Lire un extrait de Parlez-vous le mâle ? - J. H. Edelstein - Page 21 - Lire un extrait de Parlez-vous le mâle ?, de Jean Hannah Edelstein À votre avis, amis lecteurs, de quoi parlaient-ils ? — De foot. Évidemment. Deux femmes qui font connaissance observent en général un protocole assez strict : après s’être rapidement et silencieusement jaugées (Est-ce qu’elle est plus jolie que moi ?), elles se posent mutuellement des questions sur leur vie. Alice, naïve, croyait ainsi que Jonathan faisait de même avec Toby. Les hommes n’aiment en fait pas être soumis à ce genre d’interrogatoire, qu’ils trou- vent indiscret, à la limite de l’impolitesse. Les femmes n’ont pas l’impression d’être passées au grill. Il s’agit simplement pour elles d’une manière de briser la glace, de tisser des liens ou, pour les plus compétitives, de se comparer l’une à l’autre, dans l’objectif de déterminer laquelle des deux est la mieux. Une femme sondée par une autre femme consi- dère cela comme une marque d’intérêt, même si nous avons toutes parfois recours à cette tech- nique uniquement pour meubler la conversation. Je sais que je ne suis pas la seule à me sentir coupable de demander à quelqu’un de me parler de ses enfants/son job/ses magasins préférés, dans le seul but de fournir à ce quelqu’un un sujet de Communication : le mâle, le féminin et… 37 discussion un peu moins ennuyeux que celui sur lequel il ou elle est en train de s’étendre – ou un sujet de discussion tout court. Ceci dit, je dois bien avouer que j’adore quand on me demande de parler de moi. Ce n’est pas aussi naturel pour les hommes. C’est pourquoi, quand ils se montrent évasifs à propos de leur vie privée, leurs sentiments ou leurs pensées, nous ne devons pas en déduire qu’ils sont aimables comme des portes de prison. Tout simplement, l’idée ne les effleure pas que l’on puisse s’intéresser à ces détails. Il faut dire que, dans l’autre sens, les filles ne les captivent pas forcément non plus en leur débitant le genre de bla-bla futile qui alimente leurs discussions. La solution ? Personnellement, quand j’ai affaire à un homme que je ne connais pas bien, je l’amène à parler de son équipe de foot/écrivain/ parti politique favori. En gros, je bavarde de tout et de rien. Puis j’attends qu’il se sente assez à l’aise avec moi pour me révéler de son plein gré les aspects les plus fascinants de son moi le plus profond, ce qui peut prendre des heures, des mois ou des années. C’est pourquoi, bien souvent, à moins que l’homme en question ne me plaise vraiment beaucoup, je préfère discuter avec l’une de mes semblables. Parlez-vous le mâle ? 38 Technologie Je suis sûre que vous avez déjà vu des feuil- letons historiques ou des films avec Daniel Day- Lewis. Vous n’êtes donc pas sans savoir que le problème de communication entre hommes et femmes était autrefois résolu par les règles strictes de la bienséance, selon lesquelles il convenait de s’abstenir, autant que faire se peut, d’adresser la parole à toute personne du sexe opposé. Dans la bonne société anglaise, par exemple, les messieurs s’attardaient après dîner autour de la table à fumer des cigares en silence, tandis que leurs épouses se retiraient dans un petit salon pour papoter entre elles de leurs préoccupations fémi- nines, des qualités et défauts de leurs employées de maison ou de la meilleure corsetière du moment. (Les deux sujets devaient être d’un ennui mortel, soit dit en passant.) Lors des bals, la tension sexuelle atteignait son paroxysme, entre danseurs et danseuses alignés face à face dans des postures guindées. Chez les gens de basse extrac- tion, les hommes se retrouvaient au pub après une longue journée passée au fond de la mine ou aux champs, pendant que leurs femmes se rassem- blaient pour des veillées tricot, patchwork ou conserves. Je crois que ce mode de vie m’aurait davantage plu que celui des bourgeoises, quoique Communication : le mâle, le féminin et… 39 je l’aurais eu en travers de ne pas pouvoir profiter de quelques pintes. En certaines circonstances, de nos jours, nous perpétuons cette ségrégation. La manucure, par exemple, est une activité qui se pratique entre filles parce qu’elle leur permet d’avoir de longues et passionnantes discussions, désinhibées par les effets des vapeurs d’acétone. Et dans les salles de musculation, il règne souvent une ambiance typi- quement masculine : les hommes qui s’y côtoient parlent le moins possible pendant qu’ils soulè- vent de la fonte et s’observent discrètement les uns les autres afin de voir s’ils transpirent plus ou moins que la moyenne. Néanmoins, grâce à ce phénomène moderne nommé « technologie de l’information », la communication homme-femme connaît un boom sans précédent. Dans un contexte de multiplication des modes de communication, nous devons être prêts, en permanence, à dialoguer avec les membres du sexe opposé. Pour le meilleur et pour le pire. Analysons à présent l’usage que nous faisons de ces deux moyens de liaison cruciaux que sont le texto et l’e-mail. Parlez-vous le mâle ? 40 Le texto Avec l’apparition du SMS à la fin des années 1990, hommes et femmes ont découvert un fabu- leux outil de communication – ou plutôt, de non-communication. L’avènement du texto a été pour les hommes un merveilleux cadeau du ciel : enfin un langage, socialement toléré, requérant de faire bref (« concis », me corrigerez-vous sans doute, chers lecteurs). Après avoir subi pendant des décennies la terrible tyrannie leur imposant de prendre l’initiative de téléphoner à ces dames, et de se forcer à articuler des phrases complètes et cohé- rentes, les messieurs se sont réjouis collectivement (quoique leur joie ait été de courte durée) de ce progrès technologique rendant légitime – voire impératif – d’exprimer ses sentiments et ses pensées en 144 caractères maximum. Beaucoup ont même relevé haut la main le challenge de synthétiser encore davantage, plongeant involon- tairement les destinataires de leurs messages tronqués dans des abîmes de perplexité. Par exemple, je me souviens m’être arraché les cheveux en tentant de décrypter un « oh-K ». Cela voulait-il dire « OK » ? Était-ce sarcastique ? Humoristique ? Censé rendre une respiration ? Et Communication : le mâle, le féminin et… 41 la ponctuation, les gars, vous connaissez ? Oh, Seigneur ! La limitation du nombre de caractères pose aux femmes un tout autre défi : concilier la forme courte du SMS avec notre prédilection innée pour les métaphores obscures et les nuances subtiles. Rédiger un texto à l’attention d’un représentant de la gent masculine représente pour nombre d’entre nous un véritable casse-tête. Composer un sonnet ou une thèse de doctorat nous serait presque plus facile. C’est pourquoi nous nous y mettons souvent à plusieurs : à l’instar des auteurs d’articles scientifiques, nous travaillons en équipe. Je ne saurais dire combien de fois j’ai fait appel à trois ou quatre collaboratrices pour m’aider à taper un message à l’adresse d’une nouvelle conquête, combien de soirées j’ai passées avec mes copines à m’amuser à ce petit jeu. Les hommes ne soupçonnent pas le nombre d’heures que peut durer le processus consistant à : a) déterminer le délai de réponse à un texto en provenance d’un garçon ; b) élaborer cette réponse ; c) la soumettre à un comité de rédactrices triées sur le volet, éventuellement la corriger en fonction de leurs remarques, et de nouveau soumettre les modifications à leur approbation ; d) envoyer le message. Parlez-vous le mâle ? 42 Du temps perdu, bien sûr, que nous pour- rions consacrer à des activités plus épanouis- santes. Nous persévérons, néanmoins, tout en sachant pertinemment que nos efforts ne servent à rien, et qu’en lisant « Rendez-vous mardi prochain. Bise », nos correspondants se diront : Ah, je la verrai mardi prochain alors que nous aurions voulu qu’ils pensent : Elle doit être surbookée si elle n’a pas le temps de me voir avant mardi prochain. Sans doute a-t-elle tout un tas de prétendants, avec qui je suis en compétition. Je note du reste avec satisfaction qu’elle m’envoie une bise, ce qui indique qu’elle a de l’affection pour moi. Toutefois, elle ne m’envoie qu’une seule bise, ce qui signifie qu’elle ne veut pas se ridiculiser en me couvrant de baisers virtuels. Je devrais lui acheter des fleurs. L’e-mail Voici un moyen rigolo de pimenter votre vie amoureuse : essayez, avec votre cher et tendre, de ne pas parler de vos sentiments par courriel. Non, laissez tomber, c’est tout bonnement impossible. À ce point chimérique que je regrette parfois le bon vieux temps du téléphone, où nous commu- niquions de manière spontanée, sans contrôler nos Communication : le mâle, le féminin et… 43 émotions en permanence. Aujourd’hui, les communications non préméditées sont devenues si rares que lorsque nous recevons un coup de fil émanant de quelqu’un qui ne nous laisse pas tout à fait indifférent, nous hésitons à prendre l’appel. Pendant six mois, je suis sortie avec un jeune homme qui m’envoyait chaque jour au moins un mail ou un texto mais qui, en six mois, ne m’a pas téléphoné une seule fois. Ce qui ne me choquait pas, le téléphone étant presque tombé en désuétude. Jusqu’au jour où il m’a appelée pour me dire que tout était fini entre nous, qu’il était encore amoureux de son ex. Dès l’instant où j’ai vu son nom s’afficher sur l’écran de mon portable, j’ai compris qu’il avait quelque chose de grave à m’annoncer. J’ai rejeté l’appel, bien entendu, et je l’ai rappelé plus tard, après m’être préparée à encaisser le coup. La concision masculine et la propension fémi- nine au délayage se retrouvent bien sûr dans le courrier électronique. Les hommes envoient des mails pour transmettre une info pratique, les femmes truffent les leurs de significations cachées entre les lignes. Car contrairement aux textos, les courriels peuvent être longs. Résultat ? Nous avons tendance à, euh, nous étaler. Parlez-vous le mâle ? 44 ? À : Jonathan De : Alice Objet : Ce soir Salut Jonathan, J’espère que tu passes une bonne journée. Moi, ça va, bien que mon boss soit d’humeur massacrante cet après-midi. Il a dû s’enfiler trop de gin tonic à son repas d’affaires. (Traduction en mâle : Raconte-moi une anecdote hilarante, je m’ennuie comme un rat mort.) Ce petit mail juste pour savoir ce que tu penses de notre plan pour ce soir. (Traduction en mâle : Vu que tu ne donnes pas signe de vie, je prends l’initia- tive de te contacter, bien que mes copines m’aient recommandé d’attendre que ce soit toi qui le fasses.) Toujours d’accord pour aller voir cette pièce de théâtre dont nous avons parlé samedi ? (Traduction en mâle : Je crains que ton silence ne trahisse ton indifférence.) Peut-être que l’un d’entre nous devrait aller acheter les billets à l’avance, au cas où il n’y ait plus de places au guichet. (Traduction en mâle : Tu peux aller acheter les billets, s’il te plaît ? Si j’avais pu, je l’aurais déjà fait moi-même.) Communication : le mâle, le féminin et… 45 À moins que tu ne préfères qu’on fasse autre chose, par exemple qu’on aille au restau. (Traduction en mâle : À moins que tu n’aies une très bonne excuse, j’espère qu’on se verra ce soir, comme prévu.) Bise, Alice À : Alice De : Jonathan Objet : re : Ce soir Bien sûr ! Dis-moi à quelle heure. (Alice interprète : QUEDEMYSTÈRE.) Bise. ! Comme le SMS, le mail favorise le penchant féminin pour la communication collective. Je ne peux pas m’empêcher de rire quand je croise un mec qui pense encore pouvoir envoyer à une fille une e-missive légèrement ambiguë qui ne sera pas réexpédiée dans les minutes qui suivent à un cercle d’amies. Quant aux réponses que les hommes reçoivent, il va sans dire qu’elles ont été soumises à la critique du même fidèle comité de rédaction également chargé de l’approbation des textos. Et nous voilà, hélas, encore une fois confrontés à d’éprouvants exercices cérébraux. Les femmes Parlez-vous le mâle ? 46
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