Lire un extrait de Parlez-vous le mâle ? - J. H. Edelstein - Page 5 - Lire un extrait de Parlez-vous le mâle ?, de Jean Hannah Edelstein par paresse, enclins à la généralisation, nous supposons que nos filles seront des pipelettes et que nos fils, comme leurs pères, seront laco- niques et taciturnes, s’accommodant parfaitement d’un langage monosyllabique et onomatopéique. C’est pourquoi les femmes, soucieuses d’assumer leur rôle de responsable de la commu- nication, s’octroient parfois le droit – OK, chaque fois qu’elles en ont l’opportunité – de s’exprimer au nom de leur entourage masculin. Personnelle- ment, la technique me paraît souveraine lorsqu’un consensus doit être trouvé – je ne pense pas que mes ex me contrediront. Elle présente en revanche des limites dès lors que diverses opinions nécessi- tent d’être prises en compte. D’expérience, bien qu’ayant l’intime conviction d’avoir toujours raison, j’ai en effet appris que les hommes préfè- rent parfois que je fasse semblant de n’être pas tout à fait inflexible. Certains argueront que ce concept de la femme expansive ne repose pas que sur des préjugés et des clichés. Entre autres, il me semble avoir retenu de mes cours universitaires d’introduction à la psychologie (je savais qu’ils me serviraient un jour à quelque chose) que les garçons ayant une sœur aînée commencent à parler un poil plus tard que la moyenne, pour la simple et bonne raison qu’ils comptent sur leur entourage féminin Communication : le mâle, le féminin et… 21 – grandes sœurs, mère, petites copines de classe – pour prendre la parole en leur nom. Sans vouloir vous offenser, très chers lecteurs masculins, cette démarche relève de la fainéantise, nous en conviendrons tous. Quoique, tout bien réfléchi, elle ait peut-être une merveilleuse utilité. Ainsi, les gars, pendant que vos grandes sœurs négocient avec vos parents le droit de regarder la télé et le choix du poisson pané pour le dîner, vous avez tout le loisir de développer votre obsession pour l’équipe sportive qui deviendra votre raison de vous lever chaque matin jusqu’à la fin de vos jours. On pourrait méditer là-dessus une vie entière (des gens le font, on les appelle des sociologues), mais nous nous limiterons ici à examiner ce qui constitue, à mon avis, les quatre points principaux sur lesquels hommes et femmes diffèrent dans leur utilisation du langage. Messieurs, voici ces quatre points énoncés briè- vement comme vous l’aimez. Je développerai dans un instant mais, vous connaissant, je sais que vous risquez de sauter les paragraphes trop longs. 1. Discours direct versus discours indirect 2. Formulation des questions 3. Intonation Parlez-vous le mâle ? 22 4. Divulgation et demande de renseignements personnels Chères lectrices, afin de satisfaire votre goût pour les explications détaillées, circonstanciées et approfondies, nous allons maintenant analyser ces quatre points. Notez que les scientifiques ont consacré de longues heures de travail à étayer ces différences majeures. J’admire leur zèle et leurs méthodes. Pour ma part, toutefois, j’ai préféré tendre l’oreille et écouter des couples pris au hasard, au restau- rant, dans le bus, au supermarché ou dans les files d’attente, en pleine conversation privée malgré ma présence indiscrète. Par ailleurs, lors de mes sorties en compagnie de charmants gentlemen, j’ai abusivement prétexté des besoins urgents afin de m’éclipser aux toilettes et de prendre des notes. Toutes mes excuses à ces couples pris au hasard. Désolée, messieurs, de vous avoir fait croire que j’avais une vessie minuscule. Comprenez que si j’ai gâché des moments qui auraient pu être terri- blement romantiques, c’était dans l’intérêt général. Communication : le mâle, le féminin et… 23 Discours direct versus discours indirect Diverses études réalisées par des gens en blouse blanche ont mis en évidence que le nombre de mots prononcés au cours d’une journée par les hommes est de 65 % inférieur à la moyenne relevée chez les femmes. (Hélas, aucune statis- tique n’a été établie sur les sons gutturaux émis par les hommes en guise de mots. Si certaines parmi vous, chères lectrices, souhaitent comptabi- liser les marmonnements et grognements de leur partenaire, vos chiffres seront les bienvenus pour la seconde édition de ce livre.) Les hommes étant ainsi limités, il paraît donc logique qu’ils privilé- gient le discours direct. Qui dispose d’un budget serré ne peut se permettre des dépenses exces- sives. De même, lorsqu’on ne possède qu’un fond lexical restreint, on ne fait pas dans l’adjectif superflu ni dans la métaphore poétique. Chez les femmes, en revanche, riches en voca- bulaire, le verbe coule avec la même généreuse et insouciante abondance que le champagne rosé chez les grands de ce monde. Une caractéristique que l’on retrouve d’ailleurs à l’écrit : laissez libre cours à la plume d’une femme, elle noircira des pages et des pages. Si ce livre avait été réalisé par un homme, sans doute ne serait-ce pas un livre ; je parie qu’il aurait tenu sur le recto verso d’une Parlez-vous le mâle ? 24 feuille A4. Voire sur un Post-it pour un auteur particulièrement concis. Du fait de cette tendance intrinsèque à abréger pour les uns, à délayer pour les autres, hommes et femmes peuvent exprimer les mêmes idées de manières complètement différentes. Dans toute langue, il existe pour ainsi dire deux dialectes distincts : les hommes parlent le « mâle », les femmes le « féminin ». Pour mieux comprendre comment cela fonctionne – ou ne fonctionne pas –, écoutons quelques conversations entre Jonathan et Alice. ? (La mère de Jonathan doit leur rendre visite ; Jonathan et Alice sont tous deux conscients qu’un brin de ménage s’impose.) Jonathan : Il faut qu’on range le salon. Ma mère va passer nous voir. (Alice interprète : Ma mère te déteste et te considère comme une souillon.) Alice : Jonathan ! Il règne dans le salon une pagaille innommable ! C’est scanda- leux, je n’ose même plus y mettre les pieds. C’est la place de tes pantoufles, devant le canapé ? Tu crois que c’est un dépotoir, ici ? Si ta mère voit l’appart dans cet état, bonjour la honte ! Communication : le mâle, le féminin et… 25 (Traduction en mâle : J’attends que tu ranges cette baraque.) (Jonathan et Alice sont invités à dîner ; ils choisissent leur tenue.) Alice : Tu la mets souvent, cette chemise, non ? Et la rose que je t’ai offerte pour ton anniversaire ? Tu ne la portes jamais. (Traduction en mâle : Change de chemise, mec.) Jonathan : J’aime bien celle-ci. (Alice interprète : Je déteste la chemise que tu m’as achetée et mon refus de la mettre ce soir prouve non seulement que je n’ai aucun goût mais que je me fiche roya- lement de tes sentiments et de notre rela- tion ; en fait, je suis en train d’essayer de te dire que je vais te quitter.) Alice : À ton avis, je mets ce ravissant petit haut violet que j’ai acheté hier pendant ma pause déjeuner, ou le rouge que je portais pour l’anniversaire de ton frère ? (Traduction en mâle : J’ai envie de mettre mon petit haut violet. Dis-moi qu’il me va bien.) Jonathan : J’aime bien le rouge. (Alice interprète : Ce petit haut violet te grossit. Je ne t’aime plus.) Parlez-vous le mâle ? 26 (Jonathan et Alice font les courses pour la semaine.) Jonathan : On prend du liquide vais- selle ? (Alice interprète : Ça fait tellement longtemps que je n’ai pas fait la vaisselle que je n’ai aucune idée de ce qu’il reste dans la bouteille.) Alice : À ton avis ? (Traduction en mâle : Si tu faisais la vaisselle plus souvent, tu saurais.) ! Bien sûr, le mâle et le féminin se pratiquent également hors du couple. Ci-après, quelques exemples dans d’autres contextes. Au travail Mâle : Vous êtes licencié. Féminin : Je pense que nous n’avons plus tout à fait les mêmes objectifs et je suis au regret de vous informer que vous allez devoir chercher un autre poste, peut-être dans un secteur où vos compétences seraient mieux mises en valeur. Mâle : Vous avez rempli les formulaires ? Féminin : Vous vous souvenez de ces formulaires que je vous ai remis il y a Communication : le mâle, le féminin et… 27 quelques jours ? Oui ? Je me demandais où ils étaient passés. Flirt Mâle : Ça te dirait qu’on aille boire un verre ensemble ? Féminin : Je crois que je n’ai rien de prévu pour jeudi soir. Tant pis. Je passerai la soirée chez moi. J’en profiterai pour me laver les cheveux, ou bien je regarderai la télé en m’empiffrant de glaces. À moins que, par le plus grand des hasards, quelqu’un ne me propose un programme plus intéressant. Mâle : Tu me plais. Féminin : Tu es très intelligent et tu as beaucoup de talent. Et tu es grand. T’ai-je déjà dit que j’avais un faible pour les hommes intelligents, talentueux et grands ? Oui, ce sont en général des hommes de fort bonne compagnie. Mon idéal masculin, en fait. Mâle : J’ai envie de coucher avec toi. Féminin : Oh, mon Dieu ! Tu as vu l’heure qu’il est ? J’ai bien peur d’avoir loupé le dernier bus. Je suis obligée de rester chez toi. Non, non, c’est gentil, mais tu ne vas pas dormir sur le canapé, tu passerais une mauvaise nuit, ça m’ennuierait. Non, non, pas de problème, on peut très bien dormir tous les deux dans ton lit. Hum, il faut Parlez-vous le mâle ? 28 absolument que je passe quelque chose de plus confortable. Tu aurais un T-shirt à me prêter ? Une chance, j’ai mis mes plus beaux dessous en dentelle aujourd’hui. J’espère que ça ne te gêne pas de me voir en petite tenue. Ce qui nous amène à la question de l’hypo- crisie (sur laquelle nous reviendrons plus longue- ment, vous pouvez vous en douter, au chapitre sur la sexualité). Les femmes, c’est bien connu, ont l’habitude de dissimuler leurs véritables senti- ments, contrairement aux hommes, qui n’hésitent pas à raconter des mensonges éhontés ou à asséner de douloureuses vérités. (Je suis sortie quelque temps avec un type d’une telle sincérité que j’ai dû le prier de ne plus me donner son opinion sur quoi que ce soit à moins que je ne la lui demande expressément.) Du fait de leur aisance à manier le langage, et de leur tendance, sous la pression sociale, à vouloir se montrer aimables et éviter le conflit, les femmes préfèrent parfois maquiller quelque peu la vérité, même si les hommes ne sont pas dupes et désespèrent de ces complications dans leurs relations tant romantiques que plato- niques. (Comme nos mères, les hommes qui nous connaissent ne se laissent pas berner.) Communication : le mâle, le féminin et… 29 S’il est une chose à retenir (si nécessaire à noter sur un bout de papier que vous garderez dans votre portefeuille), c’est bien celle-ci : les femmes emploient un langage codé, pas les hommes. Ce qui n’est pas forcément évident à assimiler car, bien souvent, nous partons du principe que le sexe opposé s’exprime de la même manière que nous, que les mots ont une signification unique, celle que nous leur attribuons. Grossière erreur ! Qui ne peut induire que de la confusion : les femmes déconstruisent les phrases les plus anodines des hommes et leur prêtent des signifi- cations non intentionnelles. Les hommes pren- nent les propos des femmes pour argent comptant et passent par conséquent à côté du message sous- jacent qui en constituait le cœur. Résultat : des larmes. Que faire ? La solution est simple. Prêt(e)s ? Les filles : ce n’est pas parce qu’un homme vous dit qu’il adore lui aussi votre livre préféré que vous devez courir acheter une robe de mariée. Il aime ce livre, c’est tout, c’est chouette, ne cher- chez pas plus loin. Je sais que ce n’est pas facile mais je vous en supplie, évitez de vous faire du mal, ne vous réjouissez pas trop vite. Les garçons : si votre petite amie (à supposer qu’elle habite loin de chez vous) vous annonce qu’elle part en déplacement professionnel et va Parlez-vous le mâle ? 30
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