Lire un extrait de L'indomptable - Page 3 - Lire un extrait du livre L'indomptable, de Jennifer Donnelly JENNIFER DONNELLY Née aux États-Unis, Jennifer Donnelly a vécu quelques années en Angleterre avant de s’installer à Brooklyn avec son mari. Elle commence par exercer le métier de reporter, puis se lance dans l’écriture en publiant deux livres de littérature jeunesse. Après le grand succès de L’Insoumise (Belfond, 2004), elle a poursuivi son œuvre avec La Rebelle (Belfond, 2005), L’Ange de Whitechapel (Belfond, 2008) et L’Indomptable (Belfond, 2012). Retrouvez toute l’actualité de l’auteur sur : www.jenniferdonnelly.com 200120NZC_INDOMPTABLE_cs4_pc.indd 1200120NZC_INDOMPTABLE_cs4_pc.indd 1 24/10/2013 08:08:3324/10/2013 08:08:33 JENNIFER DONNELLY L’INDOMPTABLE Traduit de l’américain Par Florence Hertz 200120NZC_INDOMPTABLE_cs4_pc.indd 5200120NZC_INDOMPTABLE_cs4_pc.indd 5 16/10/2013 10:42:4616/10/2013 10:42:46 Titre original : THE WILD ROSE publié par Hyperion, New York Pocket, une marque d’Univers Poche, est un éditeur qui s’engage pour la préservation de son environnement et qui utilise du papier fabriqué à partir de bois provenant de forêts gérées de manière responsable. Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2° et 3° a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon, sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. © Jennifer Donnelly 2011. Tous droits réservés. © Belfond 2012 pour la traduction française. ISBN : 978-2-266-23574-7 200120NZC_INDOMPTABLE_cs4_pc.indd 6200120NZC_INDOMPTABLE_cs4_pc.indd 6 16/10/2013 10:42:4716/10/2013 10:42:47 Prologue Août 1913, Tibet Les Anglaises faisaient-elles toutes l’amour comme elle, sans plus de sentimentalité qu’un homme ? Probablement pas. Max von Brandt s’interrogeait en contemplant la femme allongée près de lui dans la pénombre du bivouac. Des maîtresses, il en avait eu beaucoup, des douces, des dociles, qui lui extorquaient des promesses et qui, après l’amour, réclamaient de la tendresse. Elle, elle allait droit au but et prenait vite son plaisir. Ensuite elle s’endormait. — Aucun argument ne te fera changer d’avis, je suppose, dit-il. Tu ne resteras pas avec moi ? — Non, Max, c’est décidé, je repars. Il roula sur le dos, écoutant dans le silence la respiration profonde de la jeune femme qui sombrait déjà dans le sommeil. Lui ne dormirait pas : il voulait veiller pour profiter pleinement de cette nuit. Il en chérirait chaque instant. Il se souviendrait toujours de la douceur de cette peau, de ce parfum. Du souffle du vent. Du froid perçant. Il l’aimait, et le lui avait avoué depuis plusieurs 11 200120NZC_INDOMPTABLE_cs4_pc.indd 11200120NZC_INDOMPTABLE_cs4_pc.indd 11 16/10/2013 10:42:4716/10/2013 10:42:47 semaines. Pour la première fois de sa vie, il éprouvait des sentiments profonds. Elle lui avait ri au nez ; puis, le voyant blessé, elle l’avait pris dans ses bras avec un regard de mise en garde. La nuit passa trop vite. La jeune femme s’éveilla avant le lever du jour. Elle s’habilla dans le noir sans voir que Max, immobile, avait les yeux grands ouverts, et elle sortit de la tente sans bruit. Il ne la trouvait jamais à ses côtés le matin venu. Elle préférait le quitter avant le jour. Au début, il était sorti la chercher. Il la trouvait perchée sur une hauteur, un rocher solitaire, le visage levé vers le ciel pâlissant et les dernières étoiles. — Tu cherches toujours la même constellation ? lui demandait-il en levant lui aussi la tête. — Oui, Orion, répondait-elle. C’était le jour des adieux. Il ne leur restait qu’une ou deux heures à passer ensemble, qu’il occuperait à se remémorer leur rencontre. Ils avaient fait connaissance quatre mois plus tôt alors qu’il voyageait en Asie. Alpiniste chevronné, il avait voulu explorer l’Himalaya. Quelle plus belle aventure que celle de l’Everest ? Et puis, vaincre le plus haut sommet du monde au nom de l’Allemagne pourrait permettre d’apaiser la soif de conquête du Kaiser, qui poussait l’Europe vers la guerre. Max avait quitté Berlin pour l’Inde, traversé le pays du sud au nord, puis était discrètement entré au Népal, bravant l’interdiction faite aux Occidentaux de franchir la frontière. Il avait pu pousser jusqu’à Katmandou avant de se faire arrêter par la police népalaise qui lui avait ordonné de quitter les lieux. Il avait promis d’obéir, 12 200120NZC_INDOMPTABLE_cs4_pc.indd 12200120NZC_INDOMPTABLE_cs4_pc.indd 12 16/10/2013 10:42:4716/10/2013 10:42:47 mais demandé un délai, le temps de trouver un guide qui le conduirait à travers les hautes vallées du Solukhumbu pour passer au Tibet par le col de Nangpa La. Ensuite, il avait prévu de continuer vers l’est pour parcourir la base de la face nord de l’Everest sur la route de Lhassa, la cité des dieux, où il espérait obtenir du dalaï-lama la permission de tenter l’ascension. On lui avait signalé un guide très réputé qui cherchait une voie dans ces parages. C’était une femme, une Occidentale, mais qui connaissait parfaitement les montagnes. Oui, avait répondu la police, on en entendait beaucoup parler, mais elle n’était pas venue à Katmandou depuis des mois. Il avait fallu offrir des pierres précieuses, des rubis et des saphirs achetés à Jaipur, ainsi que des perles et une grosse émeraude pour obtenir la permission d’attendre cette femme. On lui avait accordé un mois. Max avait eu vent de l’existence de cette exploratrice à son arrivée à Bombay. Au hasard des rencontres, d’autres alpinistes l’avaient mentionnée : une Anglaise qui connaissait l’Himalaya comme personne. Elle avait vaincu un sommet du Kilimandjaro, le mont Mawenzi, qui avait failli lui coûter la vie. Elle avait dévissé dans la descente et on avait dû l’amputer d’une jambe. Maintenant elle se consacrait à la cartographie de l’Himalaya, procédait à des relevés de terrain illustrés par des photos. Elle grimpait autant que son handicap le lui permettait, mais elle ne pouvait plus espérer braver les hauts sommets. Préférant vivre avec les peuples des montagnes, elle était devenue aussi endurante qu’eux, et avait gagné leur respect et leur amitié. Ayant accompli l’exploit de se faire accepter de tous, elle traversait 13 200120NZC_INDOMPTABLE_cs4_pc.indd 13200120NZC_INDOMPTABLE_cs4_pc.indd 13 16/10/2013 10:42:4716/10/2013 10:42:47 les frontières sans encombre, recevant l’hospitalité des Népalais comme des Tibétains. Comment la trouver ? Les pistes ne manquaient pas. La rumeur la disait en Chine, en Inde, au Tibet. À Burma. En Afghanistan. Elle était géographe pour les Anglais, espionnait pour le compte de la France, avait trouvé la mort dans une avalanche. Elle s’était mariée à un Népalais. Elle vendait des chevaux. Non, des yacks. Se livrait au trafic d’or. Ces bruits avaient accompagné Max pendant toute sa traversée de l’Inde. Il l’avait manquée à Agra, à Kanpur, et puis il l’avait enfin trouvée à Katmandou. Ou du moins, il avait localisé la cahute qui lui servait parfois de pied-à-terre. — Elle est repartie en montagne, lui avait appris un voisin. Elle reviendra. — Quand ? — Bientôt, bientôt. Les jours avaient passé, les semaines. Le mois fut bientôt écoulé. Les autorités népalaises s’impatientaient. On voulait le voir partir. Il interrogea encore les gens pour savoir quand elle allait revenir, et on lui répondit encore « bientôt ». Il soupçonna que le fermier chez qui il logeait avait intérêt à le garder pour empocher son loyer. Et puis elle arriva. Il crut d’abord voir une Népalaise. Elle portait une longue veste en peau de mouton sur un pantalon bleu indigo. Ses yeux verts semblaient immenses tant son regard était intense, abrité sous le bord laineux de son bonnet. Des turquoises pendaient à son cou, à ses oreilles. Sa longue natte, parée d’ornements d’argent et de perles de verre, accentuait encore sa ressemblance avec les femmes du pays. Le soleil de l’Himalaya avait bruni sa peau, l’exercice tonifiait 14 200120NZC_INDOMPTABLE_cs4_pc.indd 14200120NZC_INDOMPTABLE_cs4_pc.indd 14 16/10/2013 10:42:4716/10/2013 10:42:47 son corps mince et athlétique, mais elle boitait en marchant. Il avait découvert qu’elle portait un pilon fait d’un os de yack, creusé et taillé pour elle par un artisan du pays. — Namasté, lui dit-elle en inclinant légèrement la tête une fois que le fermier eut fait les présentations. Cette salutation en usage au Népal et en Inde signifiait : « La lumière qui est en moi accueille la lumière qui est en toi. » Il lui exposa sa requête : il désirait louer ses services pour se rendre au Tibet. Elle lui répondit qu’elle revenait à peine de Shigatse et qu’elle était fatiguée. Elle voulait d’abord dormir, se restaurer, et puis elle y réfléchirait. Le lendemain, elle lui prépara un curry de riz au mouton, accompagné de thé très noir. Ils partagèrent ce repas assis par terre sur le tapis de la cahute, puis ils discutèrent du projet de Max en se passant une pipe d’opium. La drogue atténuait la douleur, lui expliquat-elle. Il avait cru qu’elle faisait allusion à sa jambe, mais il comprit plus tard que le mal dont elle souffrait était davantage d’ordre moral que physique, et que l’opium n’avait sur elle qu’un effet très limité. La tristesse l’enveloppait comme un voile noir. Il admirait sa connaissance de l’Himalaya. Elle en savait plus que n’importe quel Occidental sur la région, ayant photographié et cartographié la chaîne sous de nombreux angles. Pour gagner sa vie, elle proposait ses services de guide et rédigeait des études commandées par la Royal Geographic Society, en Angleterre. Cette société savante de géographes comptait également publier un livre regroupant ses photographies de l’Himalaya. Max en avait vu certaines, qu’il avait 15 200120NZC_INDOMPTABLE_cs4_pc.indd 15200120NZC_INDOMPTABLE_cs4_pc.indd 15 16/10/2013 10:42:4716/10/2013 10:42:47 trouvées excellentes. La chaîne surgissait dans toute sa splendeur sauvage. La beauté de ses pics, froide et indifférente, n’avait encore jamais été aussi bien rendue. Sir Clements Markham, le président de la Société géographique, se chargeait de faire connaître ses recherches car elle refusait de quitter ses chères montagnes et ne voulait à aucun prix rentrer à Londres. Max avait été d’autant plus frappé par la qualité de ses photos et de ses cartes qu’elle était plus jeune que lui – à seulement vingt-neuf ans, elle avait déjà abattu un travail phénoménal. Quand il l’avait complimentée, elle s’était pourtant déclarée insatisfaite, mécontente des limites que lui imposait sa jambe. — Mais vous avez bien dû grimper pour faire tout cela ! — Pas bien haut, je vous assure. Rien de compliqué. Il n’y avait ni champs de glace, ni parois, ni crevasses. — Vous en faites déjà beaucoup. Je me demande comment vous y parvenez. L’escalade, quand on n’a pas ses deux jambes… — Je grimpe avec le cœur. Et vous ? Quand il lui eut montré de quoi il était capable, et prouvé qu’il aimait et respectait la montagne, elle accepta de l’emmener à Lhassa. Ils quittèrent Katmandou avec deux yacks chargés de la tente et des provisions, et traversèrent des villages de montagne, des vallées, empruntèrent des cols connus de peu de sherpas. Malgré la grande beauté des paysages, la marche était éprouvante. Il faisait également très froid. Dans la tente, ils dormaient l’un contre l’autre sous des fourrures pour se tenir chaud. Il lui avait avoué son amour la troisième nuit. Quand elle avait ri de 16 200120NZC_INDOMPTABLE_cs4_pc.indd 16200120NZC_INDOMPTABLE_cs4_pc.indd 16 16/10/2013 10:42:4716/10/2013 10:42:47 lui, il avait été d’autant plus blessé qu’il éprouvait des sentiments sincères. — Pardon, avait-elle dit en posant une main sur son épaule. Pardon, mais je ne peux pas… Il lui avait demandé s’il y avait un autre homme, et elle avait répondu que c’était le cas. Et puis, parce qu’ils étaient tous les deux tristes, qu’ils avaient froid, et que cela pouvait leur donner du plaisir, elle l’avait enlacé, mais sans véritable passion. Avec elle, il éprouvait son premier chagrin d’amour. Ils s’étaient arrêtés trois semaines dans un village tibétain assez lugubre au pied de l’Everest. C’était là, à Rongbuk, qu’elle vivait le plus souvent. Elle s’était servie de ses relations dans l’administration tibétaine pour lui obtenir l’autorisation d’entrer dans Lhassa. En attendant les papiers, elle l’avait accueilli chez elle, une modeste maison blanche en pierre chaulée à laquelle s’accotait une étable où elle abritait ses bêtes. Elle avait employé cette période à prendre des photos. Un jour, il l’avait vue tenter une escalade. Ne se sachant pas observée, elle avait entrepris de franchir un champ de glace, son appareil photographique attaché dans le dos. Elle se débrouillait bien, malgré son pilon en os de yack. Et puis elle s’était arrêtée, et était restée immobile pendant dix longues minutes. Max avait deviné à quel point elle souffrait. Soudain, elle avait lancé vers le ciel des imprécations si violentes qu’il avait craint qu’elles ne déclenchent une avalanche. Qui rendait-elle responsable de son malheur ? La montagne ? Elle-même ? Ou quelqu’un d’autre ? L’autorisation avait fini par être délivrée. Dès le jour suivant, ils avaient quitté Rongbuk pour Lhassa avec 17 200120NZC_INDOMPTABLE_cs4_pc.indd 17200120NZC_INDOMPTABLE_cs4_pc.indd 17 16/10/2013 10:42:4716/10/2013 10:42:47
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