Lire un extrait de Parlez-vous le mâle ? - J. H. Edelstein - Page 8 - Lire un extrait de Parlez-vous le mâle ?, de Jean Hannah Edelstein Discours direct versus discours indirect Diverses études réalisées par des gens en blouse blanche ont mis en évidence que le nombre de mots prononcés au cours d’une journée par les hommes est de 65 % inférieur à la moyenne relevée chez les femmes. (Hélas, aucune statis- tique n’a été établie sur les sons gutturaux émis par les hommes en guise de mots. Si certaines parmi vous, chères lectrices, souhaitent comptabi- liser les marmonnements et grognements de leur partenaire, vos chiffres seront les bienvenus pour la seconde édition de ce livre.) Les hommes étant ainsi limités, il paraît donc logique qu’ils privilé- gient le discours direct. Qui dispose d’un budget serré ne peut se permettre des dépenses exces- sives. De même, lorsqu’on ne possède qu’un fond lexical restreint, on ne fait pas dans l’adjectif superflu ni dans la métaphore poétique. Chez les femmes, en revanche, riches en voca- bulaire, le verbe coule avec la même généreuse et insouciante abondance que le champagne rosé chez les grands de ce monde. Une caractéristique que l’on retrouve d’ailleurs à l’écrit : laissez libre cours à la plume d’une femme, elle noircira des pages et des pages. Si ce livre avait été réalisé par un homme, sans doute ne serait-ce pas un livre ; je parie qu’il aurait tenu sur le recto verso d’une Parlez-vous le mâle ? 24 feuille A4. Voire sur un Post-it pour un auteur particulièrement concis. Du fait de cette tendance intrinsèque à abréger pour les uns, à délayer pour les autres, hommes et femmes peuvent exprimer les mêmes idées de manières complètement différentes. Dans toute langue, il existe pour ainsi dire deux dialectes distincts : les hommes parlent le « mâle », les femmes le « féminin ». Pour mieux comprendre comment cela fonctionne – ou ne fonctionne pas –, écoutons quelques conversations entre Jonathan et Alice. ? (La mère de Jonathan doit leur rendre visite ; Jonathan et Alice sont tous deux conscients qu’un brin de ménage s’impose.) Jonathan : Il faut qu’on range le salon. Ma mère va passer nous voir. (Alice interprète : Ma mère te déteste et te considère comme une souillon.) Alice : Jonathan ! Il règne dans le salon une pagaille innommable ! C’est scanda- leux, je n’ose même plus y mettre les pieds. C’est la place de tes pantoufles, devant le canapé ? Tu crois que c’est un dépotoir, ici ? Si ta mère voit l’appart dans cet état, bonjour la honte ! Communication : le mâle, le féminin et… 25 (Traduction en mâle : J’attends que tu ranges cette baraque.) (Jonathan et Alice sont invités à dîner ; ils choisissent leur tenue.) Alice : Tu la mets souvent, cette chemise, non ? Et la rose que je t’ai offerte pour ton anniversaire ? Tu ne la portes jamais. (Traduction en mâle : Change de chemise, mec.) Jonathan : J’aime bien celle-ci. (Alice interprète : Je déteste la chemise que tu m’as achetée et mon refus de la mettre ce soir prouve non seulement que je n’ai aucun goût mais que je me fiche roya- lement de tes sentiments et de notre rela- tion ; en fait, je suis en train d’essayer de te dire que je vais te quitter.) Alice : À ton avis, je mets ce ravissant petit haut violet que j’ai acheté hier pendant ma pause déjeuner, ou le rouge que je portais pour l’anniversaire de ton frère ? (Traduction en mâle : J’ai envie de mettre mon petit haut violet. Dis-moi qu’il me va bien.) Jonathan : J’aime bien le rouge. (Alice interprète : Ce petit haut violet te grossit. Je ne t’aime plus.) Parlez-vous le mâle ? 26 (Jonathan et Alice font les courses pour la semaine.) Jonathan : On prend du liquide vais- selle ? (Alice interprète : Ça fait tellement longtemps que je n’ai pas fait la vaisselle que je n’ai aucune idée de ce qu’il reste dans la bouteille.) Alice : À ton avis ? (Traduction en mâle : Si tu faisais la vaisselle plus souvent, tu saurais.) ! Bien sûr, le mâle et le féminin se pratiquent également hors du couple. Ci-après, quelques exemples dans d’autres contextes. Au travail Mâle : Vous êtes licencié. Féminin : Je pense que nous n’avons plus tout à fait les mêmes objectifs et je suis au regret de vous informer que vous allez devoir chercher un autre poste, peut-être dans un secteur où vos compétences seraient mieux mises en valeur. Mâle : Vous avez rempli les formulaires ? Féminin : Vous vous souvenez de ces formulaires que je vous ai remis il y a Communication : le mâle, le féminin et… 27 quelques jours ? Oui ? Je me demandais où ils étaient passés. Flirt Mâle : Ça te dirait qu’on aille boire un verre ensemble ? Féminin : Je crois que je n’ai rien de prévu pour jeudi soir. Tant pis. Je passerai la soirée chez moi. J’en profiterai pour me laver les cheveux, ou bien je regarderai la télé en m’empiffrant de glaces. À moins que, par le plus grand des hasards, quelqu’un ne me propose un programme plus intéressant. Mâle : Tu me plais. Féminin : Tu es très intelligent et tu as beaucoup de talent. Et tu es grand. T’ai-je déjà dit que j’avais un faible pour les hommes intelligents, talentueux et grands ? Oui, ce sont en général des hommes de fort bonne compagnie. Mon idéal masculin, en fait. Mâle : J’ai envie de coucher avec toi. Féminin : Oh, mon Dieu ! Tu as vu l’heure qu’il est ? J’ai bien peur d’avoir loupé le dernier bus. Je suis obligée de rester chez toi. Non, non, c’est gentil, mais tu ne vas pas dormir sur le canapé, tu passerais une mauvaise nuit, ça m’ennuierait. Non, non, pas de problème, on peut très bien dormir tous les deux dans ton lit. Hum, il faut Parlez-vous le mâle ? 28 absolument que je passe quelque chose de plus confortable. Tu aurais un T-shirt à me prêter ? Une chance, j’ai mis mes plus beaux dessous en dentelle aujourd’hui. J’espère que ça ne te gêne pas de me voir en petite tenue. Ce qui nous amène à la question de l’hypo- crisie (sur laquelle nous reviendrons plus longue- ment, vous pouvez vous en douter, au chapitre sur la sexualité). Les femmes, c’est bien connu, ont l’habitude de dissimuler leurs véritables senti- ments, contrairement aux hommes, qui n’hésitent pas à raconter des mensonges éhontés ou à asséner de douloureuses vérités. (Je suis sortie quelque temps avec un type d’une telle sincérité que j’ai dû le prier de ne plus me donner son opinion sur quoi que ce soit à moins que je ne la lui demande expressément.) Du fait de leur aisance à manier le langage, et de leur tendance, sous la pression sociale, à vouloir se montrer aimables et éviter le conflit, les femmes préfèrent parfois maquiller quelque peu la vérité, même si les hommes ne sont pas dupes et désespèrent de ces complications dans leurs relations tant romantiques que plato- niques. (Comme nos mères, les hommes qui nous connaissent ne se laissent pas berner.) Communication : le mâle, le féminin et… 29 S’il est une chose à retenir (si nécessaire à noter sur un bout de papier que vous garderez dans votre portefeuille), c’est bien celle-ci : les femmes emploient un langage codé, pas les hommes. Ce qui n’est pas forcément évident à assimiler car, bien souvent, nous partons du principe que le sexe opposé s’exprime de la même manière que nous, que les mots ont une signification unique, celle que nous leur attribuons. Grossière erreur ! Qui ne peut induire que de la confusion : les femmes déconstruisent les phrases les plus anodines des hommes et leur prêtent des signifi- cations non intentionnelles. Les hommes pren- nent les propos des femmes pour argent comptant et passent par conséquent à côté du message sous- jacent qui en constituait le cœur. Résultat : des larmes. Que faire ? La solution est simple. Prêt(e)s ? Les filles : ce n’est pas parce qu’un homme vous dit qu’il adore lui aussi votre livre préféré que vous devez courir acheter une robe de mariée. Il aime ce livre, c’est tout, c’est chouette, ne cher- chez pas plus loin. Je sais que ce n’est pas facile mais je vous en supplie, évitez de vous faire du mal, ne vous réjouissez pas trop vite. Les garçons : si votre petite amie (à supposer qu’elle habite loin de chez vous) vous annonce qu’elle part en déplacement professionnel et va Parlez-vous le mâle ? 30 sûrement faire un détour par votre ville, elle attend que vous l’invitiez à venir vous voir, et non pas que vous vous contentiez de lui faire remar- quer que c’est une étrange coïncidence qu’elle soit de passage dans votre région. Lorsqu’on vous tend une perche, messieurs, je vous en prie, saisissez-la. Formulation des questions Cette particularité qu’ont les femmes d’user de circonlocutions est particulièrement flagrante dans leur manière de poser des questions. Chez les membres du beau sexe, l’interrogation peut revêtir des formes diverses, dont l’une des plus communes n’est pas sans rappeler la tournure affirmative employée par les hommes. Pauvres garçons. Comment voulez-vous qu’ils s’y retrou- vent ? Prenons, par exemple, le banal scénario des ordures à sortir. Quand Jonathan souhaite qu’Alice descende la poubelle, il lui tient à peu près ce langage : — Tu peux descendre la poubelle, s’il te plaît ? Alice n’aime pas descendre la poubelle, parce que l’odeur des poubelles l’incommode et parce qu’en tant que femme émancipée, fervente adepte de l’égalité des sexes, elle estime que ce n’est pas Communication : le mâle, le féminin et… 31 son rôle. Mais comme Alice est une chic fille, et non une espèce de princesse ridicule (croyez-moi, personne n’aime les princesses ridicules), il lui arrive quand même de temps en temps de descendre les poubelles. Refuser paraîtrait de sa part étrange et obtus. Et puis au moins, comme ça, c’est fait. Malheureusement, la plupart du temps, Jona- than ne s’aperçoit même pas que la poubelle déborde. Et Alice doit prendre sur elle de le prier de s’en occuper. Il est rare, toutefois, qu’elle le lui demande sans détour. Non seulement cela ne lui est pas naturel, elle risquerait en outre d’être taxée de mégère, le stéréotype le plus vexant que l’on puisse coller à une dame. Afin de ne pas avoir l’air de mener son monde à la baguette, Alice présente donc sa requête sous forme de constat. — Il faudrait sortir les ordures, dit-elle, suggé- rant par là que Jonathan devrait le faire. Or seul un homme averti que les femmes emploient un langage codé réagira avec à-propos et descendra le sac-poubelle. Jonathan n’appar- tient pas à ce groupe d’élite. Non, d’esprit cartésien, Jonathan jettera un œil à la poubelle qui déborde et conviendra avec sa charmante Alice qu’effectivement, il est temps de la descendre. Puis il se revissera les écouteurs de son iPod dans les oreilles et terminera sa bière Parlez-vous le mâle ? 32 tranquillement. Exaspérée qu’il n’ait pas capté le sens du message, Alice finira par lui ordonner de sortir les ordures, ce qu’elle avait tenté d’éviter en employant une tournure indirecte. Même lorsque les femmes formulent des requêtes qui, transcrites, seraient ponctuées par un point d’interrogation, les hommes trouvent le moyen d’en faire une interprétation des plus vagues. « Tu pourras descendre la poubelle ? » constitue pour moi et la plupart de mes consœurs une instruction explicite, n’est-ce pas ? Absolu- ment. Pourtant, hormis les plus avisés, les hommes estiment disposer de l’option de répondre par un : — Euh, ben, non. Tu ne vois pas que je suis occupé à briefer mon équipe de foot imaginaire/ à jouer avec le chien/ à fantasmer sur toi en uniforme d’infirmière ? (Évidemment que je serais hyper sexy en blouse d’infirmière, mais là n’est pas la question.) Quelle conclusion en tirer ? Quand vous avez quelque chose à demander, mesdames, faites des phrases courtes et directes. N’ayez pas peur de paraître autoritaire, il s’agit seulement d’être claire. Quant à vous, messieurs, sachez que, formulée par une femme, une remarque d’apparence anodine peut signifier que ladite femme attend Communication : le mâle, le féminin et… 33
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