La revue 100 Numero 12 - Page 2 - Revue numéro 12 du 15 Janvier 2012 2 Sommaire - Couverture : Michèle SEBAL - Billet du mois : Fanny LEBEZ, page 3 - Nouvelle : Rébellion dans l’impasse de la Julienne, Carine de LICHTERVELDE, page 5 - Chronique : Mes gribouillis de Jean-Baptiste FERRAN, par Clément CHATAIN, page 12 - Poésie : Une pièce galante de Grégoire CABANNE, page 15 - Interview : Entretien avec Jean-Baptiste FERRAN, par Clément CHATAIN, page 17 - Poésie : Ma citadelle d’Alain RAIMBAULT, page 20 - Chronique : Petites morts en plein jour d’Anita BERCHENKO, par Marie BARRILLON, page 21 - Information : Concours, page 24 - My Major Compagny Books : Présentation d’auteurs, page 30 - Réponse à la question FB, page 36 - Les auteurs 2011, page 37 - Participation, page 38 - Livre du mois, Jo FAYOLLE, page 40 - Partenaires : page 42 3 Billet du mois : De la critique littéraire Miroir mon beau Miroir… Le terme de littérature se cache sous une quantité de définitions. C’est un miroir textuel de la société dans laquelle le livre naît. Que ce soit une fiction, un récit autobiographique ou encore une pièce de théâtre, chaque œuvre trouve sa source dans une époque donnée. L’écrivain combine la société d’une part et son individualité d’autre part. Une dualité qui fonctionne plutôt bien puisque la littérature reflète tous les états d’une existence et peuvent s’inscrire dans une idéologie précise. Elle possède un pouvoir subversif puisqu’elle tend à remettre en question les systèmes établis et la place de l’individu dans ceux-ci. L’écrivain part donc en quête de l’Histoire, de l’autre ou encore de soi et possède un rôle défini. En effet, lorsqu’il va à la rencontre de l’Histoire, c’est d’abord le fonctionnement politique, économique et social auquel il se confronte. Il va tenter de comprendre, en marge d’évènements, comment être un homme dans l’époque à laquelle il appartient. Il y découvre le présent en tentant d’expliquer le passé. Il y découvre également la douleur et fait le constat d’une humanité tantôt soumise, tantôt révoltée. Il rencontre l’autre et tente de se construire une identité au milieu de mots qui sont les siens. …dis-moi qui a la plus belle plume Parce qu’elle est indéfinissable et très personnelle, la littérature questionne autant qu’elle dérange. C’est dans ce cadre qu’on laisse une [petite] place à la critique. Impliquée elle aussi dans une époque, elle se doit d’analyser au mieux le message du texte en tenant compte de l’auteur et de son univers. Le critique est un créateur, qui comme l’écrivain, use de mots pour appuyer sa réflexion. Il devient le temps d’un billet, un double maléfique pour l’écrivain, son Mister Hyde. 4 Le devoir du critique littéraire est d’être un peu plus qu’un simple lecteur. Il se doit de repérer les failles tout autant que l’intelligence du texte, et cela toujours dans une démarche de respect, d’objectivité et de savoir faire. Le critique littéraire n’est pas un écrivain ayant loupé sa carrière, les objectifs de chacun sont bien différents. Ecrire c’est mettre en parallèle un corps social et une pensée individuelle ; l’encre du créateur littéraire c’est l’être humain, et son support d’écriture c’est l’autre. De l’écriture à l’œuvre, de l’auteur au lecteur, l’écrivain est le reflet d’une humanité. A travers la culture, il ne s’agit pas d’être soumis à la mode, mais bel et bien d’appréhender la réception du texte. «Ecrire c'est ébranler le sens du monde, y disposer une interrogation indirecte, à laquelle l'écrivain, par un dernier suspens, s'abstient de répondre. La réponse, c'est chacun de nous qui la donne, y apportant son histoire, son langage, sa liberté.» comme le disait Roland Barthes. 2012 est une année électorale où la grande édition misera sur cet évènement pour proposer bon nombre de livres politiques au détriment du littéraire. Pas de panique, notre revue se met aux côtés de la petite édition ou encore de l’autoédition, sur le chemin des découvertes littéraires. Fanny LEBEZ Nous vous souhaitons nos meilleurs vœux, pour une année pleine de plaisirs littéraires, agrémentée de rencontres dépourvues de pommes empoisonnées, afin qu’un(e) prince(sse) charmant(e) soit toujours là pour vous réveiller en douceur. L’équipe de la revue 5 Nouvelle Rébellion dans l’impasse de la Julienne Le ciel est gris, bas et chargé de nuages sur la petite cité qui pleure ses belles années. La localité est située au cœur d’une plaine qui a connu, dans un passé aujourd’hui de plus en plus lointain, le succès d’une activité industrielle débordante. Le petit village brabançon est maintenant presque abandonné. La jeunesse est partie ailleurs, en quête de travail et d’avenir. Dans ses rues jadis florissantes et ses nombreuses ruelles ne subsiste qu’une population clairsemée, des personnes âgées un peu mélancoliques et quelques enfants confiés aux grands-parents durant les vacances ou à la belle saison. Impasse de la Julienne, seules deux maisons sont encore habitées. La première l’est tout au long de l’année. La seconde, parfois seulement, lorsque le printemps ramène ses bourgeons ou que le soleil de juillet et d’août vide la grande ville toute proche de quelques citadins à la recherche d’un air pur et plus frais. La première habitation est noire de la pollution qu’a connue le lieu au cours des décennies précédentes. Ses briques ont oublié jusqu’à la belle couleur écarlate de leurs origines ; elles se craquèlent lentement au rythme des saisons, des pluies battantes de l’automne, du froid pénétrant des mauvais hivers ou de la chaleur étouffante des mois d’été. Ses portes battent souvent au gré des vents. Ses fenêtres, pour la plupart brisées, sont voilées de poussières. Et son potager, envahi de mauvaises herbes, est presque abandonné. L’autre maison, au contraire, a retrouvé toute la fraîcheur de ses premières années. Elle a été rachetée par des bruxellois en mal de campagne et de silence. Repeinte et dotée d’un toit flambant 6 neuf, reconstitué comme à l’époque, elle trône à nouveau fièrement au creux d’un jardin bien vert et richement fleuri. Dans la maison sale et vieillotte vivent le vieux Jef la casquette et son épouse la Germaine. La vieille cité ouvrière, c’est toute leur vie. Jef s’est, durant 40 années, cassé le dos dans la fabrique voisine, aujourd’hui oubliée. Il y battait inlassablement le métal. Germaine a conservé, de ses tâches ménagères au service des patrons, une humeur grincheuse de domestique malmenée. Le vieux couple occupe péniblement ses longues journées. Jef dans son jardin pourtant mal tenu. Et Germaine dans sa cuisine crasseuse où elle prépare, sans entrain, potées et autres potages mal assaisonnés. Jef est brave, triste et n’a plus guère d’énergie tandis que Germaine est méchante et toujours disposée à la querelle et aux ragots. Les nouveaux arrivés, dans la maison rénovée toute proche, les importunent. Ses habitants occasionnels ont l’allure et les manières de ces gens à qui tout réussi. Ils possèdent de l’argent, de jolies voitures, de beaux enfants et sont toujours accompagnés d’une quantité indécente de petits garnements ivres d’aventures et de libertés. Ces petits enfants sont toujours gais, rieurs et toujours prêts à ce que Jef et Germaine nomment, en maugréant, de mauvais coups. Cette ribambelle de jeunes garçons court partout. Dans leur culotte de cuir usé, ils chantent, sautent, s’essaient à la musique. Ils chassent les papillons ou les rats, font fuir tous les chats sauvages mais aussi les derniers vieux chiens du quartier. Ils sont bien propres et bien polis, A tous les gens qu’ils rencontrent, ils offrent un « bonjour, un au revoir ou un comment allez-vous ? ». Cela agace beaucoup les amateurs de tranquillité. Ces petits observent tout et bien évidement particulièrement ce qui peut se passer dans le jardin d’à côté. 7 Le jardin de Jef la casquette et de la Germaine est pourtant bien protégé. Un haut mur de ciment jaunâtre en fait le tour. La végétation ébouriffée qui s’y accroche, grandit pour cacher l’ensemble des regards aussi indiscrets que malvenus. Dans cet espace préservé de toute vue poussent, vaille que vaille, quelques variétés de légumes qui ne reçoivent de toute évidence pas le soin attendu. Ce que Jef la Casquette et la Germaine n’imaginent même pas, c’est que leur potager secret n’a rien de commun avec les autres. Les maigres légumes qui y poussent réfléchissent et parlent. Ils sont très malheureux de leurs conditions. Ces légumes ont vu arriver leurs petits voisins avec surprise d’abord, intérêt ensuite et enfin avec beaucoup d’espoirs. Car nos amis légumes pensent et sont en mesure de s’exprimer, mais leur langue ne peut être comprise et entendue que par les oreilles et l’âme des petits enfants. Dans le potager encombré de méchantes herbes aux noms pourtant souvent enchanteurs comme l’Agrostide ou jouet du vent, l’ Adonis d’été ou goutte de sang, la bourse à pasteur, l’Euphorbe réveille-matin, le Peigne de Vénus ou la lentille hérissée, on découvre au gré du temps qui passe et des saisons : les salades, les aromates, quelques morilles mais aussi des haricots verts, des pommes de terre, des carottes, des petits pois, de nombreuses variétés de courges, des concombres, des endives ou encore des épinards. Nos légumes ne sont pas heureux car Jef ne leur apporte ni bons soins, ni grande estime. Il les regarde pousser sans bienveillance et n’a d’autre souci que de satisfaire les appétits de la Germaine qui en fera d’infâmes brouets et d’épaisses soupes de campagne. Alors dans leurs petites têtes désolées germe une idée. Au cours des mois précédents, nos légumes avaient déjà imaginé qu’ils pourraient refuser de pousser. Mais Jef la Casquette ne voulait pas 8 l’entendre de cette oreille. Selon l’avancée des saisons, il les asphyxiait d’engrais nauséabonds, de paillages dits protecteurs ou de fumier frais et suintant qu’il allait récupérer chez les fermiers voisins. Sous le soleil d’été, les artichauts, les laitues et les roquettes, les chicorées, les petits pois et les carottes, les aubergines, les cornichons, l’ail et les pommes de terre primeur tinrent grand conseil. L’objet de cette réunion d’importance était de préparer la résistance, une bonne manière de fausser compagnie à Jef comme à Germaine, un bon plan d’évasion avec la complicité des petits garçons de l’au-delà du mur. Encore fallait-il trouver le moyen d’attirer leur attention, de leur faire entendre la détresse, de leur insuffler l’envie de les aider à quitter ce jardin maudit et peut être de leur sauver la vie. Mais le grand mur, sa végétation débridée et touffue et même la faible distance qui séparait nos légumes des petits voisins ne facilitaient pas l’élaboration du projet. L’on pouvait tenter de se gonfler d’importance pour que les parfums ainsi dégagés puissent émoustiller les petits nez. Les légumes qui possédaient certains atouts dans la libération de bonnes odeurs s’y essayèrent. Ils présentèrent avec beaucoup de concentration et autant qu’ils le pouvaient leurs peaux douces aux rayons du soleil. Le résultat ne fût pas à la hauteur de leurs espérances. Tout au plus parvinrent-ils à attirer l’attention de Jef la Casquette qui se dit qu’ils étaient enfin bien mûrs. Nos courageux légumes périrent ainsi d’héroïsme. Ils furent arrachés à la terre nourricière avec le regard chargé de convoitise de la Germaine qui s’en frottait déjà les mains sur son tablier troué. Les plus belles aubergines, quelques carottes et surtout l’ail disparurent ainsi à l’étouffée sur la vieille cuisinière chauffée au rouge. L’on ne les revit plus jamais. 9 Les rescapés en larmes, tinrent donc à nouveau conseil. Il fallait œuvrer de nuit quand nos vieux épuisés de chaleur s’en allaient rejoindre la couette poussiéreuse mais que les garnements, encore frais et dispos, chantaient sous la lune. Les petits d’à côté semblaient particulièrement épris de musique. C’est donc par ce biais que nos légumes imaginèrent de les solliciter. Il fallait créer un orchestre dans lequel chacun prendrait son rôle et démontrerait son talent. Les pommes de terre, les échalotes et les petits pois optèrent d’emblée pour les percussions, la rangée de chicorée pour la harpe, tandis que les haricots choisissaient les bois et les cuivres, les champignons les cymbales, les aubergines le xylophone avec la complicité des cornichons en guise de mailloches. La mélodie devait être belle et le son devait pouvoir porter au plus loin. Un soir de vent complice, nos légumes jouèrent avec toute l’énergie du désespoir et… ils furent entendus. Stoppés net dans leur partie de cache-cache parmi les saules, les bambins d’à côté s’assirent en cercle sur le gazon et firent silence. Mais d’où donc pouvait bien provenir cette gracieuse mélodie ? Ils s’interrogeaient, échangeaient des idées en chuchotant, écoutaient encore et décidèrent enfin d’explorer les environs. En s’agrippant à la végétation, ils se hissèrent et pointèrent leurs petits yeux écarquillés par-dessus la palissade. Là émerveillés et muets de stupeur, ils s’associèrent à la symphonie légumière en balançant leurs petites têtes, de droite à gauche, dans un même élan attendri. Lorsque la mélodie laissa place au silence, les potirons prirent la parole : « bonsoir les petits amis, nous espérions bien pouvoir vous rencontrer. Nous avons créé notre orchestre rien que pour vous. Voyez comme nous sommes tristes. Nous voulons quitter ce mauvais jardin. Nous rêvons de nous sauver. Voulez-vous bien nous y aider ? » 10 Effrayés, toutes les petits têtes blondes disparurent d’un coup d’un seul et puis réapparurent une à une. « Mais qui nous parle » osa le plus hardi garnement de la petite bande ? « C’est nous les potirons » dirent ces derniers en cœur. « C’est nous, c’est nous », crièrent aussi les autres légumes du potager ». Les garçons, encore un peu intimidés, enjambèrent alors le mur pour observer l’étrange phénomène de plus près. Arrivés à proximité du potager, ils s’assirent à nouveau dans un cercle parfait. Et le plus hardi des garnements lança encore « jouer encore pour voir, nous on sait bien que les légumes ne parlent pas et qu’ils ne peuvent pas non plus faire de la musique ». L’orchestre reprit de plus belle. La fête se prolongea toute au long de la nuit. Au petit matin, nos légumes étaient épuisés mais leur public tout à fait conquis. Tandis que quelques-uns des petits garçons repassaient le mur pour s’en aller chercher pelles, râteaux, paniers d’osier et autres cageots ; les autres caressaient les feuilles, chatouillaient les cosses, faisaient sauter les petits pois de mains en mains pour leur ramener le sourire et échangeaient avec leurs nouveaux amis mille paroles de réconfort et de tendresse. Lorsque le soleil prit enfin de la hauteur, le potager était retourné et désert. Tous les légumes avaient trouvé refuge tout au fond du jardin d’à côté. Là où les garnements les avaient replantés, personne ne pouvait plus les voir sauf les parterres de fleurs tout à fait ravies de cette nouvelle et talentueuse compagnie. Nos légumes étaient sauvés. Au saut du lit, Jef et Germaine découvrir la disparition et toute l’ampleur du désastre. De rage, Jef piétina les mottes de terres abandonnées et mangea toute entière sa casquette. Tandis que la Germaine jeta son tablier par terre et s’évanouit, cul par-dessus tête, parmi ses infâmes casseroles pour ne plus jamais se réveiller. 11 Nos amis légumes pouvaient maintenant s’écrire une toute nouvelle histoire au paradis des jardins. Jamais plus ils ne furent tristes. Ils ne s’inquiétaient plus désormais que de musique. Dans cette quête nouvelle, délicieuse et sans fin, ils s’étaient découverts de fidèles complices parmi les fleurs et avec les petits enfants auxquels s’étaient joints les plus gentils des parents. Carine de LICHTERVELDE
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