je dois bien avouer que j’adore quand on me demande de parler de moi. Ce n’est pas aussi naturel pour les hommes. C’est pourquoi, quand ils se montrent évasifs à propos de leur vie privée, leurs sentiments ou leurs pensées, nous ne devons pas en déduire qu’ils sont aimables comme des portes de prison. Tout simplement, l’idée ne les effleure pas que l’on puisse s’intéresser à ces détails. Il faut dire que, dans l’autre sens, les filles ne les captivent pas forcément non plus en leur débitant le genre de bla-bla futile qui alimente leurs discussions. La solution ? Personnellement, quand j’ai affaire à un homme que je ne connais pas bien, je l’amène à parler de son équipe de foot/écrivain/ parti politique favori. En gros, je bavarde de tout et de rien. Puis j’attends qu’il se sente assez à l’aise avec moi pour me révéler de son plein gré les aspects les plus fascinants de son moi le plus profond, ce qui peut prendre des heures, des mois ou des années. C’est pourquoi, bien souvent, à moins que l’homme en question ne me plaise vraiment beaucoup, je préfère discuter avec l’une de mes semblables. Parlez-vous le mâle ? 38 Technologie Je suis sûre que vous avez déjà vu des feuil- letons historiques ou des films avec Daniel Day- Lewis. Vous n’êtes donc pas sans savoir que le problème de communication entre hommes et femmes était autrefois résolu par les règles strictes de la bienséance, selon lesquelles il convenait de s’abstenir, autant que faire se peut, d’adresser la parole à toute personne du sexe opposé. Dans la bonne société anglaise, par exemple, les messieurs s’attardaient après dîner autour de la table à fumer des cigares en silence, tandis que leurs épouses se retiraient dans un petit salon pour papoter entre elles de leurs préoccupations fémi- nines, des qualités et défauts de leurs employées de maison ou de la meilleure corsetière du moment. (Les deux sujets devaient être d’un ennui mortel, soit dit en passant.) Lors des bals, la tension sexuelle atteignait son paroxysme, entre danseurs et danseuses alignés face à face dans des postures guindées. Chez les gens de basse extrac- tion, les hommes se retrouvaient au pub après une longue journée passée au fond de la mine ou aux champs, pendant que leurs femmes se rassem- blaient pour des veillées tricot, patchwork ou conserves. Je crois que ce mode de vie m’aurait davantage plu que celui des bourgeoises, quoique Communication : le mâle, le féminin et… 39 je l’aurais eu en travers de ne pas pouvoir profiter de quelques pintes. En certaines circonstances, de nos jours, nous perpétuons cette ségrégation. La manucure, par exemple, est une activité qui se pratique entre filles parce qu’elle leur permet d’avoir de longues et passionnantes discussions, désinhibées par les effets des vapeurs d’acétone. Et dans les salles de musculation, il règne souvent une ambiance typi- quement masculine : les hommes qui s’y côtoient parlent le moins possible pendant qu’ils soulè- vent de la fonte et s’observent discrètement les uns les autres afin de voir s’ils transpirent plus ou moins que la moyenne. Néanmoins, grâce à ce phénomène moderne nommé « technologie de l’information », la communication homme-femme connaît un boom sans précédent. Dans un contexte de multiplication des modes de communication, nous devons être prêts, en permanence, à dialoguer avec les membres du sexe opposé. Pour le meilleur et pour le pire. Analysons à présent l’usage que nous faisons de ces deux moyens de liaison cruciaux que sont le texto et l’e-mail. Parlez-vous le mâle ? 40 Le texto Avec l’apparition du SMS à la fin des années 1990, hommes et femmes ont découvert un fabu- leux outil de communication – ou plutôt, de non-communication. L’avènement du texto a été pour les hommes un merveilleux cadeau du ciel : enfin un langage, socialement toléré, requérant de faire bref (« concis », me corrigerez-vous sans doute, chers lecteurs). Après avoir subi pendant des décennies la terrible tyrannie leur imposant de prendre l’initiative de téléphoner à ces dames, et de se forcer à articuler des phrases complètes et cohé- rentes, les messieurs se sont réjouis collectivement (quoique leur joie ait été de courte durée) de ce progrès technologique rendant légitime – voire impératif – d’exprimer ses sentiments et ses pensées en 144 caractères maximum. Beaucoup ont même relevé haut la main le challenge de synthétiser encore davantage, plongeant involon- tairement les destinataires de leurs messages tronqués dans des abîmes de perplexité. Par exemple, je me souviens m’être arraché les cheveux en tentant de décrypter un « oh-K ». Cela voulait-il dire « OK » ? Était-ce sarcastique ? Humoristique ? Censé rendre une respiration ? Et Communication : le mâle, le féminin et… 41 la ponctuation, les gars, vous connaissez ? Oh, Seigneur ! La limitation du nombre de caractères pose aux femmes un tout autre défi : concilier la forme courte du SMS avec notre prédilection innée pour les métaphores obscures et les nuances subtiles. Rédiger un texto à l’attention d’un représentant de la gent masculine représente pour nombre d’entre nous un véritable casse-tête. Composer un sonnet ou une thèse de doctorat nous serait presque plus facile. C’est pourquoi nous nous y mettons souvent à plusieurs : à l’instar des auteurs d’articles scientifiques, nous travaillons en équipe. Je ne saurais dire combien de fois j’ai fait appel à trois ou quatre collaboratrices pour m’aider à taper un message à l’adresse d’une nouvelle conquête, combien de soirées j’ai passées avec mes copines à m’amuser à ce petit jeu. Les hommes ne soupçonnent pas le nombre d’heures que peut durer le processus consistant à : a) déterminer le délai de réponse à un texto en provenance d’un garçon ; b) élaborer cette réponse ; c) la soumettre à un comité de rédactrices triées sur le volet, éventuellement la corriger en fonction de leurs remarques, et de nouveau soumettre les modifications à leur approbation ; d) envoyer le message. Parlez-vous le mâle ? 42 Du temps perdu, bien sûr, que nous pour- rions consacrer à des activités plus épanouis- santes. Nous persévérons, néanmoins, tout en sachant pertinemment que nos efforts ne servent à rien, et qu’en lisant « Rendez-vous mardi prochain. Bise », nos correspondants se diront : Ah, je la verrai mardi prochain alors que nous aurions voulu qu’ils pensent : Elle doit être surbookée si elle n’a pas le temps de me voir avant mardi prochain. Sans doute a-t-elle tout un tas de prétendants, avec qui je suis en compétition. Je note du reste avec satisfaction qu’elle m’envoie une bise, ce qui indique qu’elle a de l’affection pour moi. Toutefois, elle ne m’envoie qu’une seule bise, ce qui signifie qu’elle ne veut pas se ridiculiser en me couvrant de baisers virtuels. Je devrais lui acheter des fleurs. L’e-mail Voici un moyen rigolo de pimenter votre vie amoureuse : essayez, avec votre cher et tendre, de ne pas parler de vos sentiments par courriel. Non, laissez tomber, c’est tout bonnement impossible. À ce point chimérique que je regrette parfois le bon vieux temps du téléphone, où nous commu- niquions de manière spontanée, sans contrôler nos Communication : le mâle, le féminin et… 43
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